Les compagnies maritimes s'organisent face à la perspective d'une grève d'ampleur outre-Atlantique

Port de New York New Jersey

Hapag-Lloyd va introduire une surtaxe dite d'interruption de travail. CMA CGM prévoit des redevances portuaires. Maersk anticipe des retards de quatre à six semaines. Le dialogue semble durablement rompu entre les dockers des ports est-américains et leurs employeurs. Le range portuaire, qui va du Texas au Maine, représente 57 % de toutes les importations américaines. 15 % de la flotte mondiale est déployée sur ces itinéraires.

À 14 jours de l’ultimatum posé par les dockers des ports de la côte est-américaine et du Golfe du Mexique, la menace d'une grève portuaire généralisée dès le 1er octobre est prise très au sérieux par les transporteurs maritimes. Hapag-Lloyd va introduire à partir du 18 octobre une surtaxe dite d'interruption de travail (Work Disruption Surcharge, WDS) sur le fret à destination de la côte Est des États-Unis de 1 000 $ par EVP.

CMA CGM a informé ses clients de redevances portuaires dans divers ports de la côte Est et du Golfe à compter du 11 octobre et jusqu'à nouvel ordre. Une redevance portuaire locale à l'origine (LPC01), de 800 à 1 266 $ pour le dry et de 1 000 à 1 500 $ pour le reefer, s'appliquera aux expéditions au départ de certains ports vers toutes les destinations. En outre, l’armateur français a annoncé une taxe portuaire locale de 1 500 $ par conteneur à destination (LPC51), qui s'appliquera au fret entrant, quelle que soit leur origine.

Maersk anticipe de son côté des situations de congestion et des retards de quatre à six semaines alors que la flotte mondiale est déjà sous pression en raison de la situation sécuritaire en mer Rouge où les attaques des Houthis contre les navires ont conduit une partie de la flotte mondiale à dérouter.

Blocages sur les salaires et l'automatisation

L'International Longshoremen Association (ILA), qui représente les employés portuaires, et l'USMX, pour les employeurs, ne se sont pas retrouvés autour d’une table depuis le mois de juin. Les deux parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les termes de la convention collective qui s’appliquera dans les six prochaines années. Or, l’actuel contrat-cadre de 2018 deviendra caduc le 1er octobre.

Les échanges achoppent notamment sur les augmentations de salaires et l’automatisation. Et la cassure est béante. L'une des principales revendications de l'ILA porte sur une hausse salariale de 77 % alors que l'USMX proposerait 40 %. Il y a deux ans, les dockers de la côte ouest des États-Unis avaient obtenu une augmentation de leur rémunération de 32 %. Contrairement à leurs homologues de l'Ouest, les dockers de l'Est perçoivent des redevances basées sur le tonnage manutentionné chaque année dans leur port. La grève pourrait de ce fait ne pas s'éterniser car les dockers n'ont aucun intérêt à voir les tonnages fuir vers l'Ouest.

Quant à l’automatisation, tous les regards se braquent sur les terminaux de Maersk à Mobile, en Alabama, qui ont introduit le système Auto Gate, en violation du contrat-cadre de 2018. Les deux parties avaient convenu que tous développements dans ce sens - terminaux et équipements entièrement automatisés ou technologies semi-automatiques - devraient obtenir l'aval des deux parties et ne pas être mis en œuvre sans accord sur les compensations. L'USMX a accepté la même formulation dans le nouvel accord.

4,6 MEVP en jeu

Selon la banque HSBC, le range portuaire, qui va du Texas au Maine, a représenté 57 % de toutes les importations américaines l’an dernier. En outre, selon les calculs d’Alphaliner, des porte-conteneurs d'une capacité totale de 4,6 MEVP, soit 15 % de la flotte actuelle, sont actuellement déployés sur les itinéraires desservant la façade Est.

Certains transporteurs prévoient de s'appuyer ou ont déjà basculé sur la porte d’entrée de la côte Ouest. Le président de l'ILA a laissé entendre que ses membres pourraient faire grève ou refuser de desservir les navires détournés de la côte Est en signe de solidarité. Là encore, la menace est inopérante sauf à désavouer un alinéa du contrat récemment signé par l'ILWU rendant illégales les « actions syndicales intentionnelles ».

Dans le cas d'un grand basculement, l'infrastructure portuaire et terrestre serait mis à rude épreuve, prévient HSBC.  « Les importations en provenance d'Europe et d'Amérique latine seraient probablement bloquées, car les ports de la côte atlantique du Canada et les ports mexicains sont moins bien équipés pour gérer le débordement ».

Scénario catastrophe

Depuis plusieurs semaines, ce scénario catastrophe rencontre un franc succès, sondages, projections et analyses à l’appui sur les conséquences prévisibles. Les usagers des ports américains gardent, eux, en mémoire un précédent, côté ouest, où un accord avait été trouvé treize mois après l’échéance du précédent contrat de travail. Entre temps, les ports concernés avaient essuyé plusieurs mouvements sociaux.

Les impacts pour le transport de marchandises ne peuvent toutefois pas être similaires, rappelle Alphaliner dans une de ses dernières notes, car les ports de la Californie sont dominés par les exportations en grande partie originaires d’Asie quand les ports est-américains ont une provenance plus diversifiée, Asie (55 %), Europe (25 %) et Amérique latine (20 %).

Des impacts sur la disponibilité des boîtes

« En cas de grève, il y aura congestion, ce qui retardera la rotation des conteneurs. Les négociants pourraient être confrontés à une augmentation des surestaries et des frais de détention. L'arriéré de marchandises pourrait créer des pénuries d'équipements, augmentant les taux de location lorsque la demande augmente », estime de son côté Christian Roeloffs, cofondateur et PDG de Container xChange, une place de marché sur les conteneurs.

Pour les sociétés de négoce et de location de conteneurs, ces perturbations pourraient surtout affecter les délais de rotation des équipements. « Les entreprises doivent s'attendre à des pics de demande à court terme pour les conteneurs loués. Ces incertitudes alimenteront la volatilité du marché pour les sociétés de négoce de conteneurs, avec des prix et une disponibilité des conteneurs imprévisibles », ajoute-t-il. 

Des volumes importés en forte hausse

Quoi qu’il en soit, la grève tombe mal des deux côtés. En août, dernières données disponibles, les importations américaines de fret conteneurisé ont bondi de 12,9 % par rapport à la même période de l’an dernier, les principaux ports ayant traité près de 2,5 MEVP.

Los Angeles enfile les records, les trafics portuaires étant dopés par les importations (anticipées) des fêtes de fin d'année et la dynamique de consommation. Le premier port américain a annoncé un volume record de 960 597 EVP en août, soit une augmentation de 16 % par rapport à l'année précédente (faible). Il s'agit du mois « non pandémique » le plus chargé jamais enregistré dans le port. Huit mois après le début de l'année 2024, Los Angeles a déjà transporté près d'un million de conteneurs de plus que l'année dernière, soit 6,63 MEVP (8,6 MEVP en 2023).

Selon les dernières données disponibles, New York/New Jersey a enregistré en juillet son mois le plus actif de tous les temps avec 806 015 EVP, première fois que le port a traité plus de 800 000 EVP au cours d'un mois depuis septembre 2022. Les volumes étaient en hausse de 11 % par rapport à juillet 2023 et de 4 % par rapport à juillet 2022, le précédent record mensuel. Le port est-américain a ainsi cumulé 5,016 MEVP au cours des sept premiers mois de l'année (+ 12 % par rapport à la même période en 2023 et + 16 % par rapport aux sept premiers mois de 2019).

Septembre est traditionnellement l'un des mois les plus chargés pour les importations conteneurisées américaines, les entreprises se préparant aux fêtes de fin d'année. Cependant, cette année, la situation en mer Rouge, les détournements des navires qui allongent les distances, la perspective de mouvements sociaux… ont conduit les détaillants américains à anticiper leurs commandes. Les stocks étant actuellement élevés, la théorie d'une remontée des taux de fret au comptant, qui sont en baisse depuis début septembre, pourrait se fracasser contre cette réalité.

Intervention présidentielle ?

Dans un courrier à l’adresse de l’administration Biden après l’échec des pourparlers entre les syndicats en juin, La puissante National Retail Federation (NRF), ainsi que 158 associations professionnelles, avaient sollicité une intervention présidentielle, comme elles l'avaient fait au temps de la pandémie forçant Joe Biden à descendre sur les quais. Quelque 177 associations viennent de récidiver, appelant « l'administration à s'engager avec les parties à négocier rapidement un nouvel accord tout en maintenant les ports ouverts et la circulation des marchandises ».

La Maison Blanche pourrait sonner la fin de partie – la loi Taft-Hartley de 1947 l’y autorise en cas d’urgence nationale –, mais l’image de briseur de grève pourrait être dévastatrice pour le camp démocrate à deux mois d’un scrutin capital.

Adeline Descamps

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