La Grèce renonce à la privatisation d'un port pour des raisons stratégiques

Alors que l'agence nationale en charge de la privatisation avait reçu deux offres dans le cadre de la mise en vente du port d’​Alexandroúpoli, le gouvernement grec estime finalement qu’il doit rester la propriété de l'État dans un contexte de tensions géopolitiques. La Grèce, qui a vendu un de ses ports à l’armateur chinois Cosco, n’est pas le seul pays à questionner son ouverture aux investisseurs privés. Les débats sont vifs à Hambourg.

Retournement impromptu. Alors que l'agence nationale en charge de la privatisation en Grèce (HRADF) indiquait en septembre avoir reçu deux offres fermes, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a annoncé le 7 novembre l’abandon du projet de privatisation partielle (67 %) du port d’Alexandroúpoli pour des raisons de souveraineté au regard du contexte de guerre en Ukraine. « Dans les circonstances actuelles, il a une telle importance stratégique, géopolitique et énergétique pour notre pays qu'il doit rester propriété de l'État. Il s'agit d'un actif trop précieux pour être abandonné », a indiqué le représentant du gouvernement dans une interview à la télévision grecque ANT1.

Le port grec situé au nord du pays, près des frontières avec la Bulgarie et la Turquie, dispose notamment du seul terminal méthanier du pays, une infrastructure stratégique pour « rentrer » du GNL alors qu’Athènes a réduit de plus de la moitié cette année ses importations de gaz russe, dont elle dépendait à hauteur de 40 % avant la guerre. Comme d'autres pays européens, le pays est aux prises avec la flambée des prix de l'énergie et a déjà dépensé quelque 9 Md€ au titre de mesures de pouvoir d’achat.

Le conseil d'administration de l'agence de privatisation doit encore valider l’abandon.

Un FSRU en 2023

En juillet, DESFA, qui exploite le terminal méthanier, a affrété une unité flottante de stockage et de regazéification (FSRU), amarrée près de Revithoussa avec une capacité de stockage de 153 500 m3 de GNL et de regazéification de 4 Mt par an. Il doit entrer en opération en 2023.

Athènes considère qu’Alexandroupoli a le potentiel pour devenir un centre énergétique pour l'Europe centrale. Selon Reuters, qui tient son information d’une source anonyme au sein de HRADF, le port grec a vu son « rôle accru, suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie ». Depuis février, il sert en effet au transit d'équipements militaires de l'OTAN vers son flanc oriental via la Roumanie et la Bulgarie.

L’ouverture aux investissements privés s’inscrivait dans le cadre d'un plan plus large de ventes d’actifs, plusieurs autres ports en région étant concernés. En octobre, le consortium dirigé par le groupe Grimaldi composé de ses filiales Grimaldi Euromed et Minoan Lines Shipping et de l'opérateur grec Investment construction commercial & industrial, a été retenu pour devenir l’actionnaire majoritaire (67 %) du port d'Igoumenitsa. Une opération d’une valeur de 84,17 M€ pour ce port identifié comme la porte d’entrée de la Grèce occidentale, stratégique notamment pour les liaisons avec le reste de l'Europe. 

Hambourg : la prise de participation de Cosco autorisée mais rabotée

Des débats sur les infrastructures dites « essentielles »

La Grèce n’est pas le seul pays à questionner la vente de ses assets. Á Hambourg, la prise de participation par le chinois Cosco, quatrième armateur mondial de porte-conteneurs, à Tollerort (Container Terminal Tollerort, CTT), l’un des trois terminaux à conteneurs qu’exploite le manutentionnaire allemand HHLA – a suscité un vif débat si bien que son entrée au capital a été revue à la baisse pour limiter son influence (24,9 % au lieu de 35 %). 

Deux des partis de la coalition gouvernementale allemande au pouvoir (Les Verts et le Parti démocratique libre, FDP) se sont vivement opposés à l'idée de permettre à l'État chinois (dont dépend Cosco) d'acquérir des infrastructures allemandes dites « essentielles ». Et ce, contre l’avis du chancelier fédéral Olaf Scholz (social-démocrate) et ancien maire de Hambourg, qui ne s’y serait pas opposé. Selon le média allemand Handelsblatt, les deux parties veulent aller plus loin dans la protection des infrastructures critiques, notamment au moyen d’une loi.

C’est également sous la coupe de cet armateur chinois que le principal port à conteneurs de la Grèce, Le Pirée, est passé il y a six ans. Non sans difficultés, la cession d’une nouvelle participation de 16 % a été validée en août 2021 si bien que Cosco est désormais actionnaire majoritaire à 67 %. Bien que l'État grec dispose d'un droit de veto sur les décisions stratégiques, il n'est représenté au sein du conseil d'administration de l’APP (Autorité du port du Pirée) que par un seul membre, contre trois pour Cosco sur un total de 11.

Adeline Descamps

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