Le changement d’atmosphère est bel et bien enclenché à Dunkerque. La physionomie de la troisième place portuaire nationale, historique port de charbon et de minerais pour faire tourner son industrie lourde, a déjà bien changé. En témoigne l'état des lieux de ses trafics, que la direction du Grand port maritime de Dunkerque (GPMD) au complet a présenté ce 21 janvier à la Cité des Échanges à Marcq-en-Baroeul en compagnie du sous-préfet de Dunkerque et de représentants de la communauté portuaire. Il reste certes encore des flux de charbon à coke, ingrédient essentiel avec le minerai à la fabrication de l’acier, bien que la sidérurgie soit chancelante en Europe et que la décroissance de cette activité n’est plus une option. Quant au charbon thermique, lié lui à la production d’électricité, il a déjà été largement remplacé par du gaz et de la biomasse (dont une partie importée), reflet de la fermeture progressive des centrales thermiques en France. Les volumes sont désormais inférieurs aux 5 Mt.
Aujourd’hui, l'exercice rituel de début d’année au cours duquel le port place le curseur de ses ambitions pour celles à venir se déroule au son de l’électromobilité, des tonnages décarbonés et... des exigeantes compensations environnementales qui obligent Dunkerque plus que d’autres. Les entreprises qu'il loge représentent pas moins de 20 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. « Réussir la décarbonation sur l'emprise portuaire, c'est réussir un grand tiers des objectifs nationaux liés aux accords de Paris », a posé d'emblée le sous-préfet de Dunkerque Frédéric Loiseau, visiblement satisfait de constater au gré de ses déambulations sur le territoire que la domanialité portuaire évolue avec la décarbonation. « Cela change toutes les semaines, et c'est assez spectaculaire ».
Symétrie recherchée
« Le port a réussi à tendre vers un équilibre entre activité industrielle, logistique et maritime. Cet équilibre, on le recherchait, on le souhaitait, on l’a travaillé, parce que c'est d'abord la meilleure façon de gagner en résilience face aux crises qui peuvent toucher tel ou tel secteur », dira autrement Emmanuelle Verger, présidente du conseil de surveillance du GPMD, où elle est entrée en 2015 et qui vient de rempiler pour un second mandat aux côtés de Maurice Georges, président du directoire. La garante de la stratégie portuaire fait référence à la parfaite symétrie atteinte entre les recettes tirées des trafics et les loyers issus de la mise à disposition de son foncier. Sur un chiffre d’affaires (prévisionnel) de 114,6 M€ (+ 7 % par rapport à 2023), les droits de port y ont contribué à 45 %, à parité égale avec les recettes domaniales.
Cette savante eurythmie (position établie l’an dernier) illustre la sortie du port de son rôle de jonction entre la terre et la mer qu’on lui a connu pendant des décennies, avec juste des opérations de chargement et de déchargement, pour évoluer vers des écosystèmes industriels à part entière.
Dans ce domaine, Dunkerque-Port, premier site portuaire à être labellisé « sites industriels clefs en main » en 2021, a une longueur d’avance avec deux grandes plateformes agréées : Zone Grandes Industries (ZGI, 160 ha) et Dunkerque Logistique internationale (DLI, 150 ha, 43 000 m² de bâtiments déjà opérationnels). Ce concept désigne des terrains à vocation industrielle pré-aménagés et dé-risqués, pour lesquels l'État garantit un délai de trois mois pour l'obtention du permis de construire et de neuf mois pour les autorisations environnementales car les procédures administratives ont été anticipées.
400 000 m2 réservés
« Il y a une dizaine d'années, alors que la capacité logistique du port de Dunkerque était de 120 000 m2, on avait, avec la communauté urbaine, la communauté portuaire et les différentes instances de gouvernance, lancé l’objectif à court terme de la doubler. Nous avons aujourd’hui l’équivalent de 400 000 m2 réservés par des investisseurs privés », recontextualise Daniel Deschodt, double profil avec son statut de directeur général adjoint et directeur commercial.
La fin d’année fut lucrative. Depuis octobre 2024, la DLI héberge notamment, sur 21 000 m², les activités du groupe japonais Yusen Logistics [logistique des produits à haute valeur ajoutée et notamment des produits pharmaceutiques] dont une partie est occupée par le logisticien singapourien PSA BDP (logistique pour des opérations complexes et sensibles). Le commissionnaire belge Ziegler a lancé en novembre dernier la construction d'un centre logistique multimodal (19 400 m², qui devrait être opérationnel d'ici 2026. En décembre, le promoteur immobilier belge Weerts a signé un bail à construction et entamera au premier semestre la première phase d’un bâtiment logistique de 82 000 m². « Il faut replacer ces investissements dans un contexte économique de promotion immobilière et d'immobilier logistique extrêmement tendu depuis un semestre », recadre Daniel Deschodt
BVI.EU, autre promoteur belge (immobilier commercial), va construire pour le compte de Groupe Charles André, un entrepôt de 21 000 m², dont la mise en service est prévue courant 2027. Derrière cette offre, une demande des chargeurs historiques de la place portuaire (grande distribution) en manque de stockage pour des produits classées sensibles, à l’instar des peintures, des aérosols… Les sociétés WDP et Heylen sont aussi à la manœuvre de nouvelles surfaces d’entreposage, qui pourraient connaître un démarrage des travaux courant 2025.
« Une belle année pour les trafics »
En attendant, les droits de port font encore tourner la marmite à 45 %. Le trafic total du port de Dunkerque n’a pas encore franchi le cap fantasmé des 50 Mt mais s’en approche lentement avec 46 Mt, en hausse de 5 %. « Malgré un contexte
économique peu favorable. C’est donc une très belle année », se félicité Emmanuel Verger.
L’an dernier, les flux étaient en chute de 10 % par rapport à l’année précédente, victime de la conjoncture atone et de l’arrêt de certaines productions. Tous les ports européens, pas seulement français, étaient alors en retrait en 2023. Dunkerque a donc récupéré une partie de ses volumes évaporés.
Cap 2020
En 2024, les investissements ont atteint 95,1 M€ alors qu'ils étaient programmés à un niveau bien supérieur. Pour 2025, Dunkerque-Port prévoit une enveloppe de 164 M€, notamment pour les premiers travaux de CAP 2020. Dans le conteneur, la grande affaire reste ce « projet structurant qui entre dans une phase déterminante en 2025 : celle de la réalisation des travaux ». Le conseil de surveillance a délibéré en ce sens le 22 novembre 2024 et la Commission européenne a autorisé en décembre l’aide de l’État français de 127 M€ (42 % du coût total du projet de 303 M€), levant le dernier verrou au lancement effectif du chantier.
Alors que l'infrastructure dispose actuellement d'un quai de 1 750 m de long équipé de huit grues navire-terre (STS), le chantier prévoit l'extension de 1000 m au sud du quai de Flandres dans la continuité en vue de créer deux nouveaux postes d'amarrage pour mégamax à une profondeur de 17,50 m. Il sera alors possible de traiter deux navires supplémentaires de grande capacité, sans contrainte de marée, 24h24, 7j/7. L’objectif visé est de doubler la capacité de traitement des flux conteneurisés.
L'appel d'offres pour le choix du futur opérateur devrait être lancé en 2026 pour une mise à disposition du quai en 2027. Le candidat retenu disposera de 18 à 24 mois pour réaliser son programme d’investissement, en vue d’une mise en service du terminal en 2029. Terminal Link (joint-venture entre CMA CGM et China Merchant Ports), qui exploite l'actuel Terminal des Flandres, pourrait être l'un des candidats.
Pour exister aux côtés des ports du range nord européen, l’un des plus petits ports à conteneurs du range nord-européen entend capter une partie du flux à venir du trafic traversant le détroit du Pas-de-Calais, condition sine qua non « pour le maintien et l’implantation de nouveaux chargeurs sur le port », indique la direction portuaire.
Adeline Descamps
* L’aide publique française de 127 M€ se décompose en une subvention de 87 M€ et d’un prêt de la Caisse des Dépôts et Consignations tandis que l’autorité portuaire intervient à hauteur de 8 M€.
Les trafics clés en bref
Les vracs solides restent la principale activité des dockers avec 33 % du total manutentionné et en hausse de 7 %, à 15,2 Mt, tirés par le trafic de minerai (+ 23 %, 7,9 Mt). Mais avec un effet de base prononcé. Les tonnages restent cependant inférieurs aux volumes habituellement observés.
La filière des liquide (27 % de l’activité totale) enregistre une hausse de 4 %, atteignant un peu plus de 12,2 Mt, porté par son terminal méthanier (118 escales, plus de deux par semaine). Les trafics d’hydrocarbures augmentent, eux, de 15 % pour atteindre 3,1 Mt.
Le trafic de céréales a littéralement dévissé de 20 %, à 1,3 Mt, conséquence d’une saison médiocre, tant en quantité qu’en qualité.
En 2024, le trafic roulier consolidé au port de Dunkerque s'est élevé à 493 000 unités de fret (+ 9 %) et 369 000 véhicules de tourisme (+ 4 %). Le ferry a engrangé 1,76 millions de passagers (+ 9 %). Retour du tourisme après des années Covid fatales aux visites.
Alors que les marchandises diverses ont progressé de 3 % à 18,6 Mt (40 % de l’activité totale), le conteneur a bien résisté, à moins de 2 %, à 653 000 EVP (soit 76 % de sa capacité à 850 000 EVP) mais sans rattraper les niveaux des belles années. À noter, la croissance supérieure (+ 3 %) des conteneurs destinés à l’hinterland, pour la cinquième année consécutive, soit 436 000 EVP.
A.D.
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