Journée marathon pour la ministre de la Mer qui s’est rendue à Marseille le 13 novembre. Une visite au pas de charge « dédiée aux agents publics » selon ses termes. Au programme, l’attractivité du RIF, la pénurie d’officiers français, la relève d’équipage... En fin de journée, la ministre a rencontré sur les quais phocéens quelques représentants des professions portuaires.
Sur le ponton du Fort Saint-Jean avec les personnels de l’action de l’État en mer. Au centre opérationnel de balisage pour une démonstration du baliseur océanique Provence. Au guichet unique du registre d’immatriculation français (Rif). À la capitainerie du Grand Port maritime de Marseille. À la forme 10, restaurée en 2017, dont les caractéristiques techniques XXL en font un outil unique en Europe. Au Terminal conteneur de Mourepiane, où elle a été reçue par l’ancienne directrice générale du GPMM Christine Cabau-Woerhel, aujourd’hui chez CMA CGM. Annick Girardin, « ministre de terrain », a fait le tour des services de l’État en mer, pour « rappeler que, même en cette période troublée, l’État est là pour accompagner les usagers et protéger leur activité au quotidien ».
Elle n’est pas non plus venue sans arrière-pensées. Sa séquence au guichet unique du RIF doit attirer l’attention sur le pavillon français, un des axes de son Fontenoy du Maritime, baptisé ainsi en référence à l’adresse historique du ministère de la Marine marchande d’avant-guerre, au 3 place de Fontenoy.
Lancée le 9 novembre, l’opération consiste en une large concertation sur la compétitivité avec les armateurs et les organisations syndicales. Elle sera clôturée fin décembre. Cette consultation à grande échelle va s'organiser autour de quatre thèmes : le marin (formation compétences, couverture sociale...) ; la compétitivité du pavillon national ; la transition énergétique des navires ; le rayonnement et la capacité d'influence du pavillon français.
Pourquoi le RIF peine à convaincre
Accord de compétitivité en juin 2021
« Un accord de compétitivité pourrait être signé d’ici juin. Les problématiques qui seront identifiées et les solutions qui y seront apportées nécessiteront des aménagements législatifs, peut être budgétaires, réglementaires aussi sans doute. L'idée, c'est d'arriver à être opérationnel au plus tard au 1er janvier 2022 sachant que le vote du budget 2022 aura lieu en septembre 2021. On est bien dans ce timing-là ».
L’immatriculation des navires – enjeu pour l'indépendance d'un pays (sûreté des espaces maritimes, sécurité stratégique des approvisionnements...) – est un instrument parmi d’autres de la compétitivité. La création du Rif, il y a 15 ans, a permis de contenir l’érosion vers les registres d’immatriculation étrangers. Mais en dépit de ses avantages fiscaux tant pour les marins que pour les armateurs, de ses garanties en termes de sécurité et de sûreté des navires, de ses performances dans le Mémorandum of Understanding de Paris » (Paris MoU), le pavillon tricolore reste encore faible.
Le nombre d’immatriculations reste trois à quatre fois moins élevé que dans de nombreux pays européens, vingt fois moins que dans certains pays dans le monde. Mais, après une période compliquée dans les années 2014-2018, le pavillon français gagne néanmoins de nouveaux abonnés. La création du guichet unique, porte d’entrée unique pour la francisation et l’immatriculation, y a clairement contribué.
Henri de Richemont : « Comment ne pas ressentir un sentiment d’échec? »
Des bonnes perspectives
À ce jour, en jauge, il a même dépassé les plus hauts niveaux historiques : 354 navires sont immatriculés sous le RIF, soit une jauge brute de 5 832 923. Mais il est vrai qu’il le doit surtout à la plaisance professionnelle : le nombre de navires est passé de 7 à 87 entre 2011 et 2020. Par effet d’aubaine. Les navires de moins de 24 m désormais autorisés à bénéficier de l’ensemble des avantages du registre. Dans la catégorie marchande (navires-citernes, vraquiers, porte-conteneurs, navires à passagers…), ils sont 94 (26,5 % de la flotte en unités et 95,3 % de la jauge).
Les perspectives sont bonnes, indique Stéphane Garziano, chef du guichet unique : « Si tout va bien, nous entrerons un nouveau porte-conteneur de 23 000 EVP de CMA CGM à raison d’un par mois pendant sept mois. C’est une excellente nouvelle pour le registre, pour le pavillon français et pour les marins français car on parle d'emplois de haut niveau. »
Le Rif vient en outre d’enregistrer six gaziers alors que la dernière fois que le drapeau s’était hissé sur des gaziers est un très vieux souvenir. Et une nouvelle catégorie de navires émerge, hissé à la voile, à la faveur de l’émergence d’une filière à propulsion vélique incarnée par Néoline, Grain de Sail, Towt…
Stéphane Garziano, chef du guichet unique : « Passer à une stratégie de conquête »
Qualité du service rendu
« Dans le cadre des échanges que nous aurons, je voudrais que l’on parte des usages pour répondre précisément aux besoins », plante Annick Girardin qui s’enquiert des actions faites pour promouvoir le Rif.
« La promotion fait partie de nos missions, lui répond-on. On pourra discuter plus précisément de ce point mais il faut bien comprendre que c'est une particularité française de faire gérer son registre par une administration. Beaucoup de pays ont confié cette tâche à des entreprises privées qui ont une puissance de feu commerciale que l’on n’a pas. Certains pavillons, très agressifs, vont jusqu’à proposer des rabais sur les enregistrements à la période de Noël par exemple ».
Le meilleur vecteur de promotion, c'est le service qui est rendu, reprend-elle. À cet égard, Annick Girardin espère bien que la gestion par les services administratifs français de la crise de la relève d’équipage – sujet sur lequel la France a été active à l’OMI en défendant une mesure sur la transparence des infrastructures susceptibles d’accueillir les relèves – permettra de capitaliser.
Depuis l’émergence de la problématique, la cellule de crise, installée au sein du guichet unique, a permis la relève de près de 23 000 marins. Et elle est actuellement affairée à résoudre le problème de la CMA CGM, dont les mégamax au GNL sont en cours de livraison, mais qui est bloquée pour y amener ses équipages en raison d’un blocus de la Chine. « On se trouve dans la situation où un navire sera livré mais n’a pas d’équipage. On a alerté les Affaires étrangères mais on a aussi envisagé avec l’armateur différents scénarii qui pourraient permettre au navire de quitter le chantier, peut être avec un équipage étranger, et ainsi de rejoindre un pays voisin. C’est un exemple de notre capacité à apporter des solutions ad hoc », indique un agent de la cellule de crise installée au sein du guichet unique.
La cellule de crise insiste en outre sur l’atout que représentent le réseau diplomatique français dans le monde (160 postes), toujours utiles pour fluidifier les échanges avec les autorités, et ses façades maritimes. Le rôle des ports ultramarins a été à cet égard capital, notamment La Réunion, géographiquement situé sur une des routes commerciales les plus fréquentées et qui a servi de hub aux relèves d’équipage. Ainsi, le port de l’océan Indien a permis à quelque 13 000 marins d’être relevés.
Toute la filière maritime, au chevet du Rif
Pas de compétitivité sans marins
Annick Girardin entend aussi accélérer sur une problématique connexe, celle de la pénurie d’officiers français. « Si CMA CGM voulait passer sous Rif la totalité des navires qui doivent être livrés, on ne pourrait pas satisfaire cette demande faute de marins », indique-t-elle. Elle estime qu’il faudrait former entre 200 et 250 officiers dans les deux ans et elle en fait une priorité de son Fontenoy. « La totalité de la réponse n’appartient pas à l'État. Il pourra y avoir des négociations avec des armateurs qui souhaitent s’impliquer ».
« C’est un sujet important, alerte un agent du guichet unique du Rif. Il y a notamment un secteur que nous regardons particulièrement : celui du transport de produits pétroliers. On s’est rendu compte que beaucoup de marins vont se former en Lettonie, par exemple. Pourquoi ? parce l'offre de formation y bien supérieure et plus régulière que ce qu'on peut faire en France. Dans le transport de produits chimiques, secteur exigeant en compétences spécifiques, vous ne formez pas un marin du jour au lendemain. Il faut que l’on soit vigilant parce qu'à terme on pourrait ne plus avoir suffisamment de marins français formés dans cette branche »,
« Il y a un gisement d’emplois dans le secteur maritime et ils ne sont pas pourvus, c’est un comble », appuie Annick Girardin, qui entend faire de son ministère de la Mer, portefeuille récemment restauré, « le porte-voix des questions maritimes » et le lieu « où se traitent les différentes problématiques ».
Adeline Descamps
Annick Girardin à l’écoute des inquiétudes des portuaires phocéens