Les optimistes fondent de grands espoirs sur le retour de la Chine sur la scène internationale après avoir pris congé du monde pendant près de trois ans. Mais l’état santé économique du pays, qui a subi l’an dernier des verrouillages de ses poumons économiques incluant le port de Shanghai pendant environ deux mois au printemps, n'est pas encore claire. En ce moment critique, marqué par une superposition des crises macroéconomiques et géopolitiques, une économie chinoise stable et robuste est vivement recommandée. En 2021, le géant chinois représentait 18 % de l'économie mondiale, contre 11,4 % en 2012.
En dépit des nombreuses promesses d’abstinence et de déclarations d’intentions à vouloir reconstruire un nouvel équilibre sans trop de « made in china », le monde peine à s’en désintoxiquer et guette le moindre signe de son rétablissement pour y accrocher à son tour ses espoirs de rebond. C’est encore plus vrai pour le transport maritime. Les vraquiers sont assujettis à la dynamique de son secteur immobilier dont dépendent les importations de minerai de fer. Les porte-conteneurs sont subordonnés à ses exportations qui inondent la planète.
En 2022, la croissance économique de la Chine a été l'une des pires jamais enregistrées depuis 1976, dernière année de la Révolution culturelle, répertorient les historiens de l’économie. Le quatrième trimestre a été particulièrement sanctionné par la politique sanitaire, l'effondrement du marché immobilier et la chute de la demande mondiale dans un contexte d’inflation que les consommateurs de moins de 40 ans ne peuvent pas connaître.
Des indicateurs contrastés
Si certains indicateurs ont recouvré de l’allant en décembre, à la surprise générale, le sentiment global reste négatif. La production industrielle a augmenté de 1,3 % en décembre par rapport à l'année précédente, mais a ralenti par rapport à la hausse de 2,2 % enregistrée en novembre, tandis que les ventes au détail, un indicateur clé de la consommation, ont diminué de 1,8 % lors du dernier mois de l’année, après une chute de 5,9 % enregistrée en novembre.
Le PIB a progressé de 2,9 % sur les trois derniers mois de l’année par rapport à l'année précédente, selon les données du Bureau national des statistiques (BNS), soit un rythme plus lent que celui de 3,9 % enregistré au troisième trimestre mais supérieur au + 0,4 % du deuxième trimestre et aux attentes du marché qui tablait sur un gain de 1,8 %.
Sur l’ensemble de l’année, la croissance aura été de 3 %, manquant l'objectif officiel de 5,5 % et loin des 8,4 % enregistrés en 2021 mais supérieure aux 2,2 % de 2020. L'industrie immobilière chinoise, un des trois piliers de l’économie du pays avec le commerce international et la consommation intérieure, tarde à se rétablir. L'investissement dans le secteur a chuté de 10 % en glissement annuel en 2022, la première baisse depuis 1999, et les ventes de propriétés ont connu leur plus forte chute depuis 1992, selon les données du BNS, les mesures de soutien du gouvernement ayant donc peu d’impact jusqu'à présent.
Un Nouvel an lunaire prolongé
En janvier, l'indice PMI, qui reflète la confiance des directeurs d'achat, a atteint 50,1, signifiant que le secteur en question n’a pas évolué par rapport au mois précèdent, après avoir longtemps navigué sous les 50 (47 en décembre), seuil matérialisant une décroissance. La croissance chinoise a donc ralenti moins que prévu, bien que la faiblesse de la demande américaine pèse, les États-Unis étant son plus grand partenaire commercial.
Les usines chinoises ne tournent pas vraiment à plein régime. L’activité est si faible que la semaine fériée observée en Chine à l’occasion du Nouvel An lunaire (le 27 janvier), a été prolongée d’une semaine si bien que de nombreux fabricants chinois s’apprêtent seulement à redémarrer. Ce nouveau passage sous cloche, celui-là voulu et coutumier, a pour effet de retarder la reprise du pays et de biaiser les données.
À l’autre bout de la chaîne, les chiffres ne mentent pas. Les importations américaines en février devraient être les plus faibles depuis près de trois ans, selon les dernières projections de la National Retail Federation, la puissante fédération des géants américains de la grande distribution, qui publie un baromètre couvrant 12 ports américains. Depuis le début de la pandémie, seuls les 1,51MEVP enregistrés en février 2020 et 1,37 MEVP en mars 2020 auront été inférieurs aux 1,57 MEVP prévus pour ce mois de février (mois traditionnellement faible quoi qu’il en soit).
Correction des stocks fatale au conteneur
« Les détaillants importent moins par prudence car ils attendent de voir comment l'économie réagit aux efforts pour maîtriser l'inflation », a expliqué Jonathan Gold, en charge de la supply chain à la NRF lors de la présentation du baromètre.
Lors de la publication de ses résultats pour l’année, Maersk a particulièrement insisté sur l’ajustement des stocks opérés par les grandes marques de consommation face à l'affaiblissement de la demande des consommateurs, eux-mêmes refroidis par l’inflation. Le transporteur en a pâti à la fois parce qu’il est particulièrement exposé au marché transpacifique et parce que sa clientèle est composée d’une grande dominante de détaillants. Vincent Clerc, le PDG de Maersk, fait même de ce paramètre une des clés qui déterminera les volumes de conteneurs en 2023.
Jeremy Nixon, le CEO du transporteur japonais ONE, dont l’activité a sévèrement marqué le pas au cours du dernier trimestre de l’année civile, a également considéré que le maintien des stocks de détail à des niveaux élevés a contribué à sa sous-performance de fin d’année.
Du temps avant de revenir à un niveau qui stimule la demande
Pour Lars Jensen, analyste du transport maritime bien connu des réseaux sociaux, la correction des stocks opérée par les importateurs en Europe et en Amérique du Nord, devrait perdurer au moins jusqu’à la fin du premier trimestre. En clair, les stocks vont prendre un certain temps avant de revenir à un niveau qui stimule à nouveau la demande.
« Il convient de noter que les données relatives à la demande sont mesurées au port de chargement. Par conséquent, cette baisse ne se manifeste qu'avec un décalage d'un à deux mois, lorsque les importateurs d'Amérique du Nord prennent livraison des marchandises. Cependant, les dernières données officielles sur les stocks aux États-Unis montrent que les détaillants et les fabricants ont simplement réussi à maintenir le niveau de leurs stocks, tandis que les stocks des grossistes ont continué à augmenter. »
Augmentation de la disponibilité des conteneurs en Chine
« Le rebond en Chine, et donc du commerce de conteneurs, dépendra de la rapidité avec laquelle les volumes de production y reviennent à la normale. Il sera intéressant de voir ce qui se passera lorsque les niveaux de stocks dans les pays importateurs auront été rééquilibrés et qu'il sera nécessaire de passer de nouvelles commandes. En fait, la question est de savoir si les importateurs se méfient toujours des perturbations de la chaîne d'approvisionnement qui les inciteront à commander tôt ou s'ils reviendront au modèle du "juste à temps"», décrypte Christian Roeloffs, cofondateur et PDG de Container xChange, qui suit le mouvement des conteneurs en temps réel,
L'augmentation de la disponibilité des conteneurs en Chine est un élément clé. Á Shanghai, Ningbo, Tianjin, le nombre de boîtes entrantes augmente tandis qu’il diminue en sortie, ce qui correspond bien à la situation actuelle de fermeture d'usines en Chine et de pénurie de main-d'œuvre en raison des infections.
« Quoi qu'il en soit, nous nous attendons à une reprise de la demande, notamment parce que les chiffres récents du PIB rendent moins probable une récession en Europe. Cependant, comme la demande s'est vraiment effondrée, elle ne reviendra pas rapidement aux niveaux d'avant la crise ou même à ceux de la période de crise », ajoute le dirigeant.
Inactivité des porte-conteneurs en hausse à la fin du mois de janvier
« Même si le monde pourrait finalement ne pas sombrer dans une profonde récession, contrairement à ce qui était prévu à la fin de 2022, les consommateurs du monde entier continuent d'être lourdement affectés par une inflation et des taux d'intérêt record, indique pour sa part Alphaliner. Les compagnies maritimes continuent de faire face à des taux de fret déprimés sur de nombreuses routes, que le nombre élevé de nouveaux navires à venir contribuera à maintenir à un niveau bas pendant un certain temps encore. »
L'inactivité des porte-conteneurs était en hausse à la fin du mois de janvier, ajoutant 78 unités au bataillon de 338 navires au chômage. La capacité de la flotte inactive a augmenté de quelque 195 000 EVP pour atteindre près de 1,5 MEVP, ce qui représente 5,7 % de la flotte mondiale, contre 4,9 % seulement deux semaines plus tôt
Redéploiement de la flotte mondiale
La faible demande de marchandises en Chine et la chute des taux de fret spot ont en outre entraîné des changements importants dans le déploiement de la flotte mondiale de conteneurs. Plus de 565 000 EVP de capacité ont été retirés des trafics Asie-Amérique du Nord et Asie-Europe en 2022. La capacité a basculé sur le transatlantique où les tonnages ont bondi de 16,2 % en 2022. Un transfert s'est aussi opéré vers les services liés au Moyen-Orient et à l'Inde (+ 11 %), où 320 600 EVP de capacités ont été ajoutés l'année dernière. Mouvement de balancier car le mouvement inverse avait été relevé en 2021.
Enfin, dernier signe d’un profond mouvement de fond, le classement des ports chinois s’en trouve redessiné (cf. plus bas). Huit des douze principaux ports chinois ont vu leur position modifiée par la pandémie, note Alphaliner.
Adeline Descamps
Les ports chinois ont traité 295,9 MEVP en 2022
Le trafic de conteneurs a augmenté de 4,7 % en Chine en 2022 pour atteindre 295,9 MEVP. La croissance a été la plus forte à Dalian (+ 21,5 %). Une performance à nuancer : le volume du port fluviomaritime (4,46 MEVP) est inférieur de moitié au volume enregistré il y a cinq ans.
Shanghai reste la locomotive du pays et du monde avec 47,3 MEVP, mais avec un très faible + 0,6 % par rapport à 2021, reste bien en dessous de la moyenne nationale, très impacté par les deux mois de fermeture au printemps.
Ningbo Zhoushan, qui n’en finit plus de remonter dans le classement, est désormais au deuxième rang national (33,35 MEVP) en maintenant une constance étonnante dans la croissance (encore + 7,3 % l’an dernier). Il n’y a désormais plus que 4 MEVP qui le sépare de Singapour, deuxième port mondial. L’ancienne étoile portuaire mondiale, au troisième rang il y a encore dix ans, est désormais le septième le plus fréquenté de Chine, dévissant encore et encore (de près de 7 %) avec 16,6 MEVP.
Grâce à l’envolée de son trafic de 8,3 %, Qingdao, qui fut le premier port du nord de la Chine à traiter plus de 20 MEVP il y a trois ans, s'est hissée au quatrième rang l’an dernier avec 25,67 MEVP, délogeant Guanghzhou (24,6 MEVP) en croissance ralentie (1,7 %).
Au rang des nouvelles météorites portuaires, Rizhao (5,8 MEVP) et Liangyungang (5,57 MEVP) qui ont supplanté Yingkou et Dalian, dont les groupes portuaires ont fusionné en 2021 (5 et 4,46 MEVP).
Lianyungang, désormais au dixième rang des ports les plus actifs de Chine, est devenu un point de départ des nouvelles routes de la soie, justifie Alphaliner. Le volume manutentionné a dépassé 5 MEVP pour la première fois en 2021 et, en novembre, le Shanghai International Port Group (SIPG) a pris une participation de 23 % dans le Lianyungang Port Group, avec 220 M$ à la clé d’investissements prévus.
Les échanges en Asie ont surtout repris en intrarégional. Plusieurs grands ports de la province du Yunnan, dans le sud-ouest de la Chine, ont connu une forte augmentation de leurs activités mais avec leurs voisins, dont le Myanmar, le Laos et le Vietnam.
En hausse de 15 %, le commerce extérieur de la Chine avec l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) a joué un rôle majeur dans la stabilisation du commerce extérieur de la Chine en 2022, première année il est vrai de l’application du partenariat économique global régional. Il s’est établi à 6,52 milliards de yuans (955 M$) selon l'Administration générale des douanes.
A.D.