Home Depot avait ouvert le sillon en juin en annonçant qu’il allait exploiter son propre navire pour son propre usage alors qu’il est en principe lié aux compagnies maritimes par des contrats à long terme sur des volumes importants et à des taux préférentiels. Le troisième plus grand importateur outre-Atlantique en termes de volume de conteneurs maritimes, selon le classement annuel du Journal of Commerce (JOC), derrière Walmart et Target et devant Lowe's et Ashley Furniture, entendait ainsi sécuriser l’approvisionnement de ses 2 300 magasins.
L’annonce avait marqué les esprits car elle illustre le jusqu’au-boutisme de certains chargeurs, prêts à tout pour sécuriser leurs stocks et aussi sans doute se donner une chance de profiter de l’incroyable rebond de la consommation. La décision reste emblématique des tensions qui s’exercent actuellement sur la plupart des routes maritimes mondiales et qui font que les armateurs peinent à tenir leurs engagements contractuels et à respecter leurs offres premium.
Le boom de la demande combiné aux arriérés d’approvisionnement engendrés par la pandémie stressent un peu plus le réseau d’approvisionnement mondial. Les coûts de transport n’en finissent plus de grimper. Les délais d’approvisionnement s’allongent toujours plus. Les navires creusent inexorablement leurs retards. Les conteneurs et les navires sont bloqués là où ils ne devraient pas être, ou en tout cas là où ils ne sont pas nécessaires, à quai ou au large.
« Mesures proactives pour gérer les stocks »
Alors que le mois d'août marque traditionnellement le début de la haute saison, lorsque les détaillants s'approvisionnent en marchandises pour les fêtes de fin d'année, l’enseigne américaine Walmart, second importateur du pays en fret maritime, annonce à son tour qu’elle va affréter pour son propre compte « plusieurs navires durant le troisième et le quatrième trimestre ». C’est ce qu’a signifié Brett Biggs, vice-président et directeur financier du géant américain aux 4 700 magasins, à l’occasion d’une conférence téléphonique trimestrielle avec les investisseurs. Sans autres précisions sur les volumes en jeu ni sur le nombre de navires. Home Depot avait été tout aussi vague si bien que les observateurs avaient raillé le « coup de bluff ».
Coup de semonce à l’égard des transporteurs ou non, Walmart ne nie pas être affecté par les perturbations de la chaîne d'approvisionnement – « les ruptures de stock dans certaines catégories de marchandises sont supérieures à la normale, compte tenu des fortes ventes et des contraintes d'approvisionnement » – mais le dirigeant a néanmoins tenu à se montrer rassurant en indiquant que l’entreprise était « bien positionnée pour le reste de l'année compte tenu de l'état des stocks. »
Le président de Walmart US, John Furner, a fait part d’une « augmentation d'environ 20 % des stocks sur le dernier trimestre ». Le géant de la grande distribution estime par ailleurs avoir bien anticipé en commandant plus tôt que prévu dans le cadre d’une stratégie d’atténuation des risques.
Selon la presse, deux rotations entre l’Asie et les États-Unis auraient déjà été assurées avec des conteneurs (de 53 pieds) de la marque Walmart, le premier avec 177 boîtes à son bord et le second avec 247 unités.
Los Angeles toujours dans une situation critique
Une armada de navires au large de San Pedro
Les déclarations de Walmart interviennent alors que les ports de la côte ouest-américaine inquiètent à nouveau. Los Angeles et Long Beach étaient parvenus à plus ou moins juguler le nombre de navires en attente, mais le nombre de navires au mouillage est reparti à la hausse depuis fin juin. Il y avait 49 porte-conteneurs dans le complexe portuaire Los Angeles/Long Beach et une vingtaine à l’ancre mi-juillet. Selon Marine Traffic, 37 navires sont toujours ancrés au large des deux ports. Certains attendent depuis plus d'une semaine. La baie de San Pedro « a l'air de faire face à une force d'invasion. Il y a une armada au large de la côte », en plaisante un transitaire.
La fermeture partielle du terminal à conteneurs de Yantian en mai a complètement désorganisé le cadencement des opérations. Un tiers de tous les services de navires faisant escale à Los Angeles proviennent de la province du Guangdong (à laquelle appartient Yantian). Los Angeles éponge toujours la baisse de productivité observée pendant plusieurs semaines dans la région asiatique alors que les ports du sud de la Chine ont retrouvé leurs cadences depuis la fin du mois de juin. Ce sont autant de flux que Los Angeles a dû gérer en juillet et août.
Ningbo, retour à la normale plus vite que prévu ?
Des temps d’attente toujours plus longs
À Los Angeles, 890 800 EVP ont été manutentionnés en juillet, dont 469 361 EVP à l’import. Avec 91 440 EVP, les volumes exportés sont les plus faibles depuis février 2005, selon la direction du port. Les conteneurs sortants vides ont fait un bond de 20 % par rapport à l'année précédente, pour atteindre 329 999 EVP. « Notre principal produit d'exportation reste l'air, car nous repositionnons les conteneurs vides vers l'Asie », avait alors commenté Gene Seroka, le directeur du port de Los Angeles, en référence à l’absence de fluidité dans la rotation des boîtes à réexpédier.
Selon le dirigeant, le temps d'attente moyen des porte-conteneurs aux terminaux est « à son maximum, soit environ 5,3 jours ». Le temps d’immobilisation des conteneurs au port est de 8,3 jours et celui des trains « dépasse les 13 jours ».
25,9 MEVP en 2021 ?
Et pourtant, les stocks peinent toujours à se reconstituer. Selon le dernier rapport mensuel (Global Port Tracker) de la National Retail Federation, la puissante fédération des détaillants américains, les importations dans les plus grands ports à conteneurs du pays devraient atteindre un pic en août, à 2,37 MEVP en août. Elle s’attend à un total de 25,9 MEVP en 2021 alors que le premier semestre a encaissé 12,8 MEVP. Les volumes mensuels devraient rester au-dessus des 2 MEVP d’ici à la fin de l’année.
L’attention se porte dorénavant aussi sur le troisième port mondial, Ningbo, alors que la réouverture progressive du terminal à conteneurs de Meishan Island à Ningbo est annoncée deux semaines après la détection d’un cas positif parmi les employés. Après Yantian, c’est l’épisode qui tient en haleine tout un secteur qui finit par perdre du souffle face à cette série Covid sans fin. Sachant que chaque choc aggrave la pénurie de conteneurs et de navires et entraîne une nouvelle hausse des taux de fret.
Adeline Descamps