États-Unis : cette grève des dockers est-américains tant redoutée

Comme anticipé depuis de longues semaines, les dockers ont mis leur menace à exécution le 1er octobre, alors que leur contrat actuel de travail concernant des dizaines de milliers d'employés portuaires a échu. Le mouvement concerne 14 grands ports de la façade est-américaine et les opérations dans les 36 terminaux. Un choc pour l'économie ? Des impacts réels ou supposés ? Sursaut possible des taux de fret ?

L’affaire semblait aussi inéluctable que redoutée. Les négociations entre le syndicat International Longshoremen's Association (ILA), qui représente les 45 000 dockers des grands ports de la côte est-américaine et du Golfe du Mexique (25 000 concernés par le renouvellement), et leurs employeurs unis sous la United States Maritime Alliance (USMX) sont au point mort depuis des mois. À l’exception de l’offre de dernière minute présentée par l'USMX à la veille d'une grève potentielle, les dockers en sont restés à la proposition salariale de février tandis que les deux ne se sont pas retrouvées autour d’une table depuis le mois de juin.

Comme anticipé, les dockers ont mis leur menace à exécution le 1er octobre, alors que leur contrat actuel de travail a échu le 30 septembre à minuit. Le mouvement concerne 14 grands ports* de la façade est-américaine et les opérations dans les 36 terminaux maritimes exploités par l'USMX, qui compte parmi ses membres CMA CGM, Maersk, Cosco, MSC, OOCL et Evergreen.

Les salaires et l’automatisation constituent d’irréductibles lignes de fracture. L’ILA ne démord pas de sa demande de revalorisation de 77 % alors que l'USMX en proposerait 40 %. L’organisation professionnelle rappelle avoir consenti des efforts financiers à l’occasion de la négociation du dernier contrat-cadre il y a six ans. « Vidés de leur sens par la hausse vertigineuse de l'inflation », rétorquent les dockers de l’Est.

Quant à l’automatisation, ils y sont fermement opposés, qu’elle soit totale ou partielle. Dans son actuellement formulation, la clause du contrat stipule que rien ne peut se faire sans accord entre les deux parties. « Nous voulons une clause absolue stipulant qu'il n'y aura pas d'automatisation ou de semi-automatisation », tranche Harold Daggett, président de l'International Longshoremen's Association.

Offre de la dernière chance

Au vu des dernières envolées échangées par communiqués de presse interposés, les deux parties ne semblent pas disposer à reprendre le fil d’une conversation cordiale et constructive. « Le récent communiqué de presse d'USMX est une nouvelle tentative de déformer les faits et d'induire le public en erreur », attaque l’ILA, qui rejette « la prétendue hausse de près de 50 % ». Le syndicat estime qu'elle ne reflète pas une réalité : « nous utilisons des équipements de manutention valant plusieurs millions de dollars pour à peine 20 $ de l'heure ». Les dockers attendent désormais une majoration de 5 $ de l'heure pour chacune des six années du prochain contrat-cadre.

Partage des bénéfices records

L’argument est le même que celui employé il y a un an par leurs homologues de la côte Ouest, qui ont dû ferrailler pendant 13 mois avant de tomber d’accord sur une augmentation de 32 %. « Les dockers ont consenti des sacrifices pendant la pandémie, pour maintenir les ports ouverts et l'économie en mouvement. Les transporteurs maritimes étrangers continuent de réaliser des bénéfices records, imposant des surtaxes scandaleuses aux consommateurs et aux clients, mais rechignent à l'idée de partager équitablement ces bénéfices avec l'ILA ».

Une autre revendication concerne les redevances sur les conteneurs qui doivent leur revenir de plein droit, expliquent-ils. « Ces fonds ont été conçus comme un complément de salaire versé à nos membres, et non comme un partage avec les employeurs. »

Un moment peu opportun

« Il n’y a jamais de bon moment pour faire la grève », réagit Leslie Sarasin, à la tête de la Food Industry Association. Mais celle-ci tombe bien mal, reconnait-elle, alors que l’Ouragan Hélène a sérieusement perturbé les approvisionnements et que le canal de Panama vient à peine de rétablir ses passages après de longs mois à jauge réduite en raison d'un déficit hydrique. La situation a impacté les arrivées dans les ports est-américains.

Par ailleurs, dans le conteneur, septembre est traditionnellement l'un des mois les plus chargés pour les importations conteneurisées américaines, les entreprises consolidant leurs stocks dans la perspective des fêtes de fin d'année.

Des impacts plus vastes qu'à l'Ouest

Le range portuaire, qui va du Texas au Maine, représente entre 40 et 50 % de toutes les importations américaines et 57 % du volume de conteneurs. Sur la base des données d’Alphaliner, des porte-conteneurs d'une capacité totale de 4,6 MEVP, soit 15 % de la flotte actuelle, sont actuellement déployés sur les itinéraires desservant la façade Est. Contrairement aux ports de la Californie dominés par les importations conteneurisées d’Asie, les ports est-américains ont une provenance plus diversifiée, l’Asie à 55 % contre 25 % depuis l’Europe et 20 % de l’Amérique latine. Et une typologie de fret plus varié.

Les ports de Baltimore et de Géorgie servent d'entrée aux pièces détachées et de sortie aux véhicules en provenance d'Europe. Ceux de Houston et de la Nouvelle-Orléans gèrent 60 à 70 % des exportations américaines de pétrole brut, de produits pétroliers raffinés et de gaz naturel, selon Project44, une plateforme de suivi de la chaîne d'approvisionnement en temps réel.

Les exportations américaines de céréales et de soja passent notamment par la Nouvelle-Orléans, hub pour les exportations agricoles en provenance du Midwest. Les infrastructures portuaires du Golfe traitent aussi 25 à 30 % des exportations américaines de machines industrielles et d'équipements lourds, dont une grande partie est destinée à l'Amérique latine et à l'Europe.

Ensemble, la côte est le golfe du Mexique accueillent environ 25 à 30 % des importations américaines d'acier, de ciment et d'autres matériaux de construction, principalement en provenance d'Europe et d'Amérique latine.

Selon l’analyste Linerlytica, quelque 90 escales de navires sont programmées cette semaine dans les terminaux concernés. Rien que dans la région de New York, près de 100 000 conteneurs sont sur le point d'être immobilisés par la grève, a prévenu Rick Cotton, le directeur général de l'Autorité portuaire de New York et du New Jersey, où 35 porte-conteneurs doivent accoster durant la semaine.

Un choc pour l'économie ?

La perspective d’un mouvement social de grande ampleur et ses impacts sur le transport maritime ont fait l’objet ces dernières semaines de nombreuses projections-catastrophes avec son contingent de références historiques plombantes (les grandes grèves de 1977, soit 44 jours de débrayage).

Quant au choc pour l’économie américaine, c’est la valse-hésitation des estimations. JP Morgan estime le coût de la grève à 5 Md$ par jour alors qu’une analyse du Conference Board l’évalue à 3,78 Md$ par semaine (soit 540 M$ par jour). Oxford Economics considère de son côté que chaque semaine de grève amputerait le PIB américain de 4,5 à 7,5 Md$ quand le cabinet Anderson Economic Group (AEG) soutient que la première semaine de débrayage coûtera 2,1 Md$, dont 1,5 milliard en marchandises perdues (comme des denrées périssables).

Réaction des transporteurs ?

De leur côté, les transporteurs (Hapag-Lloyd, CMA CGM, Maersk) ont annoncé des surtaxes au titre des perturbations portuaires pour le fret à destination pendant ou après les conflits sociaux et les exportations chargées à partir de ces ports après la reprise du travail. Les surcharges oscillent entre 1 000 $ et 3 780 $ (chez Maersk) par EVP selon les compagnies. La date de mise en œuvre varie selon les compagnies.

Ces derniers jours, les rotations ont été exécutées dans la panique pour les porte-conteneurs dont les escales étaient prévues dans les ports concernés afin de décharger les boîtes avant le débrayage ou les dérouter vers un autre terminal, non sans provoquer des changements de rotations et de dessertes.

De même, les chargeurs ont été pressés de récupérer leurs marchandises avant la date limite s'ils voulaient éviter les frais de surestaries et de détention inutiles, a signifié le transporteur israélien ZIM. « Les perturbations auront un impact sur la capacité des opérateurs de terminaux à contrôler les conteneurs frigorifiques », a prévenu Maersk, sensibilisant au risque de pertes éventuelles.

Des alternatives ?

Une partie des importations asiatiques vers les États-Unis ont déjà basculé vers la côte Ouest depuis quelques mois, soutenant par ailleurs les taux de fret spot sur le transpacifique alors qu’ils ne cessent de s’affaisser ailleurs. En l’occurrence, il n'y a pas de plan B facile. En dehors de Los Angeles et Long Beach, les alternatives sont limitées.

Altamira au Mexique, qui a accueilli ces derniers 15 jours quelques escales détournées, pourrait être mis à contribution davantage si la grève devait s'éterniser. Vancouver au Canada pourrait s’imposer mais le contexte y est fragile. Les 1 200 employés des terminaux céréaliers viennent d'y tenir un piquet, le Grain Workers Union, et le Vancouver Terminal Elevator Association ne parvenant à s'entendre sur les termes d'une nouvelle convention. Le ministre canadien du travail, Steve MacKinnon a toutefois ordonné aux parties de reprendre le travail. Le port de la côte pacifique est stratégique alors que 52 % de toute la production de grain du pays y transite, soit près de 100 0000 t chaque jour.

Sensibilité des taux de fret ?

Le Ningbo Containerized Freight Index (NCFI), qui reflète les variations des prix pour transporter un conteneur sur 21 routes maritimes au départ du troisième port mondial, était en repli de 7 % à l'issue de la semaine dernière par rapport à celle d’avant, pour s'établir à 1 548,8 points.

Pour les liaisons avec l'Amérique du Nord, « les volumes s’étant déplacés vers la côte ouest des États-Unis, l’indice de fret à l'est a chuté de manière significative de 2 117,9 à 2 984,6 points en une semaine », indique l’éditeur.

Selon son indice cousin au départ de Shanghai, le Shanghai Containerized Freight Index, les taux au comptant vers la côte est des États-Unis étaient évalués à 5 626 $ par conteneurs de 40 pieds (FEU) dans la semaine qui s'est clôturée le 27 septembre. Cet indice a chuté de 43 % par rapport au pic de juillet. En revanche, le niveau de prix vers la côte Ouest est quatre fois plus élevé qu'au début du mois d'août. Anticipant les mouvements sociaux, de nombreux chargeurs ont revu l'organisation de leur approvisionnement, optant pour Los Angeles.

Xeneta, qui mouline des données sur la base des taux communiqués par les transitaires (pour le spot), dément de son côté les propos tenus par l’ILA, selon laquelle les transporteurs pratiqueraient des taux de fret de 30 000 $ par EVP. « Le taux spot moyen le plus élevé de tous les temps sur le transatlantique a été établi durant la pandémie, en mai 2022, à 8 790 $ et sur le transpacifique en janvier 2022, à 12 400 $/EVP en janvier 2022 », rappelle l'analyste maison, Peter Sand, qui appelle au sursaut du gouvernement américain.

Une Intervention présidentielle ?

Dans un courrier adressé à l’administration Biden après l’échec des pourparlers entre les syndicats en juin, la puissante National Retail Federation (NRF), ainsi que 158 associations professionnelles, avaient sollicité une intervention présidentielle, comme elles l'avaient fait au temps de la pandémie forçant Joe Biden à descendre sur les quais. Quelque 177 associations ont récidivé en septembre, appelant une médiation de l'administration.

Une intervention présidentielle semblait improbable à quelques semaines d’un scrutin présidentiel si engageant pour l’avenir du pays et à la course serrée. Contre toute attente, le président démocrate vient de rompre son silence et a repris ses diatribes à l’endroit des transporteurs maritimes, qu’il avait déjà accusés durant la pandémie, sans fard ni filtre, de profiter des perturbations de la chaîne d'approvisionnement pour s’enrichir.

« Les transporteurs maritimes ont réalisé des bénéfices records depuis la pandémie », mentionne un communiqué de la Maison Blanche en date du 2 octobre. « La rémunération des dirigeants a augmenté parallèlement à ces profits et les bénéfices ont été reversés aux actionnaires à des taux records. Il n'est que juste que les travailleurs, qui se sont mis en danger pendant la pandémie pour garder les ports ouverts, voient également une augmentation significative de leurs salaires », indique le président Biden, exhortant l'USMX à revenir à la table des négociations avec une offre salariale acceptable. « Mon administration surveillera toute activité de gonflement des prix dont bénéficient les transporteurs maritimes étrangers, y compris ceux qui siègent au conseil d'administration de l'USMX », peut-on aussi lire.

La Maison Blanche pourrait s’appuyer sur la loi Taft-Hartley de 1947 pour briser la grève en cas d’urgence nationale. La législation autorise le président à demander une injonction du tribunal qui ordonne un retour de travail et impose une période de réflexion de 80 jours. Depuis les années 1970, la disposition n'a toutefois été utilisée qu'une seule fois pour mettre fin à un arrêt de travail en 2002 dans 29 ports de la côte ouest.

Contrairement à leurs homologues de l'Ouest, les dockers de l'Est perçoivent des redevances basées sur le tonnage manutentionné chaque année dans leur port. La grève pourrait ainsi ne pas s'éterniser car les dockers n'ont aucun intérêt à voir les tonnages fuir vers l'Ouest.

Adeline Descamps

* Parmi lesquels Boston, New York, Philadelphie, Baltimore, Savannah, Miami, Tampa ou encore Houston

 

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