Le « retournement de marché » serait-il un terme épouvantail pour les transporteurs maritimes qui lui préfèrent, unanimement, le terme de « normalisation » pour décrire l’éclatement de la bulle du fret.
La forte demande de transport s’est tarie à mesure que les congestions, héritées de la période pandémique, se sont dissipées et que la consommation ait été asséchée par la fièvre inflationniste, entraînant des surplus dans les stocks.
L’ensemble s’est traduit par des baisses rapides et marquées des volumes expédiés à partir de la fin du troisième trimestre 2022. Pour A.P. Møller - Maersk, cette date a précisément coïncidé avec le pic de ses taux de fret et avec son 16e et dernier trimestre consécutif de croissance des bénéfices.
De 21,7 Md$ à 13 Md$ en un an
Le groupe danois a annoncé un résultat net de 1,49 Md$ pour le deuxième trimestre 2023, en baisse de 83 % par rapport à l'année précédente. Le chiffre d'affaires a diminué de 8,7 Md$ pour s’établir à 13 Md$, une sous-performance essentiellement attribuable à la division Ocean).
Les revenus de l’activité maritime affichent un manque à gagner de 8,7 Md$ par rapport au deuxième trimestre 2022 sous l'effet d'une baisse des taux de fret de 51 % (2 444 $ par conteneur de 40 pieds, soit 427 $ de moins encore par rapport au trimestre précédent) et des volumes chargés de 6,1 % (2,9 MEVP), bien qu’en rebond par rapport au premier trimestre (+ 6,7 % soit 182 000 EVP)
Retour aux résultats en millions
À 3,4 Md$, l’activité logistique voit aussi son chiffre d’affaires baisser (de 174 M$), affectée par le surstockage, l'affaiblissement de la demande et la faiblesse des tarifs.
Dans le domaine de la manutention portuaire, les recettes (- 116 M$) sont revenues dans la sphère des millions (950 M$ versus 1,1 Md$) en raison, selon le rapport financier, de la décongestion des ports en grande partie.
Révision à la hausse des bénéfices
L'Ebitda du groupe (résultat opérationnel avant amortissements et dépréciations) s’est fixé à 2,9 Md$ (contre 10,3 Md$ il y a un an) et l’Ebit (bénéfices avant déduction des charges, des produits d'intérêt et des impôts) à 1,6 Md$ (loin des 9 Md$ enregistrés au deuxième trimestre 2022).
En conséquence, la marge Ebit, qui était à plus de 40 % au deuxième trimestre 2022, s’est sérieusement dégradée tout en restant extrêmement rentable, à 12,4 %.
Celle de l’activité logistique s’est également détériorée, à 3,4 % (contre 6,7 %) sous la pression des coûts compte tenu de l'élargissement du portefeuille, résultant des acquisitions, précise le groupe danois.
La dégringolade de tous les indicateurs, qui sont tous inférieurs de 8 Md$, n’empêche pas le numéro deux mondial du transport maritime de conteneurs de revoir à la hausse ses prévisions de bénéfices pour l'ensemble de l'année mais en les abaissant pour le second semestre. Une revoyure essentiellement motivée par des résultats supérieurs à ce qui avait été anticipé, y compris par les analystes financiers (Bloomberg tablait sur un Ebitda de 2,3 Md$ et un Ebit de 800 M€).
Des taux de fret toujours bien supérieurs à 2019
Les taux de fret n’y sont pour rien. De 31 % plus élevés qu’au deuxième trimestre 2019 (1 832 $/EVP), ils sont passés en un an de 5 598 $ à 2 382 $ sur les lignes Est-Ouest sachant que Maersk a 68 % de ses capacités placées sous contrat à long terme.
En revanche, les coûts d’exploitation (soutage, manutention des conteneurs et affrètement), inférieurs aux prévisions (- 17 %, à 6,5 Md$), ne sont pas étrangers à la meilleure tenue du second trimestre.
Sans tout expliquer, le ralentissement de la vitesse a contribué à alléger la soute dont la facture a baissé de 34 %. Selon Clarksons, la vitesse moyenne des porte-conteneurs a diminué de 3 %, passant de 14,4 nœuds au deuxième trimestre 2022 à 13,9 nœuds au deuxième trimestre 2023.
Coûts d’exploitation, variable d’ajustement
En conséquence, l’Ebit, estimé initialement entre 2 et 5 Md$, est désormais attendu entre 3,5 Md$ et 5 Md$. Étant donné que le groupe a réalisé un résultat opérationnel de 3,9 Md$ au premier semestre, le second semestre devrait donc se matérialiser par un résultat opérationnel se situant entre 400 M$ et 1,2 Md$.
L’Ebitda est également rehaussé, entre 9,5 et 11 Md$ (contre 8 à 11 Md$ précédemment).
« Nos actions décisives en matière de maîtrise des coûts et notre portefeuille de contrats ont permis d'atténuer certains des effets de la normalisation du marché », commente Vincent Clerc, PDG de Maersk, qui n’est pas pour autant devenu exagérément optimiste.
Pas de reprise substantielle des volumes
Le dirigeant voit peu de signes d'une reprise substantielle des volumes au cours du second semestre, une fois que le déstockage aura pris fin. « Nous nous attendons à un marché difficile pour les deux prochaines années. Il est possible que certains trimestres soient négatifs », a-t-il prévenu lors des échanges avec la communauté financière.
En clair, les réservations ne permettent pas de planifier une reprise régulière des volumes. « Alors que le ratio stocks/ventes s'est amélioré chez les détaillants, il est resté élevé chez les grossistes. Les efforts pour aligner les stocks sur la demande sont en cours, mais il y a encore du travail à faire, ce qui continuera à affecter les activités logistiques dans tous les segments », souligne-t-il.
Preuve en est, A.P. Møller - Maersk revoit à la baisse la croissance du volume mondial de conteneurs comprise entre - 4 % et - 1 % contre - 2,5 % à + 0,5 % précédemment.
Données extraites du rapport financier du groupe A.P. Moller Maersk, premier semestre 2023. ©JMM
Peu de salut du côté de la logistique
La logistique et le fret aérien ne seront pas d’un grand secours. Selon l’IATA, les volumes de tonnes-kilomètres de fret (CTK) ont chuté en moyenne de 11 % en avril et en mai sur le marché nord-américain, de 2 % en Asie-Pacifique et de 7 % en Europe.
Le chiffre d'affaires de ce segment, appelé à être un relais de croissance au (trop) cyclique transport maritime, a diminué de 3,3 % à 3,4 Md$, « principalement en raison de la baisse des volumes dans les secteurs de la vente au détail et de l'art de vivre, en particulier en Amérique du Nord », précise le rapport d’activité.
Il n’est pas encore à la hauteur de l’objectif de base du groupe qui vise une marge d'exploitation (Ebit) supérieure à 6 % alors que le segment a enregistré une marge de 4,3 % au cours des douze derniers mois et de 3,4 % au cours du dernier trimestre.
Des acquisitions logistiques payantes
Toutefois, les acquisitions en 2022 de Pilot, LF Logistics et Senator International et celles en 2023 de Martin Bencher Group et Grindrod Logistics ont contribué à la croissance du chiffre d'affaires de 560 M$ ces trois derniers mois. L’ensemble a permis au groupe de porter sa capacité de stockage à 7,5 millions de m² dans 446 entrepôts.
Depuis 2018, le Danois a plus que doublé les revenus issus de ses activités logistiques, passées de 6,1 à 14,4 Md$.
Risque majeur ou mineur ?
Parmi les déterminants du marché, Vincent Clerc ne cache pas ses inquiétudes face aux « risques liés à l'offre ».
À la fin du deuxième trimestre, la capacité de la flotte mondiale de porte-conteneurs s’élevait à 27,3 MEVP, déjà en hausse de 6 % par rapport à l’an dernier mais le pire est à venir.
Maersk est le seul parmi les dix premiers transporteurs de conteneurs à ne pas s’être livré à la grande fête de la construction navale, s’engageant il y a deux ans à ne commander que des navires verts, destinés à remplacer ses unités les moins efficientes sur le plan énergétique.
Il a honoré sa promesse avec moins de 10 % de sa capacité exploitée (4,1 MEVP) en commande (400 000 EVP), soit les unités de sa future flotte au méthanol.
En septembre 2023, il accueillera son premier navire à carburant vert, le premier porte-conteneurs au monde au méthanol, le combustible étant fourni par OCI Global selon un accord signé en juin.
Adeline Descamps
Maersk à contre-courant des autres acteurs du marché
Selon les données réactualisées d'Alphaliner, Maersk détient une part de capacité globale de 15,2 %, désormais loin derrière MSC (19 %) à qui il a cédé la place en janvier 2022.
Maersk s’inscrit à contre-courant de la marche des dix premières compagnies du secteur qui ont, collectivement, consolidé leur emprise au cours des cinq dernières années, passant de 81 % à 84 % de la capacité du marché. Celle de Maersk a chuté de 18,5 % à 15,2 %.
Et le groupe a clairement indiqué où se situaient désormais ses priorités, à savoir dans la diversification verticale de ses activités, alors qu'il s’est engagé à ne pas augmenter sa flotte au-delà de 4,3 MEVP. Tant et si bien que CMA CGM pourrait dépasser celle de Maersk dès 2026.
Après avoir réduit la capacité de sa flotte de 1,4 % en 2022, Maersk a continué à vendre des navires ou à mettre fin à des contrats d'affrètement au cours du premier semestre 2023, réduisant à nouveau la capacité de sa flotte de 2,1 % par rapport au début de l'année.
À la fin du mois de juillet, le groupe avait conclu 36 affrètements contre 400 à 500 par an avant le Covid et 100 en 2022.
Cosco/OOCL et ONE partagent avec Maersk le fait d’avoir réduit leur capacité. Le transporteur japonais ONE a réduit sa flotte de 7,1 % par rapport à 2018. Toutefois, la société a programmé 20 Md$ d'ici 2030 de façon à mettre à l’eau 150 000 EVP par an pour porter sa flotte à 2,3-2,4 MEVP d'ici la fin de la décennie. Le groupe chinois a vu sa part de marché chuter de 12,1 % à 10,7 % entre 2018 et aujourd'hui.
A.D.