Après la Belgique, le Congo, la Croatie, le Danemark, l’Estonie, la France, l’Allemagne, le Ghana, l’Inde, le Japon, Malte, les Pays-Bas, la Norvège, Panama, la Serbie, la Turquie, l’Espagne rejoint la liste des États contractants à la convention de Hong Kong pour un recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires en fin de vie. Ensemble, les 17 États totalisent 29,77 % du tonnage brut de la flotte mondiale des navires marchands. La donnée n’est pas anodine puisque l’entrée en vigueur du texte ouvert à la signature depuis 2009 lui est conditionnée. Avec l’adhésion de la Turquie et de l’Inde en 2020, le nombre de pays a été atteint mais toujours pas le tonnage.
Or, pour que le traité international rédigé sous l'égide de l'OMI, d’ONG, de l'Organisation internationale du travail (OIT) et des parties prenantes de la Convention de Bâle, soit promulgué, il doit être paraphé par au moins 15 États et 40 % de la flotte mondiale de navires marchands.
90 % des navires démantelés en Asie du Sud-Est
Le texte impose, entre autres, aux propriétaires et exploitants de navires de fournir aux chantiers de démantèlement un inventaire des matières potentiellement dangereuses, et aux chantiers d’établir un « plan de recyclage » précisant la manière dont chaque navire sera démantelé, en fonction de ses caractéristiques propres et de cet inventaire et dans le respect de la sécurité des employés et de la protection de l’environnement.
Selon le dernier rapport de la Cnuced (Review of Maritime Transport 2020), le Bangladesh, l'Inde et la Turquie représentent à eux trois 90,3 % de l'activité au niveau mondial. L’OMI considère que si le Bangladesh adhérait au traité, il entrerait de facto en vigueur à l'échelle mondiale.
204 navires envoyés à la casse entre janvier et mars
En 2020, d’après l'ONG Shipbreaking Platform qui recense tous les faits en lien avec le recyclage des navires, 630 navires marchands et unités offshore ont été vendus aux chantiers de démantèlement. Sur ce total, 446 ont été démantelés sur trois plages d'Asie du Sud-Est : la baie d’Alang en Inde (153 parcelles dédiées à la démolition sur une côte de 10 km), les plages de Chattogram au Bangladesh et de Gadani au Pakistan. « Au moins dix travailleurs ont perdu la vie lors du démantèlement de navires au Bangladesh et au moins 14 autres ont été gravement blessés », ajoute l’ONG qui reste approximative dans ses estimations en raison du manque de transparence dans les données.
La situation n’évolue guère puisqu’en 2019, 469 navires et unités offshore sur un total de 674 avaient été démantelés sur les trois mêmes plages de l’Asie du Sud-Est. Au cours du premier trimestre de 2021, 204 navires ont été envoyés à la casse. Ce sont les armateurs grecs qui ont vendu le plus grand nombre de navires aux chantiers d'Asie du Sud, avec les armateurs japonais, émiratis et coréens. Près d'un tiers ont changé de pavillon avant leur dernier périple, passant sous des pavillons moins-disant sur le respect du droit maritime international.
« Il existe des lois sur l'environnement et le travail qui réglementent le recyclage des navires, mais elles sont ignorées et facilement contournées par les propriétaires de navires, souvent avec l'aide d'acheteurs au comptant », dénonce avec constance l’ONG. Ceux-ci paient le prix le plus élevé pour les navires en fin de vie et, en général, ils rebaptisent, réenregistrent et changent de pavillon les navires lors de leur dernier voyage vers les chantiers d'échouage. »
Sujet de tensions
Le nombre de navires démantelés à l’issue du second trimestre devrait être bien supérieur. Depuis, les prix de l’acier se sont emballés, valorisant la tonne de ferraille en Asie du sud-est.
Le recyclage des navires fait partie des sujets de tension chroniques. Les armateurs, respectueux des règles, poussent pour que la Convention internationale de Hong Kong soit promulguée, la clé selon eux de tous les enjeux. Or, un règlement de l’UE, entré en vigueur le 1er janvier 2019, rend obligatoire le démantèlement des navires battant pavillon européen dans des sites agréés par Bruxelles.
Et dans la liste européenne, figurent 43 sites, dont 34 dans les États membres de l’UE avec la Norvège et l’Irlande. Parmi les neuf chantiers hors UE, huit se trouvent en Turquie et un aux États-Unis. Mais aucun en Asie.
Démantèlement des navires : le rapport qui passe au crible les chantiers européens
Entre l’UE et l’OMI, divergence de réglementation
L'Inde appliquant la méthode d'échouage (les navires sont d'abord échoués, puis démontés), autorisée par la convention de l'OMI mais interdite par les règles européennes, aucun de ses chantiers ne figure sur la liste de l'UE.
Les armateurs européens ont toujours soutenu, via leur instance de représentation européenne (ECSA) mais aussi internationale (BIMCO), que les seuls chantiers européens ne seraient pas suffisants pour assurer le démantèlement des navires du fait de leur faible disponibilité (concentrée sur les activités plus rentables de la réparation navale et les travaux offshore) et de capacité. Une seule installation serait dimensionnée pour traiter des panamax au sein de l’UE (et pas exclusive non plus au démantèlement). Quant aux chantiers turcs qui en ont la taille, ils « sont concentrés sur les navires à passagers », affirment-ils. Les exploitants et propriétaires de flotte militent, pour cette raison, en faveur d’une extension de la liste « européenne » à des sites extra-communautaires dès qu’ils se conforment aux exigences.
De son côté, le ministère indien des finances a récemment annoncé que la capacité de démantèlement de navires de la baie d’Alang sera accrue d'ici 2024 afin d'obtenir 50 % du marché mondial du recyclage de navires. Selon le ministère, 90 chantiers au Gujarat seraient en conformité avec les normes de la convention de Hong Kong, qui n'interdit donc pas la pratique de l’échouage et ne fixe aucune exigence pour la gestion et l'élimination des déchets dangereux…
Adeline Descamps