En une semaine, l’Iran aura saisi deux pétroliers dans les eaux du Golfe, par où transite un cinquième du pétrole brut mondial et théâtre de manifestations de force plus ou moins vives depuis le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien en 2018, le fameux pacte « historique » du groupe 5 + 1 (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie + Allemagne) qui devait limiter drastiquement le programme nucléaire en contrepartie de l’allègement progressif des sanctions économiques internationales.
Depuis, c’est l’escalade, Téhéran multipliant les provocations sur la production d’uranium enrichi (qui permet de fabriquer une bombe atomique) et l’administration américaine renforçant les sanctions pour mettre à genou l’économie iranienne.
Washington interdit depuis 2019 à toute entreprise traitant avec Téhéran de faire du business outre-Atlantique, le couperet s’appliquant à une longue liste de biens et services, tels que le transport maritime de brut, de minerais, les matières premières...
Des négociations qui s'enlisent
Les pourparlers entre les deux parties n’ont véritablement repris qu'avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Mais alors qu'une entente semblait à portée de main en mars 2022, les échanges ont à nouveau été rompus.
La guerre en Ukraine a ensuite chamboulé la perspective. La tentative de méditation du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell qui soumettra un projet de compromis pour une énième tentative de sauver l'accord en juillet 2022, avortera à nouveau.
Une liste noire qui s'allonge
En mars dernier, Washington a ajouté de nouvelles compagnies maritimes à la liste noire de l'Office of Foreign Assets Control (OFAC), qui relève du Trésor américain, tandis que ce dernier, de conserve avec les départements du Commerce et de la Justice, redouble d’efforts pour mieux détecter les stratégies de contournement de l’embargo sur le transport de pétrole et de produits pétroliers.
Alerte à la navigation dans les eaux du golfe d'Oman
Ces derniers jours, les tensions ont redoublé dans la région. Les armateurs grecs se retrouvent en prise avec les saisies. La situation a été jugée suffisamment préoccupante pour que les autorités grecques émettent des avertissements à la navigation dans les eaux iraniennes et ce, quelques jours avant que Téhéran ne saisisse les deux pétroliers.
« En raison des récentes menaces iraniennes d'éventuelles représailles contre les navires grecs, nous recommandons vivement que la navigation dans la zone susmentionnée ainsi que dans le détroit d'Ormuz et le golfe d'Oman s'effectue, si possible, en dehors des eaux placées sous la juridiction de l'Iran », a déclaré le ministère grec de la Marine marchande dès le 20 avril.
Advantage Sweet : une mesure de représailles ?
Les forces marines des Gardiens de la révolution islamique ont arraisonné le 27 avril le suezmax Advantage Sweet battant pavillon des Îles Marshall dans le golfe d'Oman.
Les autorités iraniennes ont motivé leur réquisition en accusant le pétrolier d’être à l’origine d’une collision mortelle avec un chalutier iranien. Mais il pourrait également s’agir d’une mesure de représailles, les États-Unis ayant saisi en février le Suez Rajan d'Empire Navigation.
Sa cargaison – d’environ un million de barils d’origine iranienne — aurait été vendue par les puissants Gardiens de la Révolution iraniens à la Chine. Le navire navigue actuellement vers les États-Unis avec la coopération de l'armateur Stamatis Molaris.
Niovi : Un différend plus commercial que géopolitique
Le 3 mai, c’est le VLCC Niovi, navire battant pavillon panaméen, qui a été saisi par l’Iran. Mais le contexte parait bien différent, relevant davantage du droit commercial. Le pétrolier est en réalité impliqué dans un différend juridique multipartite qui porte sur des jeux de propriété (le destinataire du pétrole figurant sur le connaissement aurait vendu le pétrole à l'insu des deux propriétaires) entre plusieurs sociétés au sujet d'une cargaison de pétrole iranien présumée. Enjeu : 17 M$ d'impayés.
Le Niovi a fait escale à Yantai, en Chine, en novembre 2020, avec à bord près de 2 millions de barils de pétrole appartenant à Nimr International, basé à Oman, et à Baslam Nakliyat, une entité du groupe turc ASB. Deux connaissements avaient alors été émis pour ce voyage, l'un pour 1,2 millions de barils et l'autre pour quelque 730 000.
Un transfert STS probable
La cargaison aurait fait l’objet d’un transfert de navire à navire (STS) avec le VLCC Oman Pride selon le l’ONG United Against Nuclear Iran, qui suit la contrebande de pétrole. L’exploitant du navire est donc passible de poursuites judiciaires pour avoir favorisé des ventes de pétrole en faveur des gardiens de la révolution islamique d'Iran.
L'agence de presse officielle iranienne Irna évoque pour sa part une affaire de droit privé. Et ce d’autant que le superpétrolier sort de cale sèche à Dubaï et n’avait pas de pétrole à bord lorsqu’il a été arraisonné. Toujours est-il que la gestion technique et la propriété du tanker sont bien assurées par des sociétés basées en Grèce : le shipmanager serait Smart Tankers et le propriétaire Altomare.
Ralentissement notable de la navigation
Selon les données de suivi des navires de MarineTraffic, les armateurs semblent prendre au sérieux la menace : 107 pétroliers et 36 méthaniers ont été enregistrés dans la région entre le 19 et le 26 avril mais ils n'étaient plus que 60 et 26 respectivement entre le 27 avril et le 3 mai. Au total, 53 marins sont détenus par les forces iraniennes après que l'Iran s'est emparé du deuxième pétrolier.
Adeline Descamps