Montée en puissance des transporteurs hors alliances

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La concurrence, et la course à la capacité qui en découle, est âpre entre les trois principales alliances mondiales opérant sur les trois lignes régulières conteneurisées est-ouest. Mais de façon surprenante, elles ont surtout cédé du terrain face aux opérateurs indépendants. 

Les plaques bougent sur les grandes lignes Est-Ouest. Les lignes se modifient. Les grandes alliances cèdent du terrain. Les transporteurs indépendants s’affirment. De nouveaux opérateurs s’aventurent sur les grandes routes transcontinentales. D’autres acteurs plus établis font le grand écart avec leur positionnement d’origine. Le moteur de ces mouvements telluriques est un phénomène que le transport maritime n’avait jamais connu auparavant à ce niveau : des taux de fret faramineux. 

Les derniers chiffres délivrés par Sea-Intelligence vont donner du grain à moudre au débat sur la puissance avérée ou réelle des compagnies maritimes fédérées en alliances. Les grands analystes du secteur convergent pour octroyer aux trois grands groupements de transporteurs de la ligne régulière le contrôle de plus de 80 % du marché [2M, de Maersk et MSC ; THE Alliance, de Hapag-Lloyd, Yang Ming et ONE ; Ocean Alliance, de Cosco, Evergreen, OOCL et CMA CGM]. 

Nombre de services hebdomadaires passé de 39 à 53

Depuis le début du second semestre de 2020, le nombre de services introduits sur la ligne transpacifique a progressé à grande vitesse, mais cette augmentation a coïncidé avec une importante diminution de la part de marché des trois grandes alliances mondiales de transporteurs, a relevé le consultant danois dans une de ses dernières analyses.  

Sur la ligne Asie-côte Ouest américaine, entre les mois d’août 2020 et 2021, le nombre de services hebdomadaires est ainsi passé de 39 à 53, un niveau jamais atteint sur cette route au cours de la période 2012-2021. 

Sur ce total, ceux portés par des transporteurs hors alliances – de l’ordre de 9 à 11 entre 2017 et 2020 – étaient au nombre de 23 en août. Ils sont de surcroît exploités en toute autonomie, le transporteur disposant de la totalité de la capacité à bord de chaque navire.

Trois de ces services sont proposés par de nouveaux entrants sur le marché, à l’instar de CU Lines et de BAL Container Lines. Pas encore prise en compte par Sea-Intelligence, l’entrée en scène de Shanghai Jinjiang Shipping vient élargir le cercle des nouveaux aventuriers sur le transpacifique.

Part de marché de près de 30 %

La montée en puissance des compagnies indépendantes est telle, selon Sea-Intelligence, que leur offre dépasse sur la route Asie-côte Ouest américaine celle de 2M et de THE Alliance et approche celle d’Ocean Alliance. À l'heure actuelle, elles accaparent 28,6 % du total de l’offre déployée dans le transpacifique (22,8 % enregistrés avant la pandémie). Cette part devrait osciller entre 28 % et 31 % dans les semaines à venir. 

Le consultant relève une tendance similaire entre l'Asie et la côte Est des États-Unis mais avec une moindre perturbation du marché, les services hors alliance proposant un peu moins de 10 % de la capacité déployée. Sur ce marché, Ocean Alliance (Evergreen, CMA CGM, Cosco/OOCL) et 2M (Maersk et MSC) ont cédé du terrain tandis que THE Alliance (HMM, Hapag-Lloyd, ONE et Yang Ming) a maintenu une présence stable. Entre Asie et Europe, les services hors alliances sont marginaux car peu significatifs (moins de 1 %).  

2M en perte d’influence

Entre grandes alliances, les évolutions ne sont pas sismiques mais les parts de marché se frottent les unes aux autres ou se tamponnent les unes contre les autres. 

Depuis le début de 2020, selon Sea-Intelligence, les deux leaders mondiaux Maersk et MSC, associés au sein de 2M, ont perdu des parts de marché en termes de capacités conteneurisées au profit de Ocean Alliance sur les lignes Asie-Europe du Nord et Asie-Méditerranée. Sur ce dernier trade, 2M est aussi en perte de vitesse par rapport à THE Alliance (HMM, Hapag-Lloyd, ONE et Yang Ming). 

Une raison à cela ? Alphaliner avait indiqué que, longtemps à la traîne sur la route transpacifique, les partenaires de 2M avaient surinvesti le marché l’an dernier en puisant dans les réserves du trafic Europe-Asie. Un nouveau rapport de force entre alliances se dessinait fin 2020 : 2M contrôle désormais 21 % de la capacité totale sur le transpacifique (contre 19 % un an auparavant) tandis que THE Alliance a vu sa part de marché évoluer de 25 à 28 % au détriment d’Ocean Alliance, passée de 38 % à 34 %.

Sur l'Asie-Europe, la part de marché de 2M a perdu deux points, de 36 à 34 % au cours des douze derniers mois, tandis que THE Alliance détient désormais 27 % de la capacité totale (+ 1 point). Avec 39 % de parts de marché, Ocean Alliance reste maître sur cette route.

Déballage de navires

Dans une de ses dernières notes, le spécialiste de la ligne régulière mettait aussi en exergue le rush de capacités. Entre les mois de juillet 2020 et 2021, la part de la flotte de porte-conteneurs mondiale déployée sur les liaisons Est-Ouest est passé de 38,5 à 45,9 % alors que la part des navires inactifs est actuellement très faible, autour de 2,5 %. 

Ce sont sur les liaisons entre l'Asie et l'Amérique du Nord que les transporteurs ont fléché le plus de tonnages au cours des derniers mois. Près de 20 % de la flotte mondiale (totalisant 4,87 MEVP) y est actuellement déployée et la route a enregistré un bond de 30,6 % en un an (la croissance entre Europe et Amérique du Nord est plus faible, de 21,4 %). 

Même si le transpacifique est actuellement le plus lucratif, statut dévolu jadis à la ligne Asie-Europe du Nord, cette dernière continue de dominer en termes de déploiement de navires. Elle concentre 21,5 % des porte-conteneurs en circulation, en hausse de 19,7 % par rapport à juillet 2020.

Plus de navires ne signifie pas plus de fret transporté

Cette inflation s’est faite au détriment des trafics intrarégionaux où la croissance de la flotte est plus faible, de 4,8 % au cours des douze derniers mois sur l’intra-asiatique et de 8,2 % sur l’intra-européen.  

« Cette impressionnante croissance de la capacité ne correspond pas à la croissance réelle du fret, nuance le spécialiste de la ligne régulière. « Les transporteurs ont tout simplement besoin de beaucoup plus de tonnages car les navires sont bloqués dans des ports encombrés aux États-Unis et en Asie. » Certains transporteurs ont en effet déclaré qu'ils avaient besoin d'au moins 20 à 25 % de capacité supplémentaire pour continuer à transporter la même quantité de marchandises. 

Il y aurait en outre une augmentation substantielle des extra-loaders (Alphaliner en compte actuellement plus d’une trentaine entre l’Asie et la côte Ouest de l'Amérique du Nord). 

Parts de marché par alliances et par routes maritimes en juin 2021, source Alphaliner

Entrée en scène de nouveaux joueurs

Aux côtés de ceux qui s’aventurent sur les grandes lignes, il y a aussi des acteurs plus établis qui dépêchent des moyens sur la route Asie-Amérique du Nord alors qu’elle ne faisait a priori pas partie de leurs priorités stratégiques. 

L'armateur Matson, spécialisé dans la desserte de Hawaï, l'Alaska ou encore des îles isolées de Micronésie dans le Pacifique nord, a annoncé début août son premier service direct depuis la Chine vers Long Beach avec des escales à Ningbo, Shanghai et Oakland. 

Au cours du premier semestre 2021, Matson, dont le siège est à Honolulu, a enregistré un chiffre d'affaires de 1,24 Md$, soit 53 % de plus qu'au premier semestre 2020. Les volumes transportés ont grimpé en flèche, de 32 % pour atteindre 434 200 EVP, principalement en lien avec une augmentation de 110 % sur les lignes vers la Chine.  

Alors que son premier navire a touché la côte Est des États-Unis le 30 juillet, la taïwanaise Wan Hai, au tropisme intra-asiatique, a indiqué qu’elle allait pérenniser son service direct de Taipei à New York-New Jersey avec neuf navires d'une capacité de 2 800 à 4 000 EVP. 

Des taux de fret tape-à-l’oeil

« Si l'on compare les niveaux de taux [de la ligne transpacifique, NDLR] à certains taux spot moyens sur les routes intra-asiatiques, par exemple, soit 280 $/EVP entre Shanghai et le Japon, il est facile de comprendre pourquoi certains transporteurs redéploient des petits navires sur l'une des grandes routes Est-Ouest », raisonne Alphaliner.  

Ces ambitions sont en effet nourries par des taux de fret de plus en plus tape-à-l’oeil. L'indice Freightos Baltic (FBX) est sans doute celui qui reflète le mieux le coût réel du transport puisqu’il vient d’intégrer un certain nombre d’éléments dont les primes que les chargeurs sont prêts à payer pour obtenir une garantie de réservation. En hausse de 108 % sur une base annuelle, il est fixé à 13 666 $ pour le transport d’une boite de 40 pieds entre la Chine et la côte Ouest de l’Amérique du Nord et à 16 008 $ par EVP vers sa côte Est.  

Sur les pas de Home Depot, Walmart va affréter des navires

Audit en cours

C’est parce que les prix flambent, mais aussi parce que les transporteurs ne sont plus en mesure de garantir leurs engagements contractuels, que des transitaires affrètent des navires pour leur propre compte, voire que des chargeurs s’y emploient à l’instar de Home Depot et Walmart, qui a déjà testé et opéré quelques traversées pour son propre usage.  

Ces dernières données sont délivrées alors que, sous la pression des chargeurs américains et de l’administration Biden, la FMC, l’autorité de régulation du transport maritime, a lancé un audit en vue de s’assurer du respect des règles des transporteurs maritimes opérant sur le marché américain.

Courant août, MCS Industries, un fabricant américain d’articles de la maison, fournisseur des grandes enseignes de la distribution, a déposé une plainte auprès de la Federal Maritime Commission, accusant deux transporteurs de manipulation de marché, collusion commerciale, non-respect des engagements contractuels...

Vers l’obligation d’un service minimum ?

Un projet de loi – Ocean Shipping Reform Act 2021 – a été déposé dans la foulée par deux membres (démocrate et républicain) de la Chambre des représentants. Il obligerait les transporteurs à donner la priorité aux exportations américaines et accorderait plus de pouvoirs à la Federal Maritime Commission (FMC).

S’il était adopté, il s'agirait de la première proposition de mise à jour de la loi sur le transport maritime du pays depuis 2001. Dans les déclarations des deux parlementaires, l’existence d’un oligopole dans le transport maritime par conteneurs ne semble pas relever de l’hypothèse.

Adeline Descamps

   

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