Après CMA CGM, qui a annoncé sa participation au capital de Neoline à l’occasion du lancement de son fonds spécial Energies doté de 1,5 Md€, la compagnie de ferry Corsica Ferries devient à son tour actionnaire.
Depuis le retrait du groupe maritime havrais Sogestran, qui faisait figure d’investisseur de référence, Neoline était à la recherche d’investisseurs. CMA CGM a gardé à la discrétion la hauteur de son engagement. On n’en saura guère davantage sur l’apport en capital de la société dirigée par Pierre Mattei, ses services renvoyant à une conférence de presse le 18 janvier à Nantes.
La spécialiste de la desserte maritime de la Corse au départ de Toulon, qui se revendique parmi les dix premières compagnie mondiale de ferries en capacité de transport de passagers avec une flotte de 14 navires, se contente de juger cette transaction « cohérente » avec ses investissements environnementaux. Et à ce niveau, elle est loquace, énumérant sans essoufflement : « éco-navigation, filtres à particules, carburants à basse teneur en soufre, réduction de vitesse des navires, optimisation des traversées, protection des cétacés, compensation des émissions carbone par la reforestation en Corse et en Amazonie [programme Pur Projet], suppression des plastiques à bord bien avant la réglementation, approvisionnements en circuits courts majoritairement en Corse et bientôt l’électrification à quai ».
Corsica Ferries est en effet partenaire du projet Sunrhyse, qui vise à produire de l’hydrogène vert pour alimenter des piles à combustible rendant opérable le branchement électrique à quai à Brégaillon (port de Toulon).
« Après avoir très tôt limité au maximum notre empreinte carbone, il est désormais indispensable de se tourner vers des alternatives aux énergies fossiles. De nouvelles options s’ouvrent aujourd’hui avec l’hydrogène vert et la propulsion vélique. En tant qu’armateur responsable, nous nous devons d’accompagner la transition énergétique en soutenant ces solutions d’avenir, véritables laboratoires de la propulsion du transport maritime de demain », indique Pierre Mattei, président de Corsica Ferries, cité dans le communiqué.
Remise à plat du schéma industriel
D’après l’entreprise, l’entrée au capital doit permettre de cofinancer le premier Neoliner. Neoline est bloquée depuis quelque temps dans le financement de son premier roulier propulsé principalement à la voile pour lequel elle aura cumulé tous les contretemps alors que l’entreprise dispose paradoxalement de nombreux engagements fermes de chargeurs parmi lesquels Renault, Beneteau, Manitou, Clarins, Hennessy, Longchamp et Michelin.
L’inflation, que la guerre en Ukraine a exacerbée, a forcé la compagnie nantaise à remettre à plat son schéma industriel pour limiter les surcoûts induits. Le coût de construction du navire, qui était jusqu’alors sécurisé à hauteur de 90 % (75 % par de l’emprunt bancaire et à 25 % par des fonds propres), est passé en deux ans de 50 à 60 M€.
Pour ne pas obérer le budget, la construction a été majoritairement déplacée en Turquie, mais environ 36 % de la valeur du bateau sera fournie par des sociétés françaises, la plupart étant membres de Neopolia, groupement d’entreprises de la région de Nantes.
Aussi, le contrat de construction du navire a été dissocié de celui du gréement pour diluer le risque. Ce dernier a été confié aux Chantiers de l’Atlantique. Neoline devrait ainsi disposer du Solid Sail breveté du constructeur.
Accès aux financements problématique pour les projets de transition ?
Aussi, le Neoliner ne sera pas doté de quatre mâts de 50 m de haut avec 4 200 m² de voiles souples comme il avait été initialement prévu, mais de deux de 75 m avec 3 000 m² de voiles rigides. Sans impacts sur les performances du navire, indique l’entreprise. La facilité d’opération devrait être accrue, avec moins de voiles à manœuvrer et un gréement autoporté qui peut s’orienter à 360°, fait-elle valoir.
Néoline est un cas d’école emblématique des difficultés de financement et de la sous-capitalisation des entreprises françaises. C’est d’autant plus fragrant pour la compagnie maritime qu’elle remplit toutes les conditions sur un plan commercial (son offre a convaincu), technique et industriel mais achoppe sur les derniers millions pour boucler son plan de financement qui lui permettrait de mettre enfin sur cale son premier navire.
Le transport maritime est par définition un secteur à forte intensité capitalistique et le projet de Neoline incarne de surcroît une rupture dans la propulsion d’un navire. Si les discours sont à la transition énergétique, la réalité du terrain semble encore calquée sur de vieux standards.
Fret léger et colis hors gabarit
Pour mémoire, le futur ro-ro de 136 m de long aura une capacité de chargement de 1 200 mètres linéaires, de 400 voitures ou de 265 conteneurs représentant jusqu’à 5 000 tonnes de marchandises autorisant les colis hors gabarits (jusqu’à 9,8 m de haut) sans besoin de levage. L’objectif de livraison a été revu à plusieurs occasions. La mise en service est désormais prévue mi-2025.
Il promet une économie de carburant de plus de 80 % de carburant par rapport à un navire roulier classique. La première ligne prévoit de relier St-Nazaire à la côte est-américaine (Halifax/Baltimore) via Saint-Pierre et Miquelon à une vitesse commerciale de 11 nœuds.
Adeline Descamps