Avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2020, de la réglementation IMO 2020 plafonnant la teneur en soufre des carburants marins en deçà de 3,5 %, de nombreux scénarios avaient été esquissés sur l’inévitable match entre les différents carburants. Les rapports de force entre le duo HFO (à haute teneur en soufre)/scrubbers (technologie qui permet de traiter les oxydes de soufre générés par la combustion) et le VLSFO (à basse teneur en soufre, moins de 0,5 %), polarisaient toutes les pronostics.
Depuis, l’écart de prix entre ces deux combustibles de soute, baptisé Hi5, est devenu un véritable sujet d’étude. Car il est l’un des facteurs clefs conditionnant l’intérêt des armateurs et propriétaires de navires pour le scrubber (EGCS, Exhaust Gas Cleaning Systems) qui permet à un navire de consumer du HFO tout en étant dans les clous de la réglementation. Du différentiel de prix dépend donc la pertinence de l’investissement (et de son retour sur investissement) sachant que ces pots catalytiques géants coûtent autour de 6,5 M$ en boucle ouverte pour un navire de 15 000 à 16 000 EVP. Plus l’écart de prix est important entre les deux fuels plus le retour sur investissement est court.
Retour sur investissement de trois ans actuellement
Tous les schémas avaient été dessinés. Excepté un : une crise sanitaire mondiale qui va précipiter en avril 2020 le baril américain West Texas Intermediate (WTI) en territoire négatif pour la première fois de son histoire.
Au début de l’année, alors que la réglementation sur le soufre venait d’entrer en vigueur, la différence de prix entre le HFO et le VLSFO (autour de 350 $) était telle que l’investissement dans les scrubbers était très rapidement amorti, en deux ans. Deux mois plus tard, le différentiel n’était plus que d’une cinquantaine de dollars si bien que de nombreux armateurs ont suspendu les travaux prévus sur les flottes. Au début de l’année, le Hi5 s’établissait à 103,33 $/t, selon les données de Platts. Sur une base mensuelle, l'écart est resté en moyenne au-dessus de 100 $/t jusqu'à présent et était autour de 82,59 $/t tout au long du moins de septembre. Aujourd'hui, le retour sur investissement est d'environ trois ans.
Un quart des ventes de combustibles pour le HFO
À Singapour, premier centre d’avitaillement mondial des navires, la demande en HFO reste forte puisqu’il représente encore un quart des ventes de combustible de soute. En août, les ventes de 180 CST, 380 CST et 500 CST – tous à haute teneur en soufre –, ont augmenté de 2,7 % par rapport à la même période de 2020 pour atteindre 1,057 million de tonnes, soit 25,9 % des ventes totales du mois, selon les dernières données de la Maritime and Port Authority of Singapore.
Les carburants à très faible teneur en soufre représentent 60 à 65 % de la demande mondiale, selon une information communiquée à l’occasion de la 37e conférence pétrolière Asie-Pacifique (APPEC 2021) organisée par S&P Global Platts du 27 au 29 septembre. Le diesel marin apporte le solde.
« L'argument en faveur de l'installation d'un scrubber à bord et d’utiliser du fuel lourd est encore plus convaincant sur des navires de grande taille ou sur des constructions neuves, a indiqué le directeur de recherche de la société de conseil Blue Insight, lors de cette conférence retransmise, estimant le retour sur investissement à un an et demi pour ces catégories de navires. « On constate que le retrofit d’un porte-conteneurs en l’équipant d’un scrubber représente environ 50 à 35 % du coût du projet, ce qui rend la transformation d'un fioul à haute teneur en soufre en un fuel à faible teneur en soufre très peu compétitive pour la majorité des grands navires. »
Un intérêt économique pour les grands navires
« Plus le navire est grand, plus il consomme de carburant, ce qui explique pourquoi les VLCC, les capesize et les ULCC (ultra large container ships) ont largement adopté le scrubber, beaucoup plus que pour leurs homologues plus petits à l’instar des aframax, des handymax/handysize et des feeders », justifie le Bimco, association internationale des exploitants et propriétaires de flotte. La facture de carburant est la composante la plus importante des coûts pour les compagnies maritimes. Sa part dans les dépenses d’exploitation peut ainsi atteindre 40 à 60 % pour les plus grands navires.
Entre le 1er janvier 2020 et le 1er mars 2021, dernières statistiques disponibles, le nombre de navires équipés de scrubbers est passé de 2 011 à 3 935, tous segments confondus. Les EGCS équipaient alors 15,9 % des porte-conteneurs (28,7 % en EVP), 11,4 % des vraquiers (22,7 % en tpl), 24,5 % des transporteurs de pétrole brut (29,9 % en tpl) et 4,2 % des transporteurs de produits pétroliers (13,4 % en tpl).
Système très controversé
Les systèmes d’épuration des gaz de cheminées sont pourtant très controversés, y compris à l’OMI où les ONG environnementales ne désarment pas. Études à l’appui, elles ont à plusieurs reprises voulu démontrer que quantités de métaux lourds, dont les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), présents dans les eaux de lavage rejetées par les scrubbers sont « potentiellement préoccupants pour l'environnement, la faune aquatique et la chaîne alimentaire dans les zones à fort trafic maritime tels que les détroits, les chenaux et les canaux de navigation mais aussi les baies et les ports ». Certaines d’entre elles, plus radicales, à l’instar de la bruxelloise ONG Transport & Environnement, demandent une interdiction en l’absence d’une étude plus renseignée sur les impacts.
Dans leur version à circuit ouvert, les scrubbers rejettent des eaux chargées en sulfites dans les mers et océans. La liste des ports les interdisant ne cesse de s’allonger. S’il existe des alternatives – des systèmes à boucle fermée ou hybride – elles sont encore peu plébiscitées.
Enfin, si la technologie convient pour la réglementation IMO 2020 (désormais passée), elle n’a aucune vertu pour traiter le CO2. Et à plus forte raison parce qu’un navire équipé de ces systèmes d'épuration des gaz d'échappement consomme davantage de carburant donc émet plus de CO2. Mais les trois grands fabricants d'EGCS – le suédois Alfa Laval, le norvégien Yara Marine et le finlandais Wärtsilä – planchent déjà sur l’ensemble de ces points et font aussi valoir leurs arguments dans des études. Premier fabricant de scrubbers, Wärtsilä planche sur le potentiel de la capture et stockage du carbone pour améliorer l’ADN environnemental du scrubber.
Adeline Descamps