PLF2025 : le transport maritime échappe au coup de rabot généralisé

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Dans le projet de budget présenté ce jeudi 10 octobre, l'exécutif dirigé par Michel Barnier a prévu de taxer les activités de transport maritime des entreprises de plus d'1 Md€. En sont attendus 500 M€ de recettes en 2025 et 300 millions en 2026. La fiscalité spécifique aux compagnies maritimes, qui semble épargnée à ce stade, devrait en revanche être questionnée dans les débats parlementaires.

Le Premier ministre se défend de vouloir créer un choc fiscal mais la présentation le 10 octobre du projet de loi de finances (PLF), qui promettait ces derniers jours un « régime pain sec et à l’eau » pour fermer les vannes au Niagara des finances publiques, n’a rien de budgétairement anecdotique pour certains secteurs ou postes.

Lesté d’une dette de 3 228,4 Md€ fin juin (112 % du PIB), menacé par un dérapage attendu du déficit à 6,1 % cette année quand Bruxelles en tolère 3 %, le gouvernement français a donc détaillé comment il comptait trouver quelque 60 Md€ sur la seule année 2025. Plus d'un tiers (32 %) seront apportés par la hausse des recettes, soit environ 20 Md€ (dont 13,6 Md€ par les entreprises) et 68 % par la réduction des dépenses. Sur ce dernier point, le train de vie de l'État sera mis à rude épreuve en supportant 52 % de l'effort requis, à savoir 21,5 Md€ tandis que les collectivités devront apporter un écot à hauteur de 5 Md€. Le solde (36 %, 14,8 Md€) sera puisé dans les comptes de la protection sociale.

Haro sur la fiscalité

La fiscalité offensive opérée depuis sept ans à coups d'allégements massifs va faire bâbord-tribord. Pas moins de 400 grandes entreprises, dont le chiffre d'affaires dépasse le milliard d'euros (soit à peine quelques centaines sur les 4,5 millions d'unités déclarées), vont payer pendant deux ans bien plus que le taux de 25 % auquel elles sont actuellement soumises au titre de l'impôt sur les sociétés (IS). Alors que le gouvernement sortant a baissé l'IS de plus de 8 points (de 33 à 25 %), le nouvel exécutif entend le porter de 30 % pour les entreprises milliardaires et jusqu'à 36 % pour celles qui enregistrent plus de 3 Md€ de recettes. Cette contribution « exceptionnelle » et « temporaire », qui s'appliquera à l'ensemble des bénéfices réalisés en France, doit rapporter 8 Md€ dans les caisses publiques en 2025 et 4 milliards en 2026.

Comme attendu, le premier Ministre Michel Barnier a prévu l'instauration d'une taxe exceptionnelle pour les grandes entreprises de transport maritime de plus d'1 Md€. Elle s'appliquera sur la part du résultat d'exploitation correspondant aux activités maritimes, à hauteur de 9 % pour l'exercice 2024 et 5,5 % pour 2025. En sont attendus 500 M€ de recettes en 2025 et 300 millions en 2026.

Au regard du pavillon français, ce concours exceptionnel ne devrait pas concerner un grand nombre d'entreprises françaises. CMA CGM, arbre qui cache une forêt de petites et moyennes entreprises, en fait à coup sûr partie, encaissant depuis deux à trois ans un chiffre d'affaires trimestriel naviguant autour des 11 à 12 Md$. L'année 2023, pourtant en retrait par rapport aux années dorées de la pandémie, s'est néanmoins soldée par des recettes totalisant 47 Md$.

En plus de cet impôt qui vise les activités de transport maritime, CMA CGM sera aussi redevable de l'IS classique sur les grandes entreprises qui a aussi été majoré tandis que la famille Saadé devra s'acquitter d'autres obligations au titre des foyers français les plus fortunés (plus de 500 000 € de revenu fiscal de référence par an pour un couple). Pour rappel, le groupe français de transport et logistique est détenu à 73 % par la famille Saadé (via la holding familiale Merit), à 24 % par le conglomérat turc Yildirim Holding et à 3 % par Bpifrance.

Pas de coup de rabot pour le transport maritime ?

« Le plus important, c'était de maintenir la taxe au tonnage et de ce point de vue, on est satisfait », a réagi auprès de l'AFP et de façon catégorique Édouard Louis-Dreyfus, à la barre du groupe éponyme spécialisé dans les travaux maritimes (éolien notamment) et président d'Armateurs de France. Pourtant, Bercy est moins péremptoire : « ces mesures de justice fiscale seront complétées par une réduction des niches fiscales et sociales pour lutter contre les effets d’aubaine et améliorer
l’efficacité de l’intervention publique
», indique le document de présentation sans qu'elles soient précisées.

Depuis des années, les armateurs ont érigé une muraille de Chine autour de leur trépied fiscal : taxe au tonnage, exonération des charges sociales et le crédit-bail fiscal (art. 39 C du code général des impôts) permettant de réduire le coût d’acquisition du navire. Cette course au fond de tiroir a rendu les organisations professionnelles du secteur nerveuses depuis plusieurs semaines, inquiètes pour le maintien de la taxe au tonnage. D'autant que certains parlementaires avaient déjà essayé de torpiller à l’occasion de l’examen du PLF2024 pour la remplacer par un IS standard. Le régime social des marins (Enim) est aussi sur la sellette depuis un sévère rapport de la Cour des comptes. Il a toutefois survécu à toutes les réformes, y compris celle du projet de système universel de 2020 pourtant promise à un grand chambardement.

De nombreux avantages fiscaux dénoncés à tort

Pour rappel, les armateurs bénéficient, au même titre que de nombreux pays en Europe (22) et par le monde (86 % de la flotte mondiale), de régimes fiscaux spécifiques au titre de leurs activités maritimes. Ces dernières peuvent choisir d’être taxées sur le tonnage net (montant fixe calculé en fonction du tonnage net mondial exploité ou EVP déployé) plutôt que sur leurs résultats d'exploitation réels. Un système plus ou moins avantageux selon les années. En année faste, les impôts peuvent être au plancher même si les bénéfices atteignent des sommets. En fond de cale, elles peuvent avoir à payer des impôts quand bien même elles ont enregistré des pertes.

Le transport maritime bénéficie par ailleurs du net wage. Cette aide correspondant à la part salariale des charges dont s'acquittent les armateurs pour les marins affiliés à l'Enim, vient compléter les exonérations de la part patronale dont elles bénéficiaient déjà. Tous les armements effectuant du transport de passagers régulier à l’international, sous pavillon français et communautaire, peuvent y avoir accès. Initiée pour un an à titre exceptionnel en 2021, elle a été ensuite reconduite pour trois ans.

Il est communément admis que le net wage a assuré le maintien d'un fond de trésorerie salutaire pendant la pandémie. Son caractère transitoire rend toutefois cette exemption fragile. Raison pour laquelle Armateurs de France n’a cessé de militer pour la rendre pérenne. D’autant que là encore, elle existe ailleurs en Europe.

Un pavillon qui a repris des couleurs

Aussi, au titre du Registre international français (Rif), un des six registres d’immatriculation du pavillon français, les navires de commerce au long cours ou au cabotage international (à l'exception des navires de passagers sur les lignes régulières au départ de la France vers le Royaume-Uni et le Maghreb) cumulent plusieurs avantages : un taux de contributions patronales liées à la part Enim réduit (11,6 % au lieu de 35,6 %) pour les navires de transport et de services maritimes exposés à la concurrence internationale (art. L. 5553-11, code des transports), une l’exonération d’impôt sur le revenu dont peuvent bénéficier sous certaines conditions les marins embarqués, un accès au crédit-bail fiscal...

Green deal gagnant-gagnant

Des acquis qu’Armateurs de France a préservés de la faucheuse ces dernières années en jouant avec adresse du green deal gagnant-gagnant : investissements vertueux dans la flotte contre libéralisation du statut du marin français et modernisation du cadre fiscal. Sachant que le verdissement de la flotte va mobiliser des milliers de milliards d'euros dans un contexte où le financement maritime ne coule pas de source. S’il fallait renouveler la totalité de la seule flotte française, il faudrait trouver 25 Md€ selon les données d’AdF.

Grâce à ce régime, l’érosion vers les registres d’immatriculation étrangers a été endiguée et les perspectives sur les entrées de nouveaux navires sous pavillon français font état d’un rythme de 20 à 25 par an d'ici 2027. Alors qu'il y avait moins de 200 navires sous le Rif en 2014. Ils sont désormais 440.

La fiscalité, un produit d'appel pour les armateurs

« Le dispositif fiscal est indiscutablement un produit d’appel, sans équivalent (…) Ces incitations fiscales amènent un armateur étranger à rafraîchir ses connaissances sur le pavillon français, expliquait dans un entretien au JMM Dylan Vloebergh-Lair, alors chargé de la promotion et des affaires sociales au guichet unique du Rif.

« Cela ne signifie pas pour autant que nous attirons des armements volatils qui viennent picorer des avantages fiscaux et repartir, ajoutait Stéphane Garziano, à la tête du guichet unique. Au contraire, ils s'implantent et créent de l’emploi. On dispose d’un indicateur pour en témoigner : le nombre de marins résidant en France, embarquant sur des navires sous Rif et affiliés à l'Enim [464 de plus par rapport à 2017, NDLR] ».

Ces avantages, dits considérables, sont souvent taxés de « niches fiscales ». À tort sauf à considérer qu’avoir un pavillon national n’est pas stratégique et qu'avoir de navires contrôlés par des armateurs français et enregistrés sous le drapeau tricolore n’est pas essentiel.

Débats parlementaires, prochaine embuscade

Dans le contexte actuel, sans anticiper sur le calendrier parlementaire – l'examen du PLF à l'Assemblée nationale devrait démarrer le 21 octobre et la séquence budgétaire pourrait s’étirer jusqu’à la veille de Noël –, il serait étonnant que le secteur maritime ne soit pas davantage mis à contribution.

Selon les lettres plafonds (qui fixent le montant maximal alloué à chaque ministère pour l'année à venir) consultées par nos confrères du Marin, le budget de la DGAmpa, dont le tiers des ressources est absorbé par les exonérations de cotisations patronales des armateurs, serait amputé de 20 %.

Jusqu’à présent, le gouvernement se dit ouvert au dialogue. Mais au sein d’un hémicycle fragmenté en trois blocs, avec des députés prompts au levée de fourches et en apparence peu disposés aux compromis, l'article 49.3, qui a largement servi ces derniers mois pour passer en force, pourrait être à nouveau actionné. Quoi qu’il en coûte en critiques.

Adeline Descamps

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