Rosatom, le colosse russe des programmes nucléaires civil et militaire, a annoncé le 24 octobre la création d'une coentreprise avec l"opérateur émirati DP World visant à développer « une route commerciale supplémentaire pour le transport maritime de conteneurs par la route maritime du Nord », selon les termes de Rosatom.
La coentreprise, International Container Logistics, a été enregistrée le 20 octobre, avec un capital de 960 millions de roubles (10,3 M$). Elle sera détenue à 51 % par une unité de Rosatom et à 49 % par la filiale russe de DP World.
Peu de détails ont été communiqués. Il est seulement question de finaliser l'ingénierie des installations, d'estimer le volume des conteneurs pour dimensionner les infrastructures et évaluer les investissements nécessaires.
Perspectives du corridor arctique
Le projet d'un corridor arctique tient à coeur au président russe Vladimir Poutine, dont les intérêts pour le développement de la navigation dans cette zone ont redoublé depuis sa mise au ban internationale. Elle offre en effet une alternative raccourcie au canal de Suez.
Le maître du Kremlin a eu l'occasion d'en égréner toutes les perspectives lors d'un discours prononcé la semaine dernière à l'occasion du forum BRI organisé pour les dix ans du grand projet chinois Belt and Road (routes de la soie). « En ce qui concerne la route maritime du Nord, la Russie ne se contente pas d'inviter ses partenaires à utiliser activement son potentiel de transit. Nous invitons les États intéressés à participer directement à son développement », a-t-il déclaré à Pékin.
Passer de 34 Mt à 80 Mt en 2024
La Russie, qui considère le passage du Nord-Est (Route maritime du Nord, RMN), à moins de 370 km de ses côtes comme partie intégrante de ses eaux territoriales, s’active en effet pour permettre une exploitation toute l’année.
Alors que cette artère glacée, longue de 13 000 à 14 000 km entre Mourmansk, près de la frontière russe avec la Norvège, et le détroit de Béring, près de l'Alaska, était jusqu’à présent praticable de juillet à décembre, la fenêtre de navigation s’élargit de plus en plus avec le réchauffement climatique.
Alexei Likhachev, le PDG de Rosatom, seul constructeur et opérateur de brise-glace nucléaires au monde, a annoncé en mai que la navigation par la RMN serait praticable toute l’année dès 2024.
Moscou envisage de porter le trafic de marchandises transitant via l’Arctique à 200 Mt d'ici à 2030, soit six fois plus que son niveau actuel (34 Mt en 2022).
DP World à contre-courant
Plusieurs grandes marques dans le détail (Puma, H&M, GAP…), mais aussi des armateurs (tel CMA CGM) ou de grands transitaires (comme Kühne + Nagel) ont promis, sans qu’ils puissent être formellement dédouanés de green washing, de ne pas faire passer leurs marchandises ou emprunter avec leurs navires la RMN. L'opérateur émirati n’a jamais eu ces politesses de langage.
Il a même toujours été explicite sur ce point, y compris par la voix officielle, celle de son PDG, Sultan Ahmed Bin Sulayem : « DP World soutient la vision que porte le président Vladimir Poutine pour la route maritime du Nord, qui est l'une des dernières grandes routes commerciales du monde à être développée. L'ouverture d'une alternative au canal de Suez entre l'Est et l'Ouest augmentera la résilience du commerce mondial. Elle offre un grand potentiel de développement de l'activité économique dans le grand nord russe ».
Rosatom à la manœuvre
L'agence nucléaire n'en est pas non plus à sa première manifestation d'intérêt. En octobre 2021, l'opérateur de brise-glaces avait annoncé, à l'occasion d'une conférence sur le pétrole et le gaz de Sakhaline fin septembre, qu'il entendait mettre en service le premier porte-conteneurs en Arctique . « Nous prévoyons de construire une série pilote de porte-conteneurs d'une capacité de 6 000 EVP classe glace. Nous envisageons de lancer le premier d’entre eux en 2025 », avait-il déclaré tout en affirmant qu'un appel d'offres auprès des chantiers serait lancé avant la fin de cette année-là. La suite a été tenue à la discrétion de ses promoteurs.
Cette annonce faisait suite à une autre, formulée publiquement un mois auparavant, en septembre. DP World et le groupe russe de transport maritime et de logistique Fesco avaient alors fait part d'un accord de coopération afin d’étudier la faisabilité technique et économique d’un poste à quai pour des porte-conteneurs sur le port de Vladivostok (sud de la Sibérie), où Fesco envisageait de créer un hub logistique.
L'accord s'inscrivait dans le cadre d’un projet plus large dans lequel Rosatom est auss une cheville ouvrière. Le Northern Marine Transit Corridor (SMTC) prévoit la création d’une ligne, des ports pivots pour le transit de marchandises le long de la route du Nord et le développement d’une flotte de porte-conteneurs pilotes.
Adeline Descamps
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