Il y avait du beau monde, le 3 octobre, quai Gallieni à Suresnes, au siège de Louis Dreyfus Armateurs, pour marquer le coup alors que le groupe LDA, via sa filiale TravOcean et en consortium avec Prysmian, a emporté le contrat pour la fourniture, l’installation et la protection des câbles sous-marins, qui vont relier les éoliennes à la sous-station électrique du parc des îles d’Yeu et de Noirmoutier. Le contrat a été signé par Édouard Louis-Dreyfus, président de LDA, et le donneur d’ordre Paolo Cairo, à la tête de EMYN (Éoliennes en Mer Îles d'Yeu et de Noirmoutier), groupement composé d’Ocean Winds (la coentreprise d’Engie et d’EDP Renováveis dans l’éolien en mer), Sumitomo Corporation et La Banque des Territoires (Caisses des dépôts).
Pour rappel, EMYN a été désignée en juin 2014 lauréate de l’appel d’offres pour la construction, l’installation et l’exploitation du champ offshore au large des côtes vendéennes. Là, à 11,7 km de l’île d’Yeu et à 16,5 km de Noirmoutier, à une profondeur variant de 19 à 36 m, doivent être installées 62 turbines, dont la puissance consolidée (496 MW) devrait produire, d’ici sa mise en service en 2025, 1 900 GWh par an en moyenne, ce qui représente l’alimentation en électricité d’environ 790 000 foyers.
Selection des fournisseurs de rang 1
Alors que le projet a été libéré des autorisations administratives fin 2018 (mais pas forcément purgé des recours contentieux), seuls le choix de Siemens Gamesa pour la fabrication des éoliennes et des Chantiers de l’Atlantique pour la sous-station électrique étaient connus. Les fournisseurs de rang 1 commencent à peine à être dévoilés. Un timing typique de ce type de projet industriel au long cours. Les appels d’offres pour les différents éléments du parc ont été finalisés fin 2020 et lancés en 2021. Sélectionnés, les équipementiers de premier rang enclencheront la sélection de la sous-traitance en cascade.
Pour cette nouvelle mission, c’est encore LD TravOcean, experte dans l’ensouillage et la protection des câbles sous-marins, et Prysmian, un groupe italien à la position dominante au niveau mondial dans la fabrication de câbles et des systèmes de transmission d'énergie, qui seront à la manœuvre. Le mode de fonctionnement du duo avait déjà été éprouvé à l’occasion du contrat obtenu pour le parc de Saint-Nazaire (installation des 80 éoliennes finalisée depuis le 5 septembre) pour lequel il s’agissait d’installer 116 km de ces tuyaux triphasés de cuivre et d’aluminium et bourrés de fibres optiques.
Fiabilité technique et compétitivité des entreprises françaises
Sur ce marché où prime l’expertise technique (au moins autant que la proposition commerciale), l’expérience accumulée par LDA dans les travaux maritimes offshore et plus récemment dans le domaine des énergies en mer, semble avoir fait la différence. « Ce contrat témoigne de la fiabilité technique et de la compétitivité acquise par les entreprises françaises positionnées dans ce secteur d’activité », confirme Paolo Cairo.
Les deux partenaires partait avec un autre avantage. La prestation de Saint-Nazaire, effectuée dans un délai plus court qu’initialement prévu et « dans des normes qualité et de sécurité », les a sans doute avantagés dans la mesure où la solution innovante et non intrusive du point de vue écologique déployée au large de la Loire-Atlantique va être répliquée sur les côtés vendéennes, explique Olivier Le Nagard, le directeur général de LD TravOcean.
Le travail pour le navire câblier, accompagné du navire de soutien offshore, qui consiste à tirer un câble depuis l’intérieur de la fondation de la première éolienne, avant de rallier la suivante en relâchant le câble dans son sillage, est une tâche laborieuse, plus ou moins compliquée par la nature du substrat rocheux. En l’occurrence, il l’est sur cette façade maritime si bien qu’au lieu d’ensouiller les câbles au fond de l’eau, à deux mètres de profondeur, ils seront posés et protégés par des coquilles en fonte. La phase de sélection du fournisseur de ces 60 km de coquilles par LD TravOcean devrait être lancée sous peu (à Nantes, l'Armoricaine de Fonderie le Châtelet avait été choisie).
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Approche affréteur
Dans ce genre de projets, dont la durée d’intervention ne permet pas de justifier un investissement à l’amortissement de long terme, LDA ne s’engage pas dans de nouveaux navires mais affrète. « La durée d’affrètement est très courte, de l’ordre de 12 mois, avec de surcroît des interruptions dans la mission. Investir dans un navire n’a pas de sens technique », explique ajoute Olivier Le Nagard. « Notre valeur ajoutée est précisément de rendre spécifiques les navires que l’on va affrète en l’équipant d’outils et de ressources adéquats. »
La fabrication des câbles par Prysmian, qui dispose en France de dix sites de production, ainsi que les études et la préparation des travaux menés par LD TravOcean dureront plus d’un an, à partir de début 2023. La filiale de LDA assurera en outre le transport et du stockage des câbles. Produits en France, ils seront assemblés et armés à Nordenham en Allemagne, ensuite convoyés vers le port de Saint-Nazaire où ils seront stockés, prêts pour la pose au fur et à mesure de l’avancée du chantier. La préparation des moyens nautiques s’opère, elle, depuis la base logistique de TravOcean à Dunkerque. Les travaux de pose et de raccordement des câbles auront lieu en deux campagnes, la première à l’été 2024 et la seconde de mars à juin 2025.
Virage progressif dans les smart vessels
Pour LDA, qui a soldé définitivement cet été son passé d’opérateur dans le vrac ses en vendant ses derniers vraquiers, le contrat porte une charge hautement symbolique. Car il vient conforter le bien-fondé d’un parcours – diversification dans les services industriels à valeur ajoutée en mer – déroulé avec patience et conscience environnementale depuis vingt ans.
« Cette signature est non pas l’aboutissement mais une étape importante dans le virage, opéré il y a maintenant plus de 20 ans par mon père, alors président du groupe, pour s’affranchir du vrac sec et diversifier le groupe dans une marine de services et à valeur ajoutée. Une activité où le niveau d’expertise de nos navigants français permet de justifier le pavillon français. C’est ainsi que le groupe a développé la recherche sismique à une époque, le câble toujours aujourd’hui, le transport de pièces détachées pour Airbus et plus récemment le choix très volontariste de se positionner dans les énergies renouvelables en mer à la fois à travers le câblage et la maintenance dans les champs éoliens », résume Édouard Louis-Dreyfus.
Toute la spécificité de la diversification de l’entreprise tient en effet dans cette réflexion initiale : œuvrer dans des niches avec des navires sophistiqués et des profils qualifiés, sans quoi le pavillon France serait inopérant. La logistique éolienne procède de la même approche que celle qui a été mise en œuvre au service de la logistique câblière pour le compte Alcatel Submarine Networks (huit câbliers sous pavillon français) ou de la logistique industrielle pour Airbus.
Toujours plus loin dans les prestations
Dans l’éolien, LDA va de plus en plus loin dans les prestations, mais en se contentant pour l’instant des activités périphériques que sont la fourniture de grands navires de soutien à l’entretien des champs éoliens (support offshore vessels, SOV), de navires de transfert de personnels (crew transfer vessel, CTV) et de mise à disposition de techniciens.
Sur le marché des SOV, deux sont déjà en exploitation : le Wind of Change, affecté à la maintenance de fermes éoliennes au large de l’Allemagne pour le compte de l’énergéticien danois Orsted et le Wind of Hope, cette fois pour un parc en Grande-Bretagne, également pour le Danois.
Pour le champ au large de Saint-Nazaire, LD Tide, coentreprise créée l’an dernier pr LDA avec la société Tidal Transit, a été retenue pour le transport sur site des techniciens de maintenance. Trois crew transfer vessels (CTV) ont été commandés, dont un affrété par EDF Renouvelables, l’exploitant du parc de Saint-Nazaire, et les deux autres par GE Renewable Energy, le fournisseur des éoliennes.
Quant aux prestations qui pourraient encore intéresser le groupe, le transport de colis lourds, selon les opportunités et les contraintes géographiques et logistiques, pourrait être un trafic à développer, concède le président de LDA. Avec toutefois une limite : « la durée d’amortissement du projet car il s’agit de navires extrêmement couteux ». Chez LDA, l’aversion aux commandes spéculatives se transmet de génération en génération. Un trauma hérité du vrac sec...
Favoriser l’émergence d’une filière industrielle
Désormais, les énergies marines renouvelables (EMR) contribuent à « un petit tiers de l’activité [430 M€ de chiffre d’affaires, NDLR] mais notre objectif est de le porter à au moins 40 % dans les dix ans à venir », ajoute Édouard Louis-Dreyfus, qui entend contribuer à la structuration d’une filière française dans ce secteur où la France accuse du retard par rapport à ses voisins du range nord mais dispose d’un potentiel certain.
« Le marché français a été lent à se développer par rapport aux pays d’Europe du Nord mais les choses s’accélèrent, assure Marc Hirt, directeur général d’Ocean Winds France (14 projets en portefeuille totalisant 11,5 GW). Il en veut pour preuve le bond entre le premier appel d’offre lancé en 2013 et les trois autres qui ont suivi. « Il a fallu six ans entre le premier et le deuxième mais plus que trois entre les deux derniers ». Le cadencement sont importants pour l’industrie, insiste le dirigeant, qui se félicite du projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables (il a été présenté fin septembre en Conseil des ministres).
Pour lui, la filière industrielle est bien représentée en France. « Nous avons deux grosses usines de fabrication de turbines, à Saint-Nazaire et au Havre. Il n’y a pas d’autres pays qui en ont autant. On a des acteurs armateurs comme LDA et un écosystème de sous-traitants. Les turbines, les câbles, les fondateurs exigent de l’expertise. Peu d’entreprises peuvent s’en prévaloir. Le seul facteur limitant est la vitesse avec laquelle l’État met les projets sur le marché. »
Adeline Descamps