La ministre de la Mer a été auditionnée le 3 novembre par la commission sénatoriale de l'aménagement du territoire et du développement durable sur le projet de loi de finances 2021. Les sénateurs étaient impatients de l'entendre sur de nombreux sujets parmi lesquels le soutien de l’État au secteur maritime, la stratégie nationale portuaire promise il y a trois ans, la répartition des fonds du plan de relance et bien d'autres...
La petite quinzaine de sénateurs avaient devant eux une « vraie ministre de la Mer », eux qui réclamaient en juillet la création « d’un conseil national portuaire et logistique » faute d’un « État stratège en matière de politique maritime et d’un vrai ministère ou secrétariat d’État à la mer ». Les voilà donc servis.
Annick Girardin avait devant elle une commission qui « porte la plus grande attention aux affaires maritimes, aux secteurs portuaire et du transport maritime » lui indiquera en préambule le sénateur Jean-François Longeot. La commission sénatoriale de l'aménagement du territoire et du développement durable a eu l’occasion de le démontrer dernièrement. En juillet, deux de ses membres ont commis un énième rapport sur la compétitivité portuaire (La gouvernance et à la performance des ports maritimes) qui faisait suite à une autre étude publiée un an auparavant (La compétitivité des ports français à l’horizon 2020 : l’urgence d’une stratégie). Pour « réarmer les ports de façon à les replacer au cœur de la compétitivité internationale », la mission formulait, dans ce document de 133 pages, une dizaine de propositions et quatre recommandations.
Les parlementaires demandaient notamment la mise en œuvre d’un plan de relance portuaire de 150 M€ par an sur 5 ans et un doublement des moyens au report modal vers les transports massifiés, pour les porter à 5 Md€ sur 10 ans. Ils se désespéraient aussi de voir un jour de voir un jour présenter « l’ambitieuse stratégie portuaire » promise par le Premier ministre d’alors, Édouard Philippe, il y a déjà trois ans.
Plusieurs des préconisations contenues dans le rapport ont pris la forme d’amendements dans le projet loi de finances 2021, en cours d’examen et objet de l’audition d’Annick Girardin ce 3 novembre, sa première en tant que ministre de la Mer devant le Sénat.
Un énième rapport sur la compétitivité portuaire
Quels moyens consacrés aux affaires maritimes et au port alors que l’économie maritime a été encore mise à l'épreuve par la crise sanitaire ?
« Le ministère de la Mer, créé en juillet dernier, n'a pas révolutionné le budget 2021 et il n’a pas modifié ses grands équilibres. Mais dans le cadre du PLF 2021, nous avons obtenu deux lignes dédiées, au titre du plan de relance, la première pour les ports avec 200 M€, dont 175 M€ pour les grands ports maritimes, et la seconde sur la pêche avec 50 M€. Au total, avec 175 M€ à engager, le budget portuaire sera doublé sur la période 2020-2022 », répète Annick Girardin ce qu’elle a déjà dit ailleurs.
En revanche, la répartition de l’enveloppe par ports n’était pas connue. Elle en a donné les montants : Le Havre (44,6 M€), Marseille (33 M€), Dunkerque (28 M€), Rouen (20,1 M€), Nantes - Saint-Nazaire (10,5 M€), Bordeaux (8,1 M€), La Rochelle (4,2 M€), la Martinique (6,5 M€), Guyane (5,9 M€), La Réunion (4,5 M€) et Guadeloupe (4,4 M$). Les ports fluviaux de Paris et Strasbourg bénéficieront de 2,8 et 2,2 M$ respectivement.
« Je n'oublie pas les ports décentralisés et je dois rencontrer l'ensemble des régions dans le cadre du contrat État-Région qui est en négociation actuellement pour que nous puissions apporter des financements pour que les ports décentralisés puissent aussi bénéficier de ce coup de pouce essentiel ». L’ensemble des décisions seront traduites en septembre 2021 dans le projet de loi de finances 2022.
Elle insiste par ailleurs sur les mesures fiscales qu’elle a portées, « dont certaines ont été votées en première lecture et d'autres feront l'objet de discussions dans les prochains jours à l'Assemblée nationale ». La prorogation du dispositif de suramortissement fiscal pour les investissements verts en fait partie. Elle rappelle enfin que, dans le cadre du plan de relance, la filière maritime peut émarger à une enveloppe globale de 650 M€
Les acteurs de la supply chain s'engagent à « préférer » les ports français
Sous quels délais sera présentée la stratégie nationale et quelles en sont les principales orientations ?
La stratégie nationale portuaire devait être présentée dans son intégralité lors du Cimer, prévu fin novembre, mais la date pourrait être reportée. Elle le sera, quoi qu’il en soit, avant la fin de l’année, s’engage la ministre.
Il s’agira d’une stratégie « offensive », de « reconquête de parts de marché sur nos concurrents étrangers », ajoute-t-elle. « Élaborée avec les régions en lien avec les professionnels », elle intègrera les ports décentralisés afin de « limiter les effets de concurrence entre les ports français » et engagera les ports de France « dans une dynamique commune de transition écologique et numérique dont la stratégie constituera un socle commun ».
Un observatoire pour la performance portuaire ?
La stratégie nationale comportera-t-elle un volet spécifique sur le report modal alors que 80 % des pré et post acheminements portuaires reposent encore sur le mode routier ? A-t-elle été pensée en fonction des orientations pour le développement du fret ferroviaire ?
« Sur les 175 M€ du plan de relance pour des projets portuaires, le report modal sera concerné par une bonne partie des investissements », assure Annick Girardin qui donne en exemple ceux en faveur de l'accès ferroviaire des ports de Dunkerque et de Marseille. « La stratégie portuaire sera aussi articulée, bien sûr, avec l'ensemble des travaux qui sont faits sur le ferroviaire ». Elle ne donnera pas plus de précisions.
La filière ferroviaire plaide pour un plan d'investissement massif
Une « grande réflexion » sur le pavillon national va être lancée.
Le ministère de la Mer prépare une opération baptisée le « Fontenoy du maritime » (la place Fontenoy à Paris était le siège historique du ministère de la Marine marchande) qui sera lancée le 9 novembre. Il s’agit d’une grande concertation sur la compétitivité du registre français, avec les armateurs, les organisations syndicales et autres parties prenantes. Elle sera clôturée fin décembre. Ce travail va s'organiser autour de quatre thèmes : le marin (formation compétences, couverture sociale...) ; la compétitivité du pavillon national ; la transition énergétique des navires ; le rayonnement et la capacité d'influence du pavillon français.
Aide à Brittany Ferries : « pas à la hauteur de la situation »
Les soutien au ferry sera-t-il conforté ? Quelles garanties pour Brittany Ferries, compagnie française fragilisée par le Brexit et la crise sanitaire ?
« Brittany Ferries a été soutenue, comme toutes les compagnies de ferries touchées par le Covid. Une aide supplémentaire a été débloquée, qui pourra aller jusqu’à 30 M€ pour 2021 », indique Annick Girardin, qui dit s’être « emparée, avec son collègue Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la Transition écologique, chargé des Transports, de la « question des ferries, durement touchée par la crise ».
La crise sanitaire devrait se matérialiser pour Brittany Ferries, premier employeur de marins français, par une perte sur ses résultats de l’ordre de 130 M€ cette année. L’entreprise a eu recours au PGE (Prêt garanti pour l’emploi) à hauteur de 117 M€ pour une durée de 5 ans. Les deux régions Normandie et Bretagne lui ont apporté une aide de 85 M€, permettant notamment l’allongement de cinq ans de la durée d’amortissement des navires loués à leurs sociétés d’économie mixte Somanor et Somabret et la prise en charge par ces sociétés des gros travaux de réparation durant cinq ans également.
Le ministère de l’Économie a indiqué, pour sa part, que les aides de aides de l’État se répartissent entre les 108 M€ garantis par l’État, 8,3 M€ de prise en charge du chômage partiel entre mars et la fin août, et 15 M€ correspondant à l’exonération pour l’année 2021 de la part salariale des cotisations sociales des marins.
Quelle vision porte-t-elle sur la gouvernance des grands ports maritimes et sur les propositions formulées dans le rapport de la mission sénatoriale ?
Les sénateurs préconisent de renforcer le pilotage stratégique des ports par la performance (notamment via la conclusion de contrats d’objectifs et de performance entre l’État et les GPM). Sans remettre en cause la réforme de 2008, ils recommandent des ajustements pragmatiques à la gouvernance des établissements publics portuaires, en prévoyant notamment la présence du président du conseil de développement et de l’Union maritime locale au conseil de surveillance. Ils souhaiteraient par ailleurs que la nomination des directeurs de ports ne soit plus uniquement le fait de l’État mais soit faite sur proposition des conseils de surveillance des GPM.
« La président de la République a souhaité que nous fassions évoluer la gouvernance et la performance des grands ports maritimes. Je pense toutefois que l’on fait de la gouvernance une cause à tous les maux, alors que c’est par une stratégie globale de l’ensemble de nos ports que nous retrouverons la place que la France devrait occuper en tant que grande puissance maritime », a-t-elle répondu...
Adeline Descamps