Il aura donc fallu le déclenchement d’une guerre pour sortir de la nasse les marchés pétroliers qui forent toujours plus profond depuis le milieu de l’année 2020. Ils s’apprêtent à vivre un big bang alors que 3 millions de barils par jour de pétrole brut et de produits russes vont être détournés de l'Europe une fois effectives les sanctions de l'Union européenne frappant les importations de brut russe (d'ici le 5 décembre) et les produits pétroliers russes (d'ici le 5 février).
Le G7 prévoit en outre de mettre en œuvre un mécanisme de plafonnement des prix du pétrole russe (une décote par rapport au prix du marché tout en le maintenant au-dessus du prix de production) qui permettrait de maintenir un approvisionnement en pétrole, contenir la flambée des prix et empêcher la Fédération de Russie de continuer à bénéficier de la manne pétrolière. La mesure, si elle était actée, ne serait pas sans effets dans le tohu-bohu des flux.
Mais quels que soient les scénarios, tous les analystes promettent au secteur des tonnes-milles plus avantageux. Car ils ont tout à gagner avec la reconfiguration des trafics pétroliers russes qui, en toute probabilité, vont se diriger vers l'Asie et le Moyen-Orient, tandis que la production asiatique prendrait le chemin de l'Europe, a indiqué le responsable de la recherche de Vitol à l’occasion de la 38e Conférence pétrolière de l'Asie-Pacifique (APPEC), où se presse l'industrie pétrolière mondiale.
L’allongement du temps des voyages – sept jours de la Russie vers l'Europe mais vint-et-un vers l'Asie –, se matérialisera par une augmentation de près de 3 % de l'activité de transport maritime mesurée en tonnes-milles (définie comme une tonne de fret expédiée sur un mille) mais aussi par une pénurie des aframax nécessaires au transport du pétrole russe.
Des exportations de pétrole russe en baisse 50 %
Selon Chara Georgousi, analyste de recherche chez Intermodal, « les flux des États-Unis vers l'Europe devraient atteindre leur plus haut niveau depuis près de trois ans en septembre, tandis que les stocks de brut dans la région ARA [Anvers-Rotterdam-Amsterdam, NDLR] dépassent désormais 95 % du stockage de la région. Au total, 48 pétroliers devraient livrer au moins 42,4 millions de barils en septembre, le décompte étant susceptible d'être ajusté dans les jours à venir. »
Les importations de brut de la Chine ont rebondi en août pour atteindre 8,34 Mt, contre 7,15 Mt en juillet, sous l'effet du réapprovisionnement des raffineurs avant la haute saison d'automne. Les flux de brut de la Russie au cours du premier semestre de septembre ont fortement diminué en raison d'une baisse des exportations ESPO suite au typhon Hinnamnor, associée à une baisse des départs de la Baltique. Les importations de pétrole russe en Europe sont actuellement inférieures à 300 000 b/j, soit 75 % de moins que les niveaux d'avant l'invasion. Dans le même temps, les flux vers trois grands importateurs, la Chine, l'Inde et la Turquie, sont au point mort depuis la mi-août et s'établissent à 460 000 b/j. Dans l'ensemble, les exportations de pétrole russe ont diminué de près de 50 % depuis le mois de mars et les professionnels estiment qu'elles subiront une pression encore plus forte après l'entrée en vigueur des sanctions.
Des flux désorganisés
Selon les projections, 2,99 Mt de distillats moyens devraient arriver en Europe en septembre. Les importations de diesel/gasoil du Moyen-Orient devrait peser 31 % des importations totales du bloc, au cours du mois de septembre, contre 19 % en moyenne au cours des 12 mois précédents. Dans le même temps, les stocks dans la région ARA ont plongé à leur plus bas niveau depuis 14 ans.
Les exportations européennes de produits raffinés vers les États-Unis devraient en revanche diminuer en septembre, en raison de la baisse des expéditions d'essence. Alors que 2,59 Mt ont atteint la côte Est des États-Unis en août, à peine 1,77 Mt sont attendus en septembre.
En Chine, qui devrait permettre à ses raffineurs de pétrole d'exporter davantage de carburant, dans le but de stimuler l'économie du pays, l'augmentation du quota d'exportation pourrait libérer 15 Mt supplémentaires de produits pétroliers, ce qui portera le volume total 39 Mt contre 38,6 Mt l'an dernier.
Soutiens multiples aux tankers
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les tarifs des pétroliers se sont envolés, générant des profits élevés pour les exploitants de navires. Selon les courtiers, le sentiment sur le marché des pétroliers reste extrêmement optimiste en dépit des aléas de l’agenda politique. « La Chine aura besoin de s'approvisionner en brut supplémentaire dans les mois à venir et les États-Unis pourraient être un fournisseur idéal. Les tonnes-milles des VLCC devraient donc augmenter, tandis que les recettes des transporteurs de produits pétroliers seront soutenues par l'augmentation des exportations de produits chinois dans le cadre du quota. Parallèlement, un pic de perturbations météorologiques au cours de la saison des ouragans aux États-Unis et des pannes de raffineries sur la côte est-américaine apporteraient des soutiens supplémentaires au transport maritime de produits pétroliers », confirme Chara Georgousi.
A.D.