Chaque jour délivre son quota de craintes économiques et témoigne de leur capacité à faire pression sur l’environnement du marché de conteneurs. Entre taux de fret et taux d’affrètement, la synchronisation a tardé avant de se croiser pour la première fois en octobre. Alors que les taux spot et contractuels accumulaient les semaines de repli, les indices de référence sont restés longtemps arrimés à des niveaux historiquement élevés puis se sont brutalement retractés, avec des pertes de 10 à 20 % par semaine. Les premiers signes de fatigue ont été repérés en octobre.
Le ConTex, qui suit l’évolution de l’affrètement des porte-conteneurs, a chuté ce mois-là de 51,9 % par rapport à septembre. Le Harpex, publié par la société de courtage Harper Petersen & Co, qui avait atteint un plafond de 4 586 points à la fin mars, a perdu pour sa part 30 % à partir du mois dernier. Le BOXi a également plongé de 30 %, passant de 580 à 317 points entre fin juillet et début octobre, accusant un repli de 45 % en six semaines. Le père de l’indice, le courtier Braemar, s’est lui-même dit surpris par « le rapide retournement de marché ».
Entre le 13 septembre et le 13 octobre, selon les durées des contrats (six mois et deux ans) et les tonnages (1 100 à 6 500 EVP), les valeurs d’affrètement ont ainsi perdu entre 1 300 $ et plus de 50 000 $ pour les plus grandes unités très demandées.
Une valeur divisée par deux
Les propriétaires de flotte, qui ont longtemps dicté leurs conditions dans les prix et la durée des contrats, se retrouvent ainsi confrontés à une demande qui s’est éteinte et à des clients dont la confiance s’est émoussée. Face au retournement de conjoncture, ces derniers entendent payer moins et sur des périodes d'emploi de plus en plus courtes.
Les transactions reflètent le nouvel ordre établi. Alors qu’un panamax de 4 250 EVP est monté jusqu’à 99 000 $/jour en mars, les taux ont presque diminué de moitié, se négociant plus volontiers à 51 000 $/jour, selon la note de VesselsValue, société de référence dans la valeur des navires.
Bien qu'ils soient encore bien supérieurs aux moyennes historiques, les taux d'affrètement à temps de post-panamax pour une durée d’un an sont actuellement fixés à 69 000 $/jour contre 148 500 $ entre mars et août.
Le marché S&P pas épargné
Le marché S&P n’échappe pas non plus à la tendance. Les transactions, dont la valeur n’a eu de cesse que d’augmenter régulièrement au cours des deux dernières années jusqu'en août, ont été rattrapées par la réalité du marché. Entre avril et septembre, les prix des panamax de cinq ans d'âge ont chuté de 25 %, passant de 118,4 M$ à 89,6 M$, rapporte le spécialiste.
Si 292 transactions de porte-conteneurs ont été comptabilisées jusqu’à fin octobre, la majorité s’est effectuée au cours de la première moitié de l'année, précise VesselsValue. En octobre, seules neuf ventes de porte-conteneurs ont été signalées par exemple (quatre au comptant de MSC), contre 47 en janvier. Ils ont été acquis en deçà de leur valeur estimée.
Les résultats du troisième trimestre encore solides
Les résultats financiers du troisième trimestre des acteurs du marché n’en portent pas les marques. MPC Container Ships (MPCC), dont les trois-quarts de la capacité sont placés auprès des vingt premières compagnies mondiales, a vu ses revenus d’exploitation augmenter de 35 % par rapport à l'année précédente pour atteindre 160,1 M$. Le TCE (Time charter equivalent, performance moyenne des revenus quotidiens d'un navire) s’est élevé à 30 476 $/j au cours de la période, contre 19 656 $ un an plus tôt. MPCC peut se prévaloir d’un flux de revenus contractuels de 1,7 Md$ d’ici à 2025.
Alors que le taux d’utilisation de sa flotte (63 porte-conteneurs dont 58 en propriété) était de 96,9 % au troisième trimestre, la compagnie norvégienne a 99 % de sa capacité placée au 4e trimestre, 87 % en 2023, 58 % en 2024 mais 24 % en 2025. Ses résultats ont aussi été portés par l’importante plus-value (30,4 M$) générée par la vente de deux navires
« Le troisième trimestre a été une nouvelle période de bénéfices records, soutenus par la forte utilisation de notre flotte pendant une période de taux d'affrètement élevés et de forte demande », a commenté le PDG de MPCC, Constantin Baack, qui va verser 440 M$ en dividendes.
De retour sur terre, le dirigeant retient néanmoins ses accès de pessimisme bien que la situation s’y prêterait. « Nous faisons preuve d'un optimisme prudent en ce qui concerne le développement du marché au cours des prochains trimestres, même si nous anticipons des durées d'affrètement plus courtes que l'année dernière. Le placement des navires a été plus faible au troisième trimestre et la plupart des nouveaux contrats concernent de courtes durées, traduisant une tendance à la normalisation. »
Seaspan, tranquille jusqu’en 2025
Fort du quasi-doublement de son bénéfice net qui s’est élevé à 185,7 M$ au troisième trimestre de l'année, Seaspan, autre grand propriétaire de flotte non-exploitant (NOO), affiche la mine des jours sereins. D’autant que la maison-mère, Atlas Corp, vient d’accepter une offre d'achat de 10,9 Md$ proposée par le consortium Poseidon Acquisition Corp, dont fait partie l’armateur de porte-conteneurs japonais ONE, son principal client.
Le propriétaire hongkongais, qui affrète des porte-conteneurs aux plus grands noms de la ligne régulière, déclare avoir 100 % de sa flotte placée pour 2022, 99,6 % pour 2023 et 96,9 % pour 2024. La flotte de Seaspan présente ainsi une durée d'affrètement moyenne de 6,9 ans, avec seulement 3,6 % des navires sans destination avant 2025.
L’entreprise a par ailleurs conclu des prolongations de bail pour 14 navires durant le troisième trimestre, ajoutant environ 1,1 Md$ de flux de trésorerie brut, ce qui porte ses liquidités à 18,6 Md$. Son cash-flow devrait augmenter fortement à partir de 2025, car elle comptabilisera alors les revenus des affrètements de navires neufs conclus pendant la pandémie. En la matière, ZIM (25 navires) et ONE (16 navires) absorbent la plus grande part du tonnage en commande de Seaspan, représentant à eux deux 57 % de son carnet de commande affrété.
GSL : trois années de couverture contractuelle
Global Ship Lease (GSL), société cotée en bourse aux États-Unis, ne détonne pas. Le NOO a déclaré un bénéfice net de 89,6 M$ contre 64,4 M$ un an plus tôt. Ses nouveaux contrats lui ont apporté 771 M$ de recettes contractuelles entre juillet et septembre, portant sa trésorerie à 2,23 Md$, soit près de trois années de couverture contractuelle.
GSL a notamment placé quatre panamax, dont les contrats doivent débuter entre le dernier trimestre de cette année et les trois premiers mois de 2003, ainsi que six porte-conteneurs de 6 900 EVP pour cinq ans à partir du quatrième trimestre de 2003 et 2024. CMA CGM représente 28 % des revenus contractuels de la société devant Hapag-Lloyd, (23 %) Maersk (16 %) et ZIM (15 %).
Les NOO perdent néanmoins en influence. Entre août 2020 et le 1er novembre, ils ont cédé 600 navires pour profiter du raid opéré par les armateurs- exploitants, soit 2 MEVP. Selon les données d’Alphaliner, la flotte mondiale des non-exploitants est ainsi passée de plus de 3 000 à 2 555 unités. Le profil des NOO mondiaux a également changé ces dernières années.
Les armateurs allemands se sont progressivement effacés du peloton de tête, à la seule exception de Briese Schiffahrt. Les plus actifs à l'heure actuelle dans les commandes et la capacité sont soit asiatiques (Eastern Pacific Shipping à Singapour, Seaspan à Hong Kong) soit grecs (Danaos, Costamare, Navios, Tsakos).
Adeline Descamps