Le 6 octobre, les ministres européens de l'Environnement ont tenu un premier débat sur le paquet législatif Fit for 55, portant notamment sur la révision du système communautaire d’échanges de quotas carbone afin d’intégrer (ou de créer un dispositif spécifique à) le transport maritime et la création du Fonds social européen pour le climat. « Les premiers échanges de vue laissent penser que les discussions seront tendues et que les compromis seront difficiles à obtenir entre les États membres », indique la Clecat, l’association européenne des commissionnaires et transitaires européens.
La feuille de route européenne climatique, que la Commission européenne a présenté mi-juillet, a quitté la zone dure des convictions pour entrer dans la zone grise des négociations. Présenté par la Commission européenne mi-juillet, le plan d’attaque, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990, doit être examinée par le Conseil (vingt-sept États membres) et le Parlement européens avant qu’elle ne devienne législation. Elle a donc entamé son cheminement classique qui ne manquera pas d’amender la copie initiale de la Commission.
Taxer près de 70 % des émissions des voyages à destination de l'Espace économique européen
Pour rappel, sur l’ensemble du paquet (14 textes législatifs), quatre propositions réglementaires – et non des moindres – concernent le transport maritime. Ils portent le nom de SCEQE et de FuelEU Maritime. Ces deux acronymes vont orienter en Europe (et au-delà) la décarbonation du secteur maritime. À eux deux, ils auront le pouvoir de taxer près de 70 % des émissions des voyages à destination de l'Espace économique européen (EEE) et 50 % des voyages internationaux entrants et sortants, d’obliger les armateurs à consommer des carburants moins générateurs de gaz à effet de serre, d’imposer certaines soutes pour la première fois, d’exiger des ports l’électricité à quai et le soutage de GNL (cf. détails ici : Fit for 55).
Inquiétudes sur les conséquences financières
« Les ministres ont surtout concentré leurs critiques sur la révision du SCEQE, et plus particulièrement sur la création d'un système distinct pour le transport routier et les émissions des bâtiments. Les ministres ont exprimé leurs inquiétudes quant aux conséquences financières pour les ménages et les entreprises vulnérables et au risque d'accroître la pauvreté énergétique », explique la Clecat.
Les États membres d'Europe centrale et orientale, tels que la Hongrie, la Roumanie ou la Pologne, seraient les plus virulents à cet égard. Les pays côtiers et insulaires (Grèce, Malte et Chypre) ont également dénoncé l'inclusion du transport maritime dans le champ d'application du SCEQE, affirmant que cela nuirait à leur économie. La Finlande est, elle, satisfaite de l’introduction de la tarification du carbone compte tenu de son impact qu’elle estime avéré dans la réduction des émissions.
Le conseil Environnement doit se réunir à nouveau le 20 décembre pour poursuivre l'examen et dégager des approches générales sur certaines propositions tandis que les discussions techniques se poursuivent dans les groupes de travail.
Habileté de Bruxelles
Fin septembre, les 27 ministres de l’Énergie de l’UE s’étaient également réunis pour discuter du paquet climat-énergie, se concentrant sur deux directives (énergies renouvelables et efficacité énergétique dans tous les domaines de l’économie) qui ont pour objectif de faire augmenter de 40 % la consommation des énergies renouvelables dans le mix total d’énergie consommée, tout en réduisant la consommation d’énergie de 36 à 39 % d’ici 2030. La prochaine réunion en octobre sera également déterminante, puisque de nombreux textes législatifs relèvent de la compétence de ces ministres.
Pour se donner toutes les chances de faire émerger un compromis qui soit dans les clous des objectifs, la Commission a choisi d’aborder le paquet dans son ensemble. « S’il y a des éléments que vous souhaitez modifier, aidez-nous à trouver des alternatives qui permettent d’atteindre le même objectif. Tel est, il me semble, l’objectif ultime que nous devons nous fixer afin d’assurer un partage équitable des responsabilités, entre les États membres et les régions », a habilement proposé Frans Timmermans, le vice-président de la Commission chargé du climat, aux législateurs européens.
Présidence française de l’UE
Tandis que les premiers échanges se font sous présidence slovène, c’est sous celle de la France que les véritables négociations se tiendront à partir de janvier 2022. Si le paquet n’est pas trop amendé, l’UE disposera alors d’une des politiques climatiques les plus exigeantes sur le plan des réductions des émissions de CO2. Au grand dam de certains armateurs qui ont mis ces derniers mois l’Organisation maritime internationale (OMI) sous pression pour qu’elle accélère sur le sujet afin de ne pas se voir imposer un patchwork de règles régionales.
Les 27 pays membres de l’Union européenne ont aussi pressé l’OMI de revoir à la hausse ses objectifs de décarbonation. Le dernier Comité de protection du milieu marin de l’OMI (MEPC76) n’a guère été probant de ce point de vue.
Bruxelles a prévu une clause de révision de sa réglementation en fonction des avancées de l'autorité internationale de régulation du transport maritime. Mais dans la pratique, une fois le système d'échange de quotas adopté selon les règles européennes, il est difficile d’imaginer un réaménagement a posteriori de l’UE au nom de la paix des nations. A fortiori quand l’UE aura goûté aux recettes tirées du carbone, dont le prix devrait inévitablement monter.
Adeline Descamps