L'État va acquérir 80 % du capital d'Alcatel Submarine Networks

Ile d'Ouessant

Louis Dreyfus armateurs (LDA) gère, sous pavillon français Rif, la flotte des sept navires câbliers d’ASN.

Crédit photo ©Louis Dreyfus Armateurs
Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, a signé le 26 juin une promesse d’achat, auprès de Nokia, pour acquérir Alcatel Submarine Networks, dont les navires câbliers sont gérés par Louis Dreyfus Armateurs. Les récents événements en mer Rouge et mer Noire ont montré à quel point les câbles sous-marins sont des domaines réservés.

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a signé le 26 juin une lettre d'intention pour acquérir, via l’Agence des participations de l’État (APE), 80 % d'Alcatel Submarine Networks (ASN), l'ancienne division de câbles sous-marins d'Alcatel entrée dans le giron de Nokia à l'issue de la fusion avec Alcatel-Lucent en 2015.

Le groupe finlandais conservera néanmoins une participation de 20 % et une représentation au sein du conseil d'administration « jusqu'à la sortie ciblée afin d'assurer une transition en douceur », indique Nokia de son côté sans en préciser la durée. À cette échéance, il est prévu que l'État prenne le contrôle absolu sur le capital de l'entreprise.

Selon une estimation de Bercy, l'État devrait débourser environ 100 M€ pour acquérir ASN dont la valorisation est estimée à 350 M€ (chiffre d’affaires de plus d’1 Md€, 2 000 salariés dont 1 370 en France, notamment à Calais).

La vente d’ASN signe un retour au bercail après une tentative avortée. L’entreprise, qui figure parmi les leaders mondiaux dans la fabrication et la pose de câbles sous-marins avec plus de 750 000 km de câbles optiques sous-marins déployés dans le monde, avait déjà fait l'objet de tractations en 2019 en vue d'un rachat par l'équipementier français Ekinops. La transaction a avorté. Toutefois, dans le cadre des accords signés avec le groupe finlandais en 2015, l'État français avait négocié un droit de regard en cas de vente d'ASN.

Transaction stratégique

Cette opération, qui doit être soumise aux autorisations réglementaires et à la procédure d’information-consultation des instances représentatives du personnel, devrait être finalisée fin 2024 ou début 2025.

Le rachat d’ASN « démontre la capacité de l’État à investir dans des sociétés françaises afin de soutenir et développer leurs activités stratégiques », indique le communiqué de Bercy. Une référence au fait que les câbles sous-marins constitutent un domaine souverain, assurent 99 % des communications numériques mondiales, y compris financières, militaires ou étatiques.

Pour rappel, l'armateur français Louis Dreyfus armateurs (LDA) gère, sous pavillon français Rif, la flotte des sept navires câbliers d’ASN (les Ile de Batz, Ile de Bréhat, Ile de Sein, Ile d’Aix, Ile d’Ouessant, Ile de Molène et Ile d’Yeu).

Pour la petite histoire, c'est LDA, alors lauréate de l’appel d’offres lancé par Alcatel dans les années 2000 auprès de 12 compagnies maritimes pour exploiter la flotte, qui avait convaincu le fabricant d'équipements de télécommunications de disposer de ses propres navires. Jusqu'alors, Alcatel, qui a contrôlé jusqu'à 50 % du marché mondial de la pose de câbles sous-marins, se contentait d'être affréteur et d’une relation classique client-fournisseur. À la place, il s'est vu embarquer dans une filiale commune avec LDA (51/49 %) jusqu'à 2015, date à laquelle la coentreprise sera cédée.

Le positionnement de Louis Dreyfus Armateurs dans la pose et la réparation de ces gros tuyaux de fibre optique requérant une expertise particulière fait partie des intuitions de marché que l'ex-opérateur de vraquiers a « senties » avant l’heure comme pour l’éolien flottant une décennie avant que n’advienne le marché.

Une flotte unique de navires cabliers

La reprise en main par l'État français témoigne du caractère stratégique de ces activités. La France dispose de la plus grande flotte de navires câbliers du monde et cette dernière doit étoffer le bataillon dit de « flotte stratégique » à laquelle le gouvernement cherche à donner corps.

« Ces câbles sont fragiles et représentent un véritable enjeu de souveraineté. L’actualité nous a prouvé que les sabotages en mer étaient possibles, que ce soit pour des câbles sous-marins ou des gazoducs », indique le rapport du député varois Yannick Chevenard, que le gouvernement a mandaté pour faire aboutir le concept de flotte stratégique. « Il est donc vital d’assurer le maintien et l’entretien de notre flotte de câbliers afin de pouvoir rétablir très rapidement les fonctionnements de nos communications en cas de conflits, à défaut de pouvoir les surveiller », préconise le parlementaire.

Avec l'intention de nuire

Le réseau des infrastructures en fibre optique – dont le nombre est estimé à environ 400, cumulant plus d’1,2 million de km –, est particulièrement vulnérable aux phénomènes naturels et aux accidents causés par des ancres de navires ou des filets de pêche (en moyenne, 150 défaillances par an). Mais dans le contexte guerrier actuel, ouvert sur plusieurs fronts, ce n’est vraiment l'aléa accidentel qui est redouté mais l'acte avec l'intention de nuire, en compromettant ou en brouillant les échanges d’informations, comme le soulève un rapport récent du Gulf International Forum.

La probabilité d'un acte malveillant n'est pas une vue de l'esprit. Les entreprises de télécommunications yéménites ont tiré la sonnette d'alarme début février craignant une action de sabotage du groupe militant proche de l'Iran sur les câbles sous-marins de la mer Rouge après un message implicite diffusé sur Telegram, chaîne acquise aux intérêts houthis.

La mer Rouge est parcourue par seize de ces gros tuyaux en fibre optique (et six autres sont prévus) sur quelque 2 000 km, reliant ainsi l'Europe à l'Inde et à l'Asie de l'Est, rappelle la société de télécoms du Yemen sous l’autorité du gouvernement légitime du pays (reconnu par l’ONU). L'un des plus importants est le câble AAE-1 Asie-Afrique-Europe, long de 25 000 km. Selon HGC Global Communications, qui les exploite, les câbles ont été endommagés ces derniers mois affectant 25 % du trafic numérique. La cause des dommages n’a toutefois pas été formellement établie.

Zone grise et menaces hybrides

« Les domaines cybernétique et maritime sont de plus en plus des espaces de guerre en zone grise et de menaces hybrides », peut-on lire dans un rapport européen de 2022 (Security threats to undersea communications cables and infrastructure – consequences for the EU), qui mentionne la Russie et la Chine.

Si le rapport exclut un scénario de black out total au sein de l'UE ou de l'un de ses États membres, il est moins catégorique en ce qui concerne les territoires d'outre-mer (La Réunion et Mayotte), ultra-dépendants des câbles sous-marins pour leurs accès à une connectivité mondiale.

Adeline Descamps

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