L’armateur belge de pétroliers vit depuis deux ans sous le régime des turbulences dans sa gouvernance avec deux actionnaires proéminents qui se sont affrontés pour avoir le dernier mot sur la stratégie à opérer. Mais le dernier trimestre 2023 a permis de démêler l’écheveau complexe dans lesquels se trouvaient Euronav et Frontline, appelés à fusionner selon les plans de John Fredriksen, mais dont ne voulait pas Alexander Saverys, les deux protagonistes de ce long bras de fer. Le second réussira à désactiver la détermination de son adversaire, pourtant connu pour ses raids sans affect.
Les deux entreprises ont fini par trouver un accord en novembre pour sortir de l’impasse : Frontline a cédé les 26,12 % qu’il détenait dans le capital d’Euronav à la CMB en échange de 24 VLCC (il n’en reste plus qu’un à livrer) d’une valeur de 2,35 Md$, laissant à Euronav une flotte de 19 VLCC et 26 suezmax.
À l’issue de cette opération, le groupe CMB (Bocimar dans le vrac sec, Delphis dans le conteneur, Bochem dans les produits chimiques, Windcat Workboats, opérateur de Crew Transfer Vessels, CMB.Tech) est redevenu le maître absolu avec 53 %.
Faire de la place aux navires bas carbone
Désormais à la barre de l’entreprise, Alexander Saverys défend une ligne visant à diversifier les revenus, en réduisant progressivement la part des revenus issus du transport de pétrole brut et faire de la place à des actifs maritimes qu'il estime plus durables, « à l'épreuve du temps », selon son expression. Comprendre : des navires à faibles émissions de carbone, à l'hydrogène ou à l'ammoniac.
Depuis son arrivée, le dirigeant n’a pas chômé. Le 22 décembre, il a été annoncé qu'Euronav devrait acquérir CMB.Tech pour un prix d'achat total de 1,15 Md$ en espèces. La filiale du groupe CMB conçoit, construit, possède et exploite une flotte diversifiée de 106 navires à faible émission carbone, dont 46 sont en construction avec des moteurs hybrides diesel-hydrogène et diesel-ammoniac. Mi-janvier, il a présenté un plan qui prévoit l’achat de 120 navires (autres que des pétroliers) et à faible émission de carbone.
Un grand pas en avant dans la stratégie de diversification
« Les trois derniers mois de 2023 ont été un trimestre de transformation pour Euronav. Une solution à l'impasse avec Frontline a été trouvée, CMB a consolidé sa position d'actionnaire principal et la transaction CMB.TECH a été annoncée, un grand pas en avant dans notre stratégie de diversification et de décarbonation. Nous poursuivons également le renouvellement de notre flotte avec de nouvelles commandes de pétroliers, configurés pour l'ammoniac », a indiqué le nouveau PDG d’Euronav, à l’occasion de la présentation des résultats du quatrième trimestre 2023.
Alexander Saverys fait référence à la commande de deux suezmax auprès de Daehan Shipbuilding, dont la livraison est prévue pour avril/mai 2026. Tous deux font l’objet d’un contrat d’affrètement à temps avec Valero. L’armateur a également levé l'option pour deux VLCC de plus auprès du chantier naval de Qingdao Beihai (Chine) en décembre et janvier, portant à quatre les contrats avec le chantier naval chinois. Les navires devraient être livrés entre le quatrième trimestre 2026 et les premiers mois de 2027.
Un résultat net de 410,9 M$
Le dernier trimestre de l’année a été particulièrement profitable avec un résultat net de 410,9 M$ (soit 2,03 $ par action, presque le double de celui réalisé un an plus tôt (235,1 M$). L'Ebitda (résultat opérationnel avant amortissement sur immobilisations) ressort à 477,7 M$ (317,8 M$ au quatrième trimestre 2022).
La société devrait présenter pour l’ensemble de l’année un profit de 862 M€ contre 203 M€ en 2022.
Au quatrième trimestre, les VLCC d'Euronav dans le pool Tankers International ont gagné 41,700 $ par jour (versus 57 400 $/j un an plus tôt) mais sur l’ensemble de l’année, les revenus ont bondi : d’un taux moyen de 27 600 à 47 600 $/j. Les suezmax ont été un peu plus rémunérateurs (42 800 $/j contre 57 800 $/j à période comparable de 2022) mais de 55 700 $ sur l’ensemble de l’année.
Pour le premier trimestre 2024, à ce stade, 46 % de la flotte des très grands pétroliers ont été fixés à 50 430 $/j et 54 % de celle des suezmax, à 54 892 $/j.
« Les taux dans le segment des transporteurs de brut restent fermes. La production et les exportations du bassin atlantique (États-Unis et Brésil), les inquiétudes en mer Rouge et la question de savoir si l'offre de transporteurs de brut sera suffisante y contribuent, indique la société belge. Elle gage sur une production mondiale de pétrole de l'ordre de 103,5 millions de barils par jour (Mb/j) « bien qu'il puisse y avoir un risque à la baisse si l'OPEP prolonge et/ou approfondit les réductions de production prévues ».
Dynamique du secteur des grands pétroliers
Le marché des grands pétroliers est bien orienté. Les tensions géopolitiques accrues au Moyen-Orient (en 2023, 7,2 millions de barils par jour de pétrole brut et de produits pétroliers ont transité par cette route), l'allongement des tonnes-milles et l'augmentation de la demande de transport maritime de pétrole offrent un contexte très favorable. Le segment peut ainsi profiter à plein de ses fondamentaux : l’équilibre de l’offre et de la demande.
La demande mondiale devrait atteindre un niveau record en 2024, mais à un rythme plus lent qu'en 2023, à nouveau portée par la Chine et l'Inde (58 % de la croissance de la demande selon Morgan Stanley). Par secteurs, la pétrochimie et l'aviation devraient apporter 84 % de la croissance de la demande.
La levée temporaire par les États-Unis des sanctions sur le pétrole du Venezuela (du 18 octobre 2023 au 18 avril 2024) pourrait aussi influencer les échanges maritimes de pétrole brut. Selon Clarksons, elle sera bénéfique si elle entraîne une augmentation des exportations vers les États-Unis et l'Europe. Actuellement, en raison de ces sanctions, les exportations de brut du Venezuela sont transportées par la flotte dite « sombre ». Ces barils devraient revenir à une flotte plus légale.
Rendez-vous le 7 février
Au cours de l'assemblée générale extraordinaire du 7 février, les actionnaires d'Euronav devront approuver l'acquisition de CMB.Tech et se prononcer sur un changement de dénomination sociale. Si les actionnaires valident, Euronav ne sera plus que le nom de marque de sa division pétrolière.
Adeline Descamps
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