En France, la politique publique de la mer est marquée par trois rapports parlementaires (Le Drian de 1989, de Richemont en 2003, Leroy en 2013) qui ont permis de faire des sauts législatifs ou de mettre à plat certains dossiers (ports, dessertes, autoroutes de la mer). Henri de Richemont est le sénateur à qui le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a confié en 2002-2003 une mission sur la réforme du pavillon afin « de créer des conditions favorables en termes de concurrence qui permettent aussi bien le développement des armements existants que la création de nouveaux armements sous pavillon français ». Son rapport a donné lieu à la création du registre français international (RIF).
Avec 0,1 % du tonnage mondial, en dépit de ses avantages fiscaux et sociaux, le RIF n’opère pas comme il devrait. Où sont les vices cachés?
Henri de Richemont: Le texte du RIF ne contient aucun vice caché. La loi RIF a créé un deuxième registre pour le pavillon français aussi attractif que les autres deuxièmes registres européens. On ne peut que déplorer son échec relatif étant donné que, comme vous l’indiquez, le pavillon français ne représente que 0,1 % du tonnage mondial.
La question est de savoir pourquoi un armateur qui dépavillone certains de ses navires du registre britannique n’en arme que trois ou quatre sous pavillon français et le reste sous d’autres pavillons européens qui, sur le papier, ne sont aucunement plus attractifs que le RIF.
Socialement, il est plus protecteur encore que les régimes norvégien et danois. Il n’y a aucune raison objective ni factuelle pour que cela ne marche pas ici quand cela fonctionne ailleurs. Je rappelle que mon rapport, qui a servi de support à sa création, repose sur un benchmark d’autres pavillons européens. Ces derniers ont réagi plus vite que la France à la perte d’influence de leur pavillon national, en utilisant toutes les dispositions et facilités offertes par l’Union européenne: taxation au tonnage, exonérations de cotisations sociales, exonération d’impôts pour les marins, remboursement des charges patronales… On s’est laissé distancer par les autres pavillons européens et concurrencer par les pavillons de complaisance alors que tous les membres d’équipage embarqués à bord d’un navire sous registre RIF sont soumis aux lois sociales de leur pays d’origine [25 % des membres d’équipage doivent être ressortissants d’un pays de l’UE, NDLR].
À compétitivité et attractivité égales, le pavillon français est considéré comme cher. On retient le plus souvent que le surcoût entre un navire armé sous RIF et sous un pavillon « international » de bon niveau est de l’ordre de 0,5 à 1 M€/an par unité.
H.de R.: Si surcoût il y a, il ne vient pas du texte de loi qui a créé le RIF, mais des conventions collectives applicables à bord des navires battant pavillon français, lesquelles sont inapplicables à bord des navires battant pavillons européens ou de complaisance. Le RIF pâtit aussi de la mauvaise image de l’administration française, supposée être plus tatillonne et bureaucratique qu’ailleurs.
Dans les pays de culture anglo-saxonne, l’administration est perçue comme un soutien aux armateurs alors que, malheureusement en France, elle est considéré comme répressive.
Comment avez-vous vécu le classement immédiat du RIF par l’International transport workers federation en pavillon de complaisance?
H.de R.: Très mal. Il est évident qu’en classant le RIF comme pavillon de complaisance, les syndicats ont cherché à le démolir et, en tout cas, à freiner son attractivité en cherchant à dissuader les affréteurs. En agissant ainsi, les syndicats m’ont fait penser à ceux du France qui ont considéré que « Peu importe de mourir si on garde les mains blanches ». Cela est d’autant plus regrettable que la finalité, en rendant le pavillon français plus attractif, était de développer l’emploi d’officiers et de marins français. Ils ont, de fait, agi à l’encontre de la sécurité maritime car, contrairement au pavillon de complaisance, les contrôles de l’État à bord des navires sous registre RIF sont effectués par l’administration française et non par les sociétés de classification.
Je suppose que vous considérez la création du Guichet unique comme une avancée majeure.
H.de R.: Il a mis fin à une aberration. Les douanes qui francisent et les Affaires Maritimes qui enregistrent procédaient chacune à des mesures identiques, ce qui avait pour effet de rendre très chère l’immatriculation d’un navire sous pavillon français. En regroupant dans la même structure des personnels de l’administration des douanes et des Affaires maritimes, les armateurs n’ont, désormais, qu’un seul interlocuteur pour leurs démarches et questions relatives à la francisation, l’immatriculation ou la gestion de leurs navires et de leurs équipages. Il joue donc un rôle important pour l’attractivité du RIF
Des avantages fiscaux et sociaux
Créé par la loi n° 2005-412 du 3 mai 2005, le RIF offre des avantages fiscaux pour l’armateur: exonération de la TVA et des droits de douanes sur le navire lors de son importation, sur les biens d’avitaillement et de taxe intérieure sur les produits pétrolier (TIPP), sur les livraisons de biens destinés à être incorporés au navire, sur les opérations d’entretien, de transformation, de répartition, d’affrètement et de location; exonération du droit annuel de francisation et de navigation; réduction de la part patronale des cotisations au régime de protection sociale des gens de mer.
Quant aux marins salariés, ils bénéficient notamment d’exonération d’impôt sur le revenu pour les marins domiciliés en France et embarqués plus de 183 jours dans l’année fiscale.
Navires éligibles au RIF
Ne peuvent être immatriculés que les navires de commerce d’une jauge brute supérieure à 100 UMS, exploités au long cours ou au cabotage international, ce qui exclut le transport domestique mais aussi les navires de services portuaires. En revanche, les unités de services maritimes offshore peuvent y être enregistrées. Enfin, le RIF concerne aussi les yachts de plaisance professionnelle de plus de 15 m, effectuant une navigation de cabotage international ou au long cours et, depuis 2016, les chalutiers armés à la grande pêche.
Propos recueillis par Adeline Descamps
Cet entretien a été réalisé dans le cadre d’une enquête sur le rif à retrouver dans le magazine n° 5106