Sans que l’or noir russe ne soit strictement proscrit sur la scène internationale, à l’exception des États-Unis, du Royaume-Uni et de quelques autres pays, il fait les frais d’une forme auto-censure qui le rend peu désirable et le place sur le banc de touche dans les faits.
Pour autant, les exportations maritimes de pétrole en provenance de Russie ont augmenté de 350 000 barils par jour (b/j) jusqu’à présent ce mois-ci par rapport à février pour atteindre une moyenne de près de 3 millions de bpj, tandis que les expéditions de produits pétroliers dépassent les 2 millions de barils par jour (Mb/j), selon Petro-Logistics, une société d'analyse du commerce pétrolier maritime. Il n’en est pas de même pour d’autres produits pétroliers, tels le fuel et le gazole sous vide (VGO), en baisse de 40 % en mars par rapport à février.
« Nous avons remarqué un certain nombre de navires au mouillage qui semblent attendre des commandes, et nous avons vu quelques cargaisons qui ont fait demi-tour après avoir fait route vers l'Atlantique, et elles attendent également des ordres », a expliqué Daniel Gerber, le directeur général de Petro-Logistics à Reuters.
Intérêt de l’Inde mais aussi des États-Unis
La société suisse, qui fournit des informations sur les flux de pétrole par mer, par pipeline et par rail, confirme l’intérêt de l'Inde et de la Chine. « Nous voyons un peu plus de pétrole se diriger vers la Chine. L'Inde importe de l'Oural pour la première fois depuis novembre, avec des volumes de plus de 250 000 b/j en moyenne jusqu'à présent en mars. Étonnamment, nous constatons encore des flux vers les États-Unis ».
Défiant les règles de la diplomatie, Indian Oil Corp. a acheté 3 millions de barils de pétrole brut à la Russie il y a une semaine. Les médias indiens ont rapporté que la Russie offrait un rabais sur les achats de pétrole de 20 % par rapport aux prix de référence mondiaux. Parce ce que le pays a des besoins conséquents – il importe 85 % du pétrole qu'il consomme –, il est sensible au prix. La demande du pays devrait augmenter de 8,2 % cette année pour atteindre 5,15 Mb/j alors que l'économie se remet des ravages causés par la pandémie. L'Irak est actuellement le premier fournisseur de l'Inde avec une part de 27 %, devant l'Arabie saoudite (17 %), les Émirats arabes unis (13 %) et les États-Unis (9 %) selon l'agence de presse Press Trust of India.
Agitation anglosaxonne dans les ports russes
Selon les données de Windward, les activités des navires américains et britanniques dans les ports russes n'ont pas complètement cessé depuis l'annonce des embargos sur le commerce de pétrole. Ainsi, six navires de transport brut, d'affiliation américaine, et un méthanier britannique ont continué de desservir la Russie après le 9 mars. Les données indiquent par ailleurs que la plupart des pétroliers faisant escale en Russie depuis le 28 février (une trentaine) ont des propriétaires enregistrés en Grèce. Onze étaient sous le pavillon du Liberia, registre dit ouvert.
Inévitablement, des techniques de dissimulation s’observent déjà. Petro-Logistics a ainsi repéré des changements d’incoterms, « le propriétaire de la marchandise passant d'une major pétrolière occidentale à une société chinoise ».
Washington a fixé la date butoir du 22 avril pour décharger les cargaisons transportées dans le cadre de transactions antérieures à l’embargo. Selon Vortexa, la Russie serait d’ores et déjà tombée au deuxième rang des principales sources d'importation outre-Atlantique, derrière le Mexique. Mais d'importants volumes continuent d’affluer à Philadelphie et dans les ports de la côte américaine du Golfe du Mexique en provenance de la mer Noire et de la mer Baltique. Le pétrole russe devrait encore arriver dans les ports américains jusqu’en avril.
Une dizaine de navires en provenance de Russie
Une dizaine de navires transportant du brut ou produits raffinés en provenance de Russie approchaient des États-Unis la semaine dernière, selon les données des négociants et de Refinitiv Eikon. Deux d’entre eux ont dérouté.
Le pétrolier Elli, exploité par Halkidon Shipping, a quitté Novorossiisk le 26 février en direction du Golfe du Mexique mais alors qu’il était au large de Gibraltar, il s’est mis en « out of orders », dans l’attente de nouvelles instructions de l’affréteur. Il navigue actuellement vers Ceuta, sur la côte nord du Maroc, où il est attendu le 12 mars. Parti de Mourmansk le 6 mars, le Beijing Spirit a d’abord été détourné vers la France mais signale désormais une arrivée le 28 mars à Philadelphie.
18 millions de barils russes attendus en mars
La Russie devait déverser en mars quelque 18 millions de barils, soit 597 000 b/j en moyenne en mars, selon les données de Vortexa. Un peu moins que la moyenne de 672 000 b/j observée en 2021, selon les données du gouvernement américain. L’admnistration américaine a en outre indiqué tardivement que le commerce du brut Caspian Pipeline Consortium (CPC) Blend ne tombait pas sous le coup de la loi.
Or, le mélange CPC est composé principalement de pétrole du Kazakhstan, souvent mélangé à du brut russe et chargé à Novorossiisk sur la mer Noire. Une absence de précision qui tend à la confusion et prête le flanc à une diversité d’interprétations. Ainsi Chevron a précisé que sa part de pétrole acheminée par l'oléoduc était certifiée d'origine kazakhe mais sans commenter les chargements dans le port russe.
Adeline Descamps