États-Unis : un accord de principe met un terme à une grève qui promettait d'être dure

Port de Savannah

Ils ne s’étaient pas installés à une table depuis juin. Ils sont restés inflexibles tout au long de cet interminable marathon social entamé il y a des mois. Les dockers des ports de la côte est-américaine et du Golfe du Mexique et leurs employeurs ont convenu d'un accord de principe le 3 octobre, trois jours seulement après avoir débrayé. Ils se donnent jusqu'au 15 janvier 2025 pour finaliser le futur contrat-cadre.

Beaucoup de bruit pour rien ou les mystères de la négociation sous-marine. Ils ne s’étaient pas installés à une table depuis juin. Ils sont restés inflexibles tout au long de cet interminable marathon social. Les deux parties semblaient vissées sur leurs positions respectives, qui achoppaient principalement sur les salaires et l’automatisation.

Dans une déclaration postée dans la soirée du 3 octobre, l'International Longshoremen's Association, syndicat qui représente les 45 000 dockers des ports de la côte est-américaine et du Golfe du Mexique, a annoncé avoir conclu un « accord de principe » pour les 25 000 employés concernés avec leurs employeurs de l'United States Maritime Alliance (USMX). Il ajourne la grève qui avait à peine démarré, le 1er octobre, conformément à l’ultimatum que le syndicat des salariés avait posé il y a des mois. Le 1er octobre correspondait à l’échéance de la précédente convention collective, d’une durée de six ans aux États-Unis.

Une augmentation de 62 %

Dans leur communiqué lapidaire, l’ILA ne révèle aucun détail sur le package qui a été négocié. Selon une source de Reuters, les dockers ont obtenu une augmentation de salaires d'environ 62 % sur six ans. Cela porterait les salaires moyens à environ 63 $ de l'heure, contre 39 $ dans le précédent contrat-cadre. Les deux contractants ont fait un pas vers l’autre puisque l’ILA était inflexible sur sa demande à 77 %, tandis que le groupe d'employeurs avait porté son offre à près de 50 % in extremis, à la veille du préavis de grève.

Pour permettre la finalisation de « l’accord de principe » et « négocier toutes les autres questions en suspens », les deux parties vont reprendre langue. Pour ce faire, ils ont décidé de proroger le précédent contrat jusqu'au 15 janvier 2025. Les piquets de grève ont été levés instantanément dans la foulée.

Parmi les questions clés qui restent en suspens figure l'automatisation, un sujet sur lequel les représentants des personnels portuaires étaient assez radicaux, à savoir en écarter le principe, y compris si elle était partielle.

Pression politique

« La négociation collective fonctionne », a immédiatement réagi le président démocrate Joe Biden. L'accord de principe « représente un progrès décisif vers un contrat solide ». La pression politique est aussi efficace. Selon nos sources, les transporteurs ont été fermement invités à faire une offre mieux-disant, les conseillers économiques de la Maison Blanche à la manœuvre, mettant en avant le rôle des ports dans l’effort de reconstruction après les ouragans dévastateurs qui ont frappé plusieurs États (Caroline du Nord, Géorgie, Floride).

Les détaillants et les fabricants avaient eux-aussi mis le gouvernement sur le qui-vive. Dans un courrier adressé à l’administration Biden après un énième échec des pourparlers en juin, la puissante National Retail Federation (NRF), ainsi que 158 associations professionnelles, avaient sollicité une intervention présidentielle. Quelque 177 associations ont récidivé en septembre, appelant une médiation de l'administration.

Les organisations professionnelles avaient même fléché le terrain, suggérant à la Maison Blanche d'avoir recours à la loi Taft-Hartley de 1947. La législation autorise, en cas d’urgence nationale, d’ordonner un retour de travail moyennant une période de réflexion de 80 jours. Le jusqu’au-boutisme paraissait peu envisageable compte tenu du contexte politique outre-Atlantique. Assumer en tant que démocrate de briser une grève à quelques semaines d’une échéance présidentielle (5 novembre) à la course si serrée relève du suicide politique. Depuis les années 1970, la disposition n'a été utilisée qu'une seule fois pour mettre fin à un arrêt de travail en 2002 dans 29 ports de la côte ouest.

Après avoir observé un long silence, Joe Biden est finalement sorti de sa réserve, quelques jours avant que les dockers entrent dans le dur pour leur apporter un soutien tout en revenant à la charge contre les transporteurs maritimes, qu’il avait déjà accusés durant la pandémie, sans fard ni filtre, de profiter des perturbations de la chaîne d'approvisionnement pour s’enrichir.

« La rémunération des dirigeants a augmenté parallèlement à ces profits et les bénéfices ont été reversés aux actionnaires à des taux records. Il n'est que juste que les travailleurs, qui se sont mis en danger pendant la pandémie pour garder les ports ouverts, voient également une augmentation significative de leurs salaires », peut-on lire dans un communiqué de la Maison Blanche en date du 2 octobre qui exhortait l'USMX à revenir à la table des négociations avec « une offre salariale acceptable ».

Un soulagement général

Les premières réactions viennent naturellement des organisations de première ligne qui avaient aussi alerté en amont. « Il est essentiel que l'International Longshoremen's Association et l'United States Maritime Alliance travaillent avec diligence et de bonne foi pour parvenir à un accord équitable et définitif avant l'expiration de la prolongation. Plus vite ils parviendront à un accord, mieux ce sera pour toutes les familles américaines », a réagi Matthew Shay, le président de la NRF, la puissante fédération des détaillants américains (Walmart, Cotsco, Home Depot, Coca Cola…).

« Cette décision constitue une victoire pour toutes les parties concernées : elle préserve les emplois, sauvegarde les chaînes d'approvisionnement et prévient d'autres perturbations économiques. Une nouvelle grève mettrait en péril 2,1 Md$ d'échanges commerciaux par jour et pourrait réduire le PIB de 5 Md$ par jour. Nous ne pouvons pas nous permettre un tel niveau de destruction économique », a indiqué de son côté la National Association of Manufacturers, la plus grande association manufacturière outre-Atlantique (13 millions d’employés, 2,87 billiards de dollars).

Un range portuaire capital

Le range portuaire, qui va du Texas au Maine, représente entre 40 et 50 % de toutes les importations américaines et 57 % du volume de conteneurs. Contrairement aux ports de la Californie dominés par les importations conteneurisées d’Asie, les ports est-américains ont une provenance plus diversifiée et une typologie de fret plus varié, des pièces détachées automobiles de Baltimore et de Géorgie aux matières premières de construction en passant par les machines industrielles et équipements agricoles lourds du Midwest, le gaz et le pétrole du Golfe du Mexique et le soja de la Nouvelle Orléans...

Vingt-quatre navires, dont 19 porte-conteneurs chargés de 35 000 EVP, attendaient vendredi matin au large de New York-New Jersey pour accoster, a indiqué au cours d'un point presse Bethann Rooney, la directrice de l'autorité portuaire du premier port de la côte Est, dont les six terminaux rouvriront en deux temps.

Des effets d'anticipation cumulés

En prévision de ces mouvements sociaux, en anticipation des fêtes de fin d'année, et compte tenu de la situation sécuritaire en mer Rouge, une partie des importations asiatiques vers les États-Unis ont basculé vers la côte Ouest il y a déjà quelques mois, soutenant les volumes de Los Angeles et les taux de fret spot sur le transpacifique alors qu’ils ne cessent de s’affaisser ailleurs. En témoignent les trafics portuaires. En août, les importations américaines de fret conteneurisé ont bondi de 12,9 % par rapport à la même période de l’an dernier, les principaux ports ayant traité près de 2,5 MEVP.

Huit mois après le début de l'année 2024, Los Angeles, première porte d’entrée américaine (40 % des importations conteneurisées), avait déjà transporté près d'un million de conteneurs de plus que l'année dernière, soit 6,63 MEVP (8,6 MEVP en 2023). À New York/New Jersey, les volumes étaient en hausse de 11 % par rapport à juillet 2023 et de 4 % par rapport à juillet 2022, le précédent record mensuel. Le port est-américain avait cumulé 5,016 MEVP au cours des sept premiers mois de l'année (+ 12 % par rapport à la même période en 2023 et + 16 % par rapport aux sept premiers mois de 2019).

Une catastrophe économique évitée à en croire les projections

La perspective d’un mouvement social de grande ampleur et ses impacts sur le transport maritime et l'économie mondiale ont aussi fait l’objet ces dernières semaines de nombreuses projections-catastrophes et d'un déluge d'estimations.

C'est en tout cas un accord fulgurant. À l’Ouest, il a fallu 13 mois après expiration du contrat des 22 000 dockers travaillant dans les 29 ports ouest-américains pour tomber sur un compromis. Pour rappel, ils ont obtenu une augmentation 4,62 $ de l'heure la première année, l'équivalent d'une augmentation de salaire de 10 %, puis de 2 $ de plus l'heure chaque année suivante, soit une augmentation cumulée de 32 % d’ici 2028. Le syndicat a par ailleurs obtenu une « prime de héros » unique de 70 M$ pour avoir travaillé pendant la pandémie.

« Les surcharges prévues par les compagnies maritimes mi-octobre restent à surveiller, alerte Arthur Barillas, à la tête du transitaire Ovrsea. OOCL et MSC ont annoncé qu’ils allaient annuler. Il y aura des retards d'ETA à prévoir en raison de la congestion persistante. Les coûts de demurage et detention ainsi que les coûts de livraison sont susceptibles d’augmenter face à la forte demande attendue », ajoute le dirigeant, en référence à la clause de force majeure notifiée par les grands transporteurs ces dernières heures.

Adeline Descamps

* dont Boston, New York, Philadelphie, Baltimore, Savannah, Miami, Tampa, Houston

 

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