Meyer Werft, constructeur allemand deux fois centenaires, parmi les principaux chantiers navals de navires croisière, est-il enfin et définitivement sur rails ?
L'entreprise de Papenburg a annoncé, dans un communiqué, avoir un reçu « un soutien important pour assurer son avenir économique ». Il est prévu que le gouvernement fédéral et le Land de Basse-Saxe acquièrent autour de 80 % de son capital, la famille Meyer conservant 20 % des actions mais avec un droit de préemption. Il a également été convenu qu'ils investissent 400 M€ et apportent chacun des garanties d'un milliard d'euros pour permettre à l'entreprise d'obtenir les prêts bancaires nécessaires à financer ses constructions. L'entreprise a notamment à son carnet de commandes des contrats d'une valeur de 11 Md€, offrant une visibilité jusqu'en 2031.
Fin août, lors d'une visite de l'entreprise, le chancelier Olaf Scholz avait indiqué que tout serait fait « pour assurer la pérennité de ce joyau de la couronne industrielle » pour l'Allemagne. Il avait ajouté que son gouvernement travaillait avec les banques et la famille propriétaire de l'entreprise à une solution. Sans trop s’engager sur la nature de cette « solution » mais sans exclure auprès de la presse une prise de participation à caractère transitoire, le temps de la stabilisation de l'entreprise. Le gouvernement n’a pas vocation à être « constructeur naval », avait toutefois rappelé le chancelier, pour lequel l'objectif reste le retour du fleuron national dans le giron du secteur privé.
Le ministère allemand de l'économie avait déclaré auparavant, en juillet qu'il étudiait les moyens d’accompagner l'entreprise après que cette dernière a annoncé une nouvelle réduction de ses effectifs à 3 100 personnes, soit 340 postes condamnés.
Une crise aux longues ombres
Le groupe familial est depuis longtemps en crise financière. La pandémie, qui a mis à l’arrêt la jeune industrie de la croisière, a exacerbé ses difficultés en 2021, notamment en raison de la révision des calendriers de livraison qui ont ralenti les paiements des versements contractuels (80 % du prix de la construction n'est généralement payé qu'à la livraison du navire). La guerre en Ukraine et la flambée des prix des matières premières qui en a découlé n’ont pas arrangé ses affaires.
Mais sans le Covid, le constructeur du nord de l’Allemagne se trouvait déjà sous la pression de la concurrence qui tire les prix vers le bas et l’a conduit à devoir négocier à plusieurs reprises avec les syndicats, notamment IG Metall, des réductions des effectifs, des efforts de productivité et d’économies.
Ses chantiers Neptune à Rostock en Allemagne (paquebots fluviaux et grands ensembles) et à Turku, en Finlande (site d’appoint de Papenburg pour les grands paquebots avec une capacité de deux unités) avaient été concernés par des mesures similaires quelque temps avant.
Un déficit de financement de 2,8 Md€
Quatre ans plus tard, accusant un déficit de financement de près de 2,8 Md€, le chantier naval a besoin d'une nouvelle injection de capitaux s’il veut honorer ses engagements de construction.
« En fin de compte, il existe une détermination inébranlable à travailler ensemble pour assurer l'avenir de Meyer Werft, préserver à la fois le site et les emplois à Papenburg, ainsi que l'important savoir-faire en matière de construction navale en Allemagne. En Basse-Saxe et au sein du gouvernement fédéral, nous défendons ensemble cet objectif, en toute impartialité », a réagi Sebastian Lechner, chef du groupe parlementaire CDU au parlement du Land de Basse-Saxe.
Meyer Werft est une entreprise clé pour le nord-ouest de la Basse-Saxe. Outre les plus de 3 000 personnes employées directement par le chantier, plus de 20 000 emplois en Allemagne en dépendraient directement et indirectement, selon les sources officielles.
Si aucune des commandes existantes n'a été perdue, Papenburg, dimensionné pour construire trois paquebots par an dont deux grandes unités, n'a pas reçu de nouveaux contrats avant cette année avec celles de Disney Cruise pour deux paquebots de 180 000 tpl. Le chantier a également commencé à se diversifier en construisant des plates-formes de conversion pour le secteur de l'énergie éolienne en mer.
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Point fort du « made in Germany »
Le segment des navires de croisière est un des points forts du « made in Germany » mais la montée en puissance des constructeurs chinois subventionnés avec largesse ont mis à mal cette suprématie.
Les armateurs européens sont à l’origine de quelque 40 % des commandes mais 95 % sont adressées à des chantiers navals non-européens, chinois, sud-coréens et japonais, où les prix sont plus bas qu'en Europe et où il est également possible de financer de grandes constructions neuves.
Les navires de marchandises générales, les porte-conteneurs ou les pétroliers ont quasiment cessés d’être produits en Europe, continent pourtant maritime au littoral deux fois plus long que celui de la Chine. Avec la stratégie Made in China 2025, la Chine vise la première place mondiale en matière de construction navale, y compris dans des navires sophistiqués (navires passagers, yachts, bâtiments militaires…), qui étaient l’apanage des chantiers européens et sud-coréens. Selon une étude américaine, Pékin aurait abondé ses chantiers navals à hauteur de 200 Md€ depuis 2000.
Pendant ce temps, fin juillet, Bruxelles, qui encadre strictement les aides d'État et mentionne à peine cette industrie dans le médiatique rapport sur la compétitivité de Mario Draghi, a annoncé la création d’un portail de financement des navires qui recense l’ensemble des aides publiques et privées disponibles.
Adeline Descamps