Au cinquième jour de l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, le port de Berdiansk est tombé aux mains des forces russes. La fermeture du détroit de Bosphore a été explicitement évoquée. Les armateurs de porte-conteneurs envisagent la suspension des escales dans les ports russes.
Au cinquième jour de guerre, le port ukrainien de Berdiansk est tombé aux mains des forces russes alors que son voisin de Marioupol reste sous le siège. Ce n’est pas la première fois que les deux ports ukrainiens de la mer d'Azov subissent le blocus imposé par la Russie dans le détroit de Kertsch, qui relie la mer d'Azov et la mer Noire et est sous le contrôle russe.
Le maire de Berdiansk, Oleksandr Svidlo, en a fait l’annonce lui-même sur les réseaux sociaux. C’est à proximité de ce port céréalier que, ces derniers jours, les deux vraquiers ukrainiens Princess Nicole et Afina, ont été interceptés par la marine russe et déroutes vers le port de Sébastopol, principale base navale russe en mer Noire. Les dernières données AIS activées des deux vraquiers, qui datent du dimanche 27 février, les indiquaient en stationnement à l’ouest de Sébastopol. Depuis le système a été désactivé.
Vers la fermeture du détroit de Bosphore
La Turquie fait un premier pas vers la fermeture du Bosphore à la Russie. À l’occasion de l’attaque du Yasa Jupiter, un vraquier turc qui aurait été touché par un missile alors qu'il naviguait en mer Noire, à environ 110 km des côtes d'Odessa, le président turc Recep Tayyip Erdoğan avait condamné l’attaque en qualifiant l’invasion de l’Ukraine comme une « violation de sa souveraineté stratégique ».
« Au quatrième jour de la guerre en Ukraine, nous réitérons l'appel du président Erdogan pour un arrêt immédiat des attaques russes et le début des négociations de cessez-le-feu. Nous poursuivrons nos efforts pour aider le peuple ukrainien et mettre fin à l'effusion de sang dans cette guerre injuste et illégale », a déclaré le porte-parole de la présidence turque dans un message diffusé sur les réseaux sociaux le 27 février.
C’est la première fois que la Turquie emploie implicitement le terme de guerre. De façon plus explicite, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a indiqué sur CNN Turquie « qu’il ne s'agissait plus de quelques frappes aériennes. La situation en Ukraine est officiellement une guerre. Nous appliquerons la convention de Montreux. »
211 navires à l’entrée du détroit de Kertch
Jusqu’à présent, la Turquie opposait une fin de non-recevoir à l’Ukraine qui lui demandait d'exercer son droit, en vertu de la Convention de Montreux de 1936, de fermer le détroit aux navires militaires russes en temps de guerre. Les impacts ne sont pas clairs sachant que les forces navales russes sont localisées en Baltique et en mer Noire.
Selon les données de suivi des navires de Lloyd's List Intelligence, il ne restait plus que 13 navires battant pavillon international amarrés dans le port d'Odessa le vendredi 25 février, tandis que la plupart avaient dérouté. Bien que l'Ukraine ait demandé de fermer l'accès de la mer Noire et de Bosphore aux navires russes, les parties du détroit sont restées ouvertes au trafic. Le trafic maritime à l'entrée et à la sortie de la mer d'Azov est en revanche limité par les forces navales russes si bien que 211 navires attendaient de transiter par le détroit de Kertch, qui relie la mer Noire et la mer d'Azov. La plupart des grands États du pavillon recommandent d’éviter de transiter dans les eaux ukrainiennes et russes tout en conseillant aux exploitants de navires en transit dans la mer Noire de renforcer les mesures de sécurité et de vigilance.
Conteneur : Ne plus desservir les ports russes ?
L’affaire est délicate pour les compagnies maritimes. Il s’agit aujourd’hui de s’assurer qu’elles soient bien dans les clous des nouvelles décisions internationales, qui « arrosent » largement en touchant, certes, des catégories de marchandises mais aussi des intérêts financiers. Et si elles affrètent en outre des avions, comme Maersk et CMA CGM, elles sont concernées par l’interdiction du survol aérien émise par les Vingt Sept de l’UE. Mais aussi par la Russie, qui a rapidement bloqué les aéroports ukrainiens et fermé son ciel aux compagnies aériennes britanniques par exemple.
Si les transporteurs de conteneurs ont cessé les booking vers l’Ukraine et les dessertes de ses ports, certains préfèrent évoquer des « suspensions temporaires de réservations vers la Russie ». C’est le cas Hapag-Lloyd alors que l'Ukraine fait l'objet « d'un arrêt des réservations », nuance le transporteur allemand. La compagnie a fermé son bureau à Odessa et supprimé l’escale de son service partagé avec Arkas (BMX).
Des perturbations dans le fret aérien
L’armateur danois de porte-conteneurs, qui dispose d'un service faisant escale à Tchernomorsk et Youjne, avait été l’un des premiers de son secteur a annoncé la suppression des escales ukrainiennes. Avant même que les sanctions soient connues mais tout en maintenant sa desserte des ports russes et notamment de Novorossiysk où le danois est partie prenante d’un terminal intermodal.
Dans une nouvelle mise à jour le 28 février, au regard des sanctions qui ne cessent d’évoluer, la compagnie indique « surveiller de près la situation et se prépare à se conformer aux restrictions imposées à la Russie, tout en protégeant [ses] opérations et [son] personnel, compte tenu de l'évolution constante de la situation ». Dans le champ de ses possibles : la suspension des réservations à destination et en provenance de la Russie sur les voies maritimes et terrestres. Le transporteur danois ajoute en outre qu’il met la priorité sur les reefers et sur le « maintien d'une chaîne du froid aussi stable que possible, car il s'agit de produits alimentaires et pharmaceutiques. »
Maersk, qui contrôle une compagnie aérienne, Star Air, est aussi concerné par la fermeture des espaces aériens, ce qui augure de perturbations dans ses services.
MSC, une réaction tardive
De façon tardive par rapport à ses homologues - Maersk, CMA CGM et Hapag Lloyd, qui ont suspendu rapidement leur desserte des ports ukrainiens –, MSC a annoncé à son tour ne plus prendre de réservations à destination ou en provenance d'Ukraine. Le MSC Jessenia a ainsi été dérouté. Le fret à destination du principal port à conteneurs de l’Ukraine sera débarqué « dans le dernier port desservi avant ce pays. »
« Les ports de transbordement étant déjà particulièrement congestionnés dans la région, nous nous attendons à ce que l'impact de la situation en Ukraine crée des tensions supplémentaires sur les chaînes d'approvisionnement », indique le leader mondial du secteur de conteneurs, qui maintient néanmoins ses services à destination et en provenance de la Russie.
Cyberattaques et hausse du coût du bunker
Le conteneur est de loin le segment maritime susceptible d’être le moins impacté. « Seuls trois services intercontinentaux font escale dans les ports de la région, de sorte que les perturbations sur les lignes internationales ne seront pas catastrophiques », a tranché Drewry.
Pour d’autres consultants, comme Lars Jensen, de la société Vespucci Maritime, très actif sur les réseaux sociaux, les principales préoccupations pour les armateurs de porte-conteneurs sont la hausse inéluctable des carburants, déjà réelle avec un fuel à moins de 0,5 % de soufre, qui a dépassé récemment la barre des 700 $, et la menace de représailles sous la forme de cyberattaques.
Les croisières à leur tour
Le groupe MSC est parmi les premiers à aménager les croisières de sa compagnie MSC Cruise. Les itinéraires de ses quatre navires opérant en mer Baltique à partir de fin mai et jusqu'en octobre – les MSC Preziosa, MSC Grandiosa, MSC Poesia et MSC Virtuosa -, feront désormais escales à Stockholm, Helsinki ou Tallinn, mais l’impasse de Saint-Pétersbourg, en Russie, en raison des « problèmes de sécurité qui en découlent », indique le communiqué. Cela devrait être la première annonce d’une longue série qui a étonnamment tardé.
A.D.