L'Inde vient de rejoindre la liste des pays signataires de la Convention internationale de Hong Kong réglementant le recylage des navires. Une décision importante car l’Inde fait partie des cinq plus grands États recycleurs au monde en volume. Son adhésion pourrait débloquer l'entrée en vigueur de ce traité, toujours lettres mortes deux décennies après son adoption... Il permet, en attendant, à l'autre géant asiatique de se montrer plus fréquentable aux yeux des armateurs tout en minimisant les impacts des restrictions imposées par l'UE depuis le 1er janvier dernier.
Le gouvernement indien a décidé d'adopter la nouvelle mouture de la loi sur la démolition des navires Recycling of Ships Bill et le principe de ratification de la Convention internationale de Hong Kong de 2009 pour « un recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires », indique le communiqué du Conseil des ministres de l'Inde (Council of Ministers ou Cabinet), organe de décision du gouvernement central.
L'Inde est ainsi le 14e pays à avoir ratifié, signé ou approuvé le traité international. Adopté en mai 2009, ouvert à la signature le 1er septembre de la même année, le texte rédigé sous l'égide de l'OMI, d’ONG, de l'Organisation internationale du travail (OIT) et des parties prenantes de la Convention de Bâle, est pourtant toujours lettres mortes, faute du quorum de ratification atteint fixé à 15 États représentant au moins 40 % de la flotte mondiale de navires de commerce. La convention entrera en vigueur deux ans après que ces conditions aient été réunies, sans réserve de ratification, d'acceptation ou d'approbation.
Initialement, il avait été paraphé par six pays : la France est devenue le 3e en juillet 2014 après le Congo (mai 2014) et la Norvège (dès 2013). La Belgique puis le Panama les ont rejoints en mars et août 2016, puis le Danemark en juin 2017. Plus récemment, les choses se sont accélérées : la Serbie, la Turquie, les Pays Bas, Malte, le Japon, l’Allemagne, le Ghana ont rejoint ce club de moins en moins intimiste. Lorsque l'Allemagne a adhéré au traité en juillet dernier, en tant que 13e État contractant, elle représentait 29,42 % du tonnage de la marine marchande mondiale.
Les navires, des déchets aussi...
Si la loi est votée par le parlement indien, elle exigera que les installations de recyclage des navires obtiennent une autorisation d'exploitation et seuls les sites agréés seront autorisés à importer des navires en vue de leur recyclage. Chaque navire entrant devra donc faire l’objet d’un plan de recyclage conditionnant l’obtention d’un « Certificat de recyclage prêt à l'emploi ».
Pour rappel, le traité international réglemente le recyclage des navires, en interdisant ou limitant l’utilisation de matières potentiellement dangereuses, les navires en fin de vie étant considérés comme des déchets. Les armateurs sont ainsi tenus de fournir aux chantiers de démantèlement un inventaire sur la présence d’amiante, métaux lourds, hydrocarbures, etc. Les chantiers de recyclage de navires ont obligation d’établir un « plan de recyclage », précisant la manière dont chaque navire sera recyclé, en fonction de ses caractéristiques propres et de cet inventaire, et dans le respect de la sécurité des employés et de la protection de l’environnement.
Le pas d'un géant ?
« Grâce à ce pas de géant, le gouvernement indien s'est assuré que, non seulement, sur le plan micro économique, l'industrie pourra garantir des conditions de travail plus sécures pour les travailleurs et plus respectueuses de l'environnement, mais au niveau macroéconomique, les armateurs, qui cherchent des options de recyclage conformes aux normes internationales, sont ainsi assurés d’avoir une garantie pour leurs navires entrants », a déclaré l'un des plus gros acheteurs mondiaux de navires destinés à la démolition, qui y voit une bonne nouvelle pour le « business » indien.
L'adhésion de l'Inde pourrait être déterminante pour le sort de la convention internationale. Le pays est l'un des cinq plus grands États recycleurs au monde en volume, aux côtés de la Chine, du Bangladesh, du Pakistan et de la Turquie. L'autre géant asiatique revendique dans ce domaine une part de marché de plus de 30 %. Selon le dernier rapport de la Cnuced (Review of Maritime Transport 2019), l'Inde a démantelé l'équivalent de 4,7 Mt sur les 18,3 Mt en 2018, soit une part de marché de 25,6 %.
En 2018-2019, le Bangladesh, l'Inde, le Pakistan et la Turquie ont maintenu leur leadership dans ce domaine, mais le Bangladesh les distance de plus en plus. Entre 2014 et 2018, la Chine et l'Inde ont perdu des parts de marché. Les évolutions de la réglementation (celles de l'UE mais aussi de la Chine qui a interdit l'entrée de tous les navires étrangers en Chine pour le recyclage, considérés comme des déchets) et les initiatives volontaires de l'industrie pour opérer dans des conditions plus respectueuses des travailleurs et de l'environnement expliquent ces tendances, indiquent les auteurs du rapport.
Derniers verrous
Il est considéré par l'OMI que si la Chine ou le Bangladesh (47,2 % de parts de marché mondiales dans le démantèlement) adhéraient au traité, il entrerait de facto en vigueur à l'échelle mondiale. Le Bangladesh semble sur la voie. Il est engagé depuis novembre 2018 dans le programme Sensrec (Safe and Environmentally Sound Ship Recycling in Bangladesh) qui doit l'accompagner dans les réformes nécessaires (juridiques, politiques…) pour qu'il puisse adhérer à la Convention internationale. D'une durée de 19 mois, le projet est financé à hauteur de 1,1 M$ par le gouvernement norvégien. Certains chantiers navals du Bangladesh ont déjà amélioré leur sécurité et leurs performances environnementales. Cette année, PHP Shipbreaking and Recycling Industries of Bangladesh a ainsi recyclé son premier navire conformément à la Convention de Hong Kong. L'installation fut la première dans le pays à recevoir une déclaration de conformité à la convention en octobre 2017.
L'Inde fait aussi valoir que 77 installations de recyclage, soit environ 65 % des 120 « parcelles » comptabilisées le long de la baie d'Alang, auraient de plein gré modernisé leurs chantiers pour respecter les normes de la Convention de Hong Kong et seraient certifiées par des sociétés de classification de référence, comme ClassNK et RINA au Japon et IRClass en Italie.
Une redistribution des cartes dans le recyclage des navires ?
Green washing auprès de l'UE ?
Indirectement, le projet de loi, s’il était approuvé par le parlement indien, permettrait aussi de compenser les restrictions découlant d'un règlement européen entré en vigueur depuis le 1er janvier 2019, rendant obligatoire le recyclage des navires battant pavillon européen dans des sites agréés par l'UE.
L'Inde appliquant la méthode d'échouage (les navires sont d'abord échoués, puis démontés), autorisée par la convention de l'OMI mais interdite par les règles européennes, aucun de ses chantiers ne figure sur la liste de l'UE. Il n'y en a pas davantage en Asie du Sud.
Adeline Descamps