Le budget carburant est l'un des postes d’exploitation les plus importants du navire et son prix a connu de grandes fluctuations au cours des derniers mois, dans la foulée de la guerre en Ukraine, avec une nouvelle dynamique qui n’avait pas été observée depuis des années. Les prix du fuel lourd (3,5 % de teneur en soufre, encore autorisé s’il est brûlé en combinaison avec des dispositifs d’épuration des gaz en sortie des cheminées, scrubbers), ont baissé d'environ 30 % au cours du premier semestre 2023 par rapport à 2022.
Ceux des carburants à faible teneur en soufre, tels que le VLSFO (moins de 0,1 % de soufre) et le MGO (diesel marin), se sont repliés de manière plus significative encore, ce qui a entraîné une réduction des écarts entre les différents carburants.
Ce faisant, les arguments en faveur de l'installation des scrubbers (en 2022, 13 % de la flotte mondiale en étaient équipés) perdent de l'acuité car la période d'amortissement du coût d'installation s'en trouve allongée.
La réduction du prix du HFO par rapport au VLSFO – appelé l'écart Hi5 –, se traduit par des économies sur la facture de carburant. Plus l'écart est important plus les navires équipés de scrubbers réalisent des économies.
Un écart tombé à 73 $ la tonne
Or, avec le VLSFO dans les 20 principaux hubs d'avitaillement au prix moyen de 595 $ par tonne et le HFO à 522 $, il s'est effondré, tombé des sommets (420 $/t en juillet 2022) pour atterrir à des niveaux observés pour la dernière fois pendant la pandémie (45 $ en novembre 2020).
Selon Ship & Bunker, sur la base des 20 principaux hubs de soutage, le différentiel est tombé à 73 $ par tonne. Et c’est loin d’être neutre sur la facture du bunker. Selon les données de Clarksons Securities, lorsque l'écart s'est creusé il y a un an, les très gros transporteurs de brut (VLCC) équipés de scrubbers économisaient 24 000 $ par jour en frais de carburant. Les gains ne sont plus que de 3 400 $/j.
Ce n’est pas non plus anodin pour les chargeurs qui ont recours au conteneur pour le transport de leurs marchandises dans la mesure où cela s'est traduit par une réduction (de 33 % par rapport au sommet atteint au troisième trimestre 2022) des frais d'ajustement des soutes, les Bunker Adjustment Factor – BAF.
Un coût de transport renchéri de 20 %
Déjà influents, les prix des carburants le seront encore davantage dans le cadre des futures réglementations, notamment du système européen d'échange de quotas d'émission (ETS) et d’une éventuelle taxe mondiale sur le carbone, que l'Organisation maritime internationale pourrait mettre en œuvre d'ici 2027.
En supposant qu'une tonne de VLSFO émette environ 3,15 t de CO2, un prix du carbone de 80 € par tonne et de VLSFO à 500 $ pourraient gonfler les coûts de plus de 50 %. En fonction du type de navire, du trajet spécifique et des escales, ainsi que des coûts du carburant et des prix réels du CO2, les coûts des trajets Est-Ouest pourraient donc se renchérir de plus de 20 % en 2026.
UN GNL moins cher que le VLSFO
Au-delà de l'écart exceptionnellement faible entre le VLSFO et le HFO, l'autre anomalie du marché actuel des carburants marins concerne le gaz naturel liquéfié, qui a été moins cher que le VLSFO en mai, juin et juillet et qui s’est aligné en juillet sur le HFO dans le port de Rotterdam, pour la première fois depuis plus de deux ans.
Durant la majeure partie de l’année 2022, la propulsion au GNL a été très coûteuse. Depuis, les prix ont fortement chuté pour atteindre, dernièrement, moins de 500 $ la tonne mais l'augmentation de la demande mondiale et l'empressement à en faire un substitut au gaz russe maintiennent les tensions sur les prix.
Ship & Bunker a calculé ce que coûterait le GNL pour fournir l'énergie équivalente à une tonne de fuel lourd. Sur cette base, le prix du gaz à Rotterdam ressort à 465 $ la tonne, soit 16 % de moins que le VLSFO et 4 % de moins que le HFO.
25 M$ pour l'option GNL sur un navire neuf
Le secteur du transport maritime a misé massivement sur le gaz naturel liquéfié en tant que passerelle entre les énergies fossiles et ce qui adviendra (méthanol, ammoniac, hydrogène...).
L’option GNL, dans le coût de construction d’un navire, se paie chèrement, jusqu’à 25 M$ de plus que son équivalent avec un carburant fossile. Les armateurs n’ont plus qu’à espèrer que le GNL sera suffisamment compétitif pour justifier leur investissement d’autant qu’ils ne savent toujours pas comment le carburant de transition sera traité dans le cadre des futures réglementations carbone.
Selon les données de Clarksons Research, il y a actuellement 936 navires (y compris à passagers) en service à double motorisation, conçus pour brûler soit du fuel soit du GNL tandis que 87 autres sont en commande.
Il y a également 413 navires en service « prêts pour le GNL » (« LNG ready »), c’est-à-dire conçus pour être plus facilement convertis à l'utilisation future du GNL, et 95 de même configuration en commande.
Place au méthanol
Les contrats de construction de nouveaux navires passés cette année se sont considérablement éloignés du GNL au profit du méthanol.
Compte tenu de l’efficacité énergétique avancée – ils consommeraient 40 % de carburant en moins que des navires similaires construits il y a dix ans, selon Aristides Pittas, le PDG du bailleur de navires Euroseas –, l’on comprend pourquoi les armateurs continuent de commander en masse, en dépit d’un marché en berne et au détriment de l'équilibre du marché. Ce faisant, ils plombent en effet les taux de fret.
Adeline Descamps