Les émissions de CO2 du transport maritime ont augmenté de 4,9 % en 2021

Dans sa dernière publication, le courtier britannique Simpson Spence Young assène une « vérité dérangeante » pour l’OMI à l’heure où il lui est reproché d’être insuffisamment ambitieuse dans ses objectifs à l’encontre du transport maritime. Malgré l'intensification de la réglementation, les émissions augmentent et le prix du carbone bat des records.

Malgré l'intensification du paysage réglementaire en 2021, l'année a été marquée par une inflation des émissions de CO2 générées par le transport maritime de 4,9 % par rapport à 2020, non seulement en rebondissant par rapport au passage à vide de 2020 mais aussi en dépassant les niveaux de 2019, précise le courtier britannique Simpson Spence Young.

« Le principal facteur est la reprise de l'économie mondiale avec une demande ferme en biens durables. À cela s'ajoute une tendance à l'allongement des échanges en tonnes-milles, à l'augmentation des vitesses de navigation dans certains segments et à l'accroissement de la congestion portuaire », justifie SSY dans sa dernière publication qui revient à la fois sur les principaux problèmes qui ont affecté les marchés du transport maritime en 2021 et se projette sur l’année.

Parmi les segments du transport maritime qui ont enregistré les plus fortes hausses de leurs émissions figurent les méthaniers, du fait de la forte demande en gaz et de l'allongement en tonnes-milles, et les porte-conteneurs et les vraquiers, portés par la forte demande de transport et la nécessité d’accélérer sur certaines routes pour améliorer les rotations. Aussi, les émissions des navires-citernes ont commencé à se redresser au cours du second semestre.

Données dérangeantes

Loin d’être anodines, les données sont dérangeantes pour l’OMI à l’heure où il lui est reproché d’être insuffisamment ambitieuse dans ses objectifs – réduire de moitié les émissions de CO2 d'ici 2050 par rapport aux niveaux de 2008 – et alors que l’UE pousse l’autorité mondiale de réglementation du secteur dans ses retranchements en actionnant des mesures qui relèveraient de son champ de compétence.

« Il est certain que la stratégie à moyen terme de l'OMI visant à réduire l'intensité énergétique et l'intensité de carbone du transport maritime mondial ne permettra pas de réduire de manière significative les émissions de CO2. Nous estimons qu'environ 75 % des flottes de pétroliers et de vraquiers ne seront pas conformes aux exigences de l'EEXI 2023 sans mesures correctives », ne mâche pas le coutier.

EEXI, EEDI, CII...et consorts

Pour rappel, en matière de réglementation sur la décarbonation du transport maritime, plusieurs sigles ramassent les nouvelles exigences : les EEXI/EEDI et CII à l’OMI qui entreront en vigueur l’année prochaine en 2023 ; Fit For 55 de l’Union européenne et sa directive sur les carburants FuelEU Maritime qui prendra effet à partir de 2025.

L’EEXI oblige les exploitants de flotte sur la conception des navires. Il est analogue à l’EEDI (qui s'applique aux nouveaux navires depuis 2013) sauf qu’il contraint désormais toute la flotte marchande mondiale. Le CII concerne davantage l’exploitation, c’est-à-dire l’intensité carbone du navire, qui sera classé de A à E selon son profil. Les deux partagent la même unité : le CO2 par mille nautique divisé par la taille du navire. La principale différence réside dans le fait que l’EEXI mesure théoriquement les émissions du navire pour une certaine puissance de moteur, tandis que le CII évalue les émissions de CO2 du navire sur la base de ses activités annuelles réelles.

Suspendu au marché carbone

Dans le même temps, à Bruxelles, l'initiative FuelEU Maritime, contenu dans le paquet législatif européen Fit for 55 sur la politique climatique, introduit des mesures « potentiellement plus strictes que l'EEXI » et dont la mise en œuvre coûterait selon un autre courtier, Gibson, plus de 90 Md$. Les exigences concernent en outre les carburants à exploiter et des infrastructures dans les ports (soutage de GNL, connexion électrique…).

Surtout, la grande affaire est l’intégration du transport maritime dans le système communautaire des échanges de quotas d’émission (ETS ou SCEQE) prévue en 2026 s’il est adopté aux termes d’un long cheminement législatif. Ces derniers jours, les objectifs se sont encore resserrés. L'eurodéputé Peter Liese, qui dirige les travaux au Parlement sur la révision de la directive relative à l’ETS, a publié un rapport comprenant 101 amendements à la copie présentée par Bruxelles en juillet 2021. 

Le député allemand propose entre autres d’avancer d'un an l'inclusion du transport maritime dans l’ETS, et amende aussi les échéances. Les compagnies maritimes devraient restituer 100 % de leurs quotas d'émissions vérifiés un an plus tôt que ce qui était proposé à l'origine, soit en 2025. En outre, au lieu de déclarer 20 % des émissions en 2023, 45 % en 2024 et 70 % en 2025, le projet porte à 33,3 % la part des émissions vérifiées en 2023, à 66,6 % pour 2024 et 100 % à partir de 2025.

Il force par ailleurs la porte de l’OMI et propose de prendre en compte la totalité des émissions extracommunautaires des navires d’une jauge brute de plus de 5 000 faisant escale dans les ports de l'UE si l'OMI ne parvient pas à introduire une mesure mondiale similaire au plus tard le 30 septembre 2028. 

Une « année intéressante » pour le marché carbone

« 2021 a certainement été une année intéressante pour le marché du carbone », explique James Ash, responsable des marchés environnementaux chez SSY. L'incertitude du cadre réglementaire, la diminution des allocations gratuites et l'introduction du mécanisme d'ajustement à la frontière carbone sont autant de facteurs qui ont contribué à la hausse du prix des quotas européens, les industries détenant ces quotas ayant été réticentes à les vendre ».

Le marché européen du carbone crève en effet les plafonds. Après dix années – entre 2008 et 2018 –, où le prix du CO2 oscillait entre 5 et 10 € la tonne en Europe, le prix des quotas d’émission dits EUA pour European Union Allowance a fini l’année à 90 € contre 25 € avant la crise. «

Un marché carbone hyper réactif à l’envolée des prix de l’énergie

Manifestement, le marché du carbone s’est montré sensible à la conjoncture et à l’envolée des prix de l’énergie. « La production d'énergie renouvelable inférieure à la moyenne au cours du premier semestre a eu un impact. C’est ainsi que l’on a vu les services publics avoir de nouveau recours aux combustibles fossiles pour la production d'électricité. Le gaz, le charbon et l'électricité se sont tous redressés en 2021, le gaz européen surpassant de loin les autres matières premières, avec une hausse jusqu’à 245 % », poursuit le courtier.

C’est à se demander si le système est bien l’instrument capable de donner les orientations nécessaires pour décarboner. Instable et court-termiste, le marché du carbone ? « Il reste le thermomètre de l’ambition dans la lutte contre le réchauffement climatique », plaide Vincent Bertrand, maître de conférences en économie à l’Université de Franche-Comté dans une tribune en forme de défense.

La maladie, c’est l’attentisme

Pour le directeur du réseau EDENi (Économie et Droit de l'Énergie dans un contexte industriel), il ne faut pas interpréter l’augmentation du prix du carbone en Europe et les niveaux records observés ces derniers mois comme une surréaction à la conjoncture mais « comme les conséquences des rattrapages opérés en 2020 et 2021 pour aligner, à la hâte, l’ETS sur les engagements pris par l’Union européenne en 2015 dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat. C’est l’attentisme et le report des décisions qui sont coupables, pas le marché carbone. »

Si le marché du carbone est très sensible à la contrainte de réduction des émissions fixée par la loi, en attendant, les émissions du transport maritime ont bel et bien augmenté l’an dernier quand bien même l’étau réglementaire se resserre. 

Adeline Descamps

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