De façon implicite ou explicite, au gré des aléas de la conjoncture et autres turbulences, la cession de Maersk Supply Service est chroniquement revenue en haut de la pile des affaires urgentes à traiter.
Depuis 2016, date à laquelle A.P Møller Maersk a entamé le processus de réorganisation de ses marques, à la suite de la cession de ses activités pétrolières (Maersk Tankers, Maersk Oil & Gas et Maersk Drilling) pour se recentrer sur son cœur de métier (conteneurs, services portuaires et logistique terrestre), le groupe danois a achoppé sur le cas de la filiale dédiée aux services maritimes offshore. Plus exactement, Maersk cherchait à vendre cette entreprise fondée en 1967 mais sans succès apparent.
Après avoir longtemps bénéficié de la manne de l'industrie pétrolière, Maersk Supply Service (36 navires, 1 300 navigants, 300 sédentaires) a encaissé les coups durs depuis l'effondrement du prix du pétrole en 2014 qui a contraint les investissements pétroliers et gaziers et affecté la demande de navires de services. Sous pression financière, l’entreprise a accumulé les dépréciations, ventes de navires et plans sociaux. Depuis 2016, Maersk aurait procédé à des dépréciations pour un montant total de 2,4 Md$.
Ces derniers mois, le groupe danois a néanmoins brouillé les pistes, laissant croire à un intérêt renouvelé pour sa filiale, en injectant à nouveau des capitaux. Plus récemment, lorsque Maersk a annoncé la disparition de ses marques – Hamburg Süd, Alianza, Sealand et Twill –, pour se fondre en une marque unifiée, elle n’avait pas été officiellement concernée par le remaniement interne.
L’opération a troublé les observateurs car il était de notoriété que MSS faisait partie des quatre marques soumises à « un examen stratégique », ce qui signifie dans le jargon des entreprises que les « meilleurs scénarios pour l'avenir » sont étudiés, y compris une vente. Certains signes annonciateurs n’ont pas abusé. Toutes ont été transférées à la division « Finance, marques stratégiques », sous la direction du directeur financier de Maersk, Patrick Jany.
Sortie des eaux troubles de la rumeur
Fin du jeu de piste. Une solution a été trouvée : l’acquéreur est le cédant. A.P. Møller Holding, actionnaire principal de Maersk (41,51 % des actions du groupe mais 51,45 % des votes) rachète l’entreprise au groupe danois. Premier fait saillant depuis que Robert Mærsk Uggla a été nommé en février 2022 à la tête du conseil d’administration, marquant ainsi le retour de famille Maersk à la plus haute fonction du conseil. Le même schéma de vente avait soldé la vente du transporteur pétrolier Maersk Tankers en 2017.
La valeur de l’entreprise a été estimée à 685 M$ (dette portant intérêts comprise). Une estimation que les autres actionnaires – des sociétés de capital-investissement et investisseurs institutionnels –, pourraient estimer sous-valorisée mais le communiqué de Maersk n’en fait pas mention.
Selon le dernier rapport financier annuel du groupe danois, Maersk Supply Service a enregistré une augmentation de 30 % de son chiffre d'affaires en 2022, à 390 M$, « reflétant une activité de projet accrue, une meilleure utilisation de la flotte d'affrètement à temps et des taux journaliers plus élevés ».
L'Ebitda (excédent brut d'exploitation) s’est établi à 25 M$, principalement en raison de l'amélioration de l'activité d'affrètement à temps et des revenus tirés des projets. Ses capitaux propres s'élevaient à 522 M$ en fin d’année dernier, après une année 2021 en perte de 289 M$ à la suite d'une série de dépréciations d'actifs.
« Jusqu'à l'obtention de toutes les autorisations réglementaires requises et la clôture de la transaction, Maersk Supply Service restera une filiale de A.P. Møller-Maersk et gérera ses activités de manière indépendante », précise le communiqué.
D’autres cessions à venir ?
La cession de Maersk Supply Service pourrait ouvrir la voie à celle des autres activités de la division Towage & Maritime Service (Remorquage et services maritimes), qui comprend aussi Svitzer, Maersk Container Industry (MCI) et Maersk Training.
La vente de MCI, spécialisée dans la fabrication de conteneurs, est aussi régulièrement chroniquée. Il en était question en mars 2021 suite à une révélation de Bloomberg, immédiatement démentie par Maersk, tandis que le projet de reprise par China International Marine Containers (CIMC), le leader mondial dans la fabrication des conteneurs, a achoppé sur l’opposition des autorités de la concurrence du ministère américain de la Justice (U.S. Department of Justice, DOJ) en septembre 2022. Une opération qui aurait permis au Chinois de contrôler 50 % du marché.
Clôture d’une séquence
Maersk clôture ainsi une séquence après avoir injecté des capitaux en 2022 dans sa filiale offshore pour la désendetter et la positionner sur le support à l'industrie éolienne offshore en plein essor, secteur à forte intensité de capital et d'investissement, avec notamment 428 M$ sous forme de « contribution non imposable » et 49 M$ par le biais d’une recapitalisation.
Pour ce faire, le prestataire de l’industrie pétrolière a passé commande de son premier navire d'installation d'éoliennes (WTIV) auprès du constructeur singapourien Sembcorp Marine (d’une valeur probable de plus de 350 M$), qui devrait lui être livré début 2025.
MSS vise le marché américain de l'éolien offshore, où l’entreprise a remporté un premier contrat auprès d’Empire Offshore Wind, la coentreprise entre les compagnies pétrolières Equinor et BP, à la manœuvre sur le parc éolien offshore au large de la côte est du pays. Selon ses données, le potentiel du continent nord-américain de 30 GW d'ici 2030 devrait nécessiter six à sept WTI au cours de la prochaine décennie.
Dans le cadre de ce contrat, Maersk Supply Service a conclu un accord avec Kirby Offshore Wind, une filiale de Kirby Corp., l'un des plus grands exploitants de navires de services offshore aux États-Unis en vertu de la loi américaine Jones Act.
En France, elle a décroché un contrat pour le transport et la livraison de trois éoliennes destinées au projet Eoliennes Flottantes du Golfe du Lion, au large de Leucate. Les opérations en mer sont prévues pour le quatrième trimestre 2023.
L’an dernier, les concurrents et acteurs de ce marché se demandaient si les nouveaux projets dans l’éolien étaient une tentative de rendre Maersk Supply Service plus « désirable », ou correspondaient à un vrai intérêt pour l'éolien offshore. Ils devraient être prochainement fixés.
Adeline Descamps
Les six dates clés du retrait de Maersk du secteur de l'énergie
Septembre 2016 : Maersk annonce son retrait de l'industrie pétrolière
Août 2017 : Maersk Oil est vendu à Total pour 7,45 M$.
Septembre 2017 : Maersk Tankers est cédé à A.P. Møller Holding pour 1,2 Md$
Avril 2019 : Maersk Drilling est introduit en bourse
Novembre 2021 : Maersk Drilling est rachetée par Noble Drilling pour 3,4 Md$
Mars 2023 : Maersk Supply Service est cédé à A.P. Møller Holding