Exploitants ou affréteurs de navires : qui doit payer pour les émissions de CO2 ?

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L'Association des armateurs de la Communauté européenne (ECSA) a publié un document d'orientation sur la proposition de l'UE visant à inclure le transport maritime dans son système d'échange de quotas d'émission. Les armateurs européens demandent une application stricte du principe pollueur-payeur et estiment que les affréteurs doivent payer pour les émissions de CO2 induites par leurs choix opérationnels.

Alors que les échanges s’accélèrent à Bruxelles sur le paquet « Fit for 55 » que la Commission européenne a présentée en juillet et qui trace la feuille de route de l’UE pour respecter les accords de Paris sur la réduction des gaz à effet de serre, les armateurs européens réunis au sein de l’ECSA – fédération des 19 associations nationales d'armateurs basées dans l'UE et en Norvège, soit 39,5 % de la flotte commerciale mondiale –, rappelle quelques-unes de leurs lignes rouges.

Dans ce corpus législatif, certaines dispositions – une proposition de règlement sur les infrastructures de combustibles de substitution (AFIR), l’extension du SEQE système communautaire d'échange de quotas d'émission ou Emissions Trading System (ETS) au transport maritime, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), l'utilisation de combustibles de substitution par le transport maritime (FuelEU Maritime), des amendements à la directive sur les énergies renouvelables (REDIII) et la révision de la directive sur l’énergie (ETD) – ne sont en effet pas neutres pour les armateurs.

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Clause juridiquement contraignante

Dans son document d'orientation sur la proposition de SCEQE, les armateurs européens, dont la « préférence va toujours à une réglementation internationale pour le transport maritime au niveau de l'OMI », n’ont pas bougé d’un iota : ils soutiennent la création d'un fonds dédié afin de stabiliser le prix du carbone – « ce qui est particulièrement important pour les nombreuses PME du secteur du transport maritime » –, considèrent que les revenus générés par la taxation du carbone doivent être affectés à la R&D et ainsi contribuer à réduire l'écart de prix entre les carburants fossiles et verts. Quelques items de la proposition européenne font déjà référence à un fonds d'innovation pour financer la décarbonation. « Ils ne contiennent aucun engagement juridiquement contraignant visant à affecter des recettes au secteur du transport maritime », rétorque l’ECSA..

Dans la note d’orientation produite par les armateurs, le point qui risque de faire grincer est ailleurs : dans la demande d’une application absolue du principe « pollueur-payeur » qui voudrait donc faire endosser le coût d'achat des quotas d'émission de carbone par « l'entité responsable des choix opérationnels qui affectent les émissions de CO2 d'un navire ».

Là encore, la proposition SCEQE reconnaît clairement le rôle de l'opérateur à l’origine « mais aucune exigence contraignante n'est introduite et la répercussion des coûts est laissée aux dispositifs du marché », conteste l’ECSA, estimant qu’il est nécessaire de légiférer sur ce point en introduisant « une clause juridiquement contraignante » lorsque le secteur maritime fera partie du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne en 2023.

Toutefois, Sotiris Raptis, secrétaire général adjoint de l'ECSA, indique ne pas être favorable à ce que les opérateurs achètent ou rendent des quotas. « Nous préférons nettement que la question soit réglée dans un cadre contractuel entre les propriétaires et les opérateurs en rendant cette clause contraignante par la loi. »

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C’est le décideur qui paie

En clair, les affréteurs doivent payer en tant que « responsables en dernier ressort de l'achat du carburant, du choix de l'itinéraire et de la vitesse du navire », indique le document de synthèse de la fédération.

Pour rappel, l’intégration progressive du transport maritime au système communautaire d’échanges de quotas carbone (à partir de 2023 pour 20 % des émissions avec date butoir en 2026 pour une couverture totale) va imposer aux exploitants de flotte d’acheter des quotas d'émission. Un quota donne le droit d’émettre une tonne de CO2. Annuellement, ils devront restituer suffisamment de quotas pour couvrir les émissions de leurs navires pour l'année en cours. S'il leur en reste plus que nécessaire, ils pourront les vendre à d'autres compagnies qui en ont besoin ou les conserver pour l'année suivante.

En 2020, le secteur a émis 119,9 Mt de CO2 lors de ses voyages en lien avec l’EEE. Selon les données, si le SCEQE avait été actif dans cette zone géographique et avec une couverture des émissions concernées à 100 %, entre 80 et 90 Mt de CO2 auraient ainsi été couvertes. 

Le casse-tête de la taxation carbone appliquée au transport maritime

Qui est responsable de l’achat des carbone ?

Outre de savoir si c'est à l'affréteur ou au propriétaire de payer, d’autres questions se posent quant à l'entité responsable de l'achat des quotas de carbone (propriétaire ou exploitant de l'entreprise) et à sa gestion. Quant aux revenus issus de la taxation versés dans un fonds pour financer la R&D, une autre interrogation perce : est-ce que les compagnies maritimes ne cherchent pas avec cette mesure à substituer à l'achat de quotas de carbone une cotisation annuelle égale à leurs émissions totales ?

Les armateurs européens ne sont pas les seuls à s’activer pour que des amendements soient apportées au système d’échanges de quotas d’émission de carbone élargi au transport maritime. Plus largement, le secteur appréhende la superposition de règles régionales et/ou des tarifications et refusent de voir la légitimité de l’OMI contestée sur une activité par essence internationale. C’est pourquoi nombre d’entre eux pressent l’autorité internationale de régulation du transport maritime à être plus ambitieuse dans ses propositions.

Le 76e Comité de la protection du milieu marin (MEPC76), session où se négocient les futures réglementations afférentes à l’environnement, a donné l’impression de ne pas aller assez loin pour atteindre les objectifs convenus de réduction des émissions de CO2. Avec ses mesures plus proactives, l’UE la met implicitement en défaut d’autorité manifeste.

COP26 : Agitation et remous dans le transport maritime

Enjeu complexe

L'Union des armateurs grecs et la Chambre internationale de la marine marchande (ICS) rappellent par ailleurs de façon chronique leur radicale opposition à l'intégration de 50 % des émissions générées par des navires long-courrier, arguant que seuls les voyages intra-UE doivent être soumis à la taxation européenne. Le Bangladesh, la Chine, l'Inde et le Panama ont fait connaître leurs positions critiques quant à la démarche unilatérale de l'UE dans un document soumis à l’OMI.

Ces agitations font dire à certain que les premières échéances du calendrier (2023) ne vont plus tenables. On s’en éloigne dangereusement, souffle-t-il.

Le marché carbone de compensation est un enjeu des plus complexes. Il est d’ailleurs le seul article (le numéro 6) de l'Accord de Paris qui n’ait pas été finalisé. Celui-ci prévoit deux mécanismes pour que des entités (entre États dans le premier; entre entreprises, États, particuliers, etc. dans le second) puissent réaliser des échanges de réductions d’émissions de manière contrôlée et régie par l'ONU. Toutes les COP, dont 26e session se joue actuellement, ont jusqu’à présent échoué à aboutir sur ce sujet…

Adeline Descamps


 

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