Depuis la promulgation en juin 2022 de la nouvelle législation sur le transport maritime aux États-Unis, la Federal Maritime Commission (FMC), l’autorité de réglementation du secteur, doit faire face à un afflux de plaintes de chargeurs, principalement au sujet des frais de détention et de surestarie (D&D), point de friction entre les chargeurs et les transporteurs que la pandémie a exacerbé.
Elles ont plus que triplé, révèle une enquête du Financial Times, avec 394 plaintes enregistrées en quatorze mois.
La FMC aurait mené à bien 43 enquêtes sur des réclamations concernant des frais et résolu 36 cas, rien que sur le mois de septembre. Elle a indiqué par ailleurs que 101 cas avaient été résolus à l'amiable, et donné lieu à des remboursements en totalité.
Responsabilités en cascade
Le transport maritime étant très intermédié, les responsabilités en cascade pourraient donner lieu à d'autres actions, certaines déjà médiatisées, de la part de transporteurs se retournant à leur tour contre les commissionnaires et opérateurs de terminaux.
Le rapport de la FMC fait état de 2,89 M$ de sanctions imposées principalement à l'encontre des transporteurs, sur les douze derniers mois, à fin septembre.
Une révolution dans les pratiques
Les chargeurs, qui ont été particulièrement virulents outre-Atlantique durant la pandémie à l'encontre des compagnies, en raison des perturbations en mer et des discriminations dont ils estiment avoir fait l'objet pour des raisons lucratives.
L’Ocean Shipping Reform Act a notamment revu les procédures à la faveur des chargeurs, qui peuvent depuis requérir plus facilement contre les armateurs.
Les règles en matière de détention et de demurrage (D&D) ont été revues à cette occasion. À cet égard, la charge de la preuve a été transférée des clients aux compagnies maritimes. Ainsi, ces dernières doivent motiver les raisons pour lesquelles les clients n’ont pas retourné à temps les conteneurs, par exemple.
Ce fut la grande problématique pendant les deux années de pandémie. Nombreux sont les chargeurs qui ont mis en cause des facturations injustifiées alors que les boîtes étaient bloquées dans les terminaux des ports encombrés ou que la pénurie de chauffeurs routiers empêchait de faire la navette entre les ports.
Pratiques jugées abusives
Aussi, la FMC, dont le budget a été doublé et les pouvoirs accrus, peut dorénavant agir juridiquement contre les pratiques commerciales jugées déloyales, y compris contre les accords entre les transporteurs maritimes réunies en alliances.
Une proposition de loi déposée en mars et portée par cinq membres du Congrès, emmenés par un représentant démocrate, entend revenir sur l'exemption aux règles de la loi antitrust qui permet aux transporteurs de partager des capacités.
L'Union européenne, après avoir longtemps opposé une fin de non-recevoir aux associations professionnelles composant la chaîne d'approvisionnement mondiale, vient de franchir le cap. La Commission a annoncé le 12 octobre que les exemptions aux règles de la concurrence, dont bénéficient les armateurs de la ligne régulière, ne seront pas renouvelées au-delà du 25 avril 2024.
En Europe, les compagnies maritimes, réunies en alliances ou consortiums dont la part de marché est inférieure à 30 %, peuvent actuellement coopérer sur le plan opérationnel (partage de capacités, coordination des itinéraires et des horaires...), excluant toutefois l’entente sur les prix pratiqués et sur les capacités mises sur le marché.
Bruxelles estime entre autres que le dispositif n'apporte aux transporteurs que des « économies limitées sur les coûts de mise en conformité », ne permet plus aux plus petites entreprises de coopérer entre elles et d'offrir des services alternatifs en concurrence avec les grandes entreprises.
Dans le viseur
Si l'organisation en alliances maritimes est dans le viseur des autorités antitrust de plusieurs pays, la FMC avait conclu à l’absence de collision commerciale dans son rapport final (Fact Finding 29 : International Ocean Transportation Supply Chain Engagement) à la suite d’une série d’audits menés pendant deux ans, en partie sur les taux de fret et les frais de surestaries et de détention.
Sur l’organisation de la ligne régulière en trois principales grandes alliances, dont découleraient un pouvoir de marché des transporteurs, une pression sur les prix et des exigences de volumes, le rapport avait également balayé l’argument : « Contrairement à certaines idées fausses, le marché actuel des services de ligne dans le commerce transpacifique n'est pas concentré. La concurrence entre les transporteurs maritimes, entre les trois grandes alliances et entre les membres de chacune de ces alliances, est vive ».
Consentement à quelques exceptions
La plupart des transporteurs ont accepté de collaborer avec la FMC, MSC se retranchant cependant derrière la législation suisse qui lui permet de s'affranchir de livrer des informations commerciales.
Le 20 octobre, une cour d'appel américaine a entamé les auditions dans le cadre d'un procès intenté par Evergreen contre la FMC alors que la plus grande compagnie taïwanaise est en conflit avec un transporteur routier qui l'accuse d'avoir facturé des frais D&D sans raison opportune. La FMC lui a donné raison.
Adeline Descamps