La stratégie de diversification d’Euronav dopée par la conjoncture

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Euronav deviendra CMB.Tech le 1er octobre. Derrière le changement de pavillon s’organise une transformation radicale. L’armateur de pétroliers se dilue au sein d’un groupe qui couvre désormais tous les segments du transport maritime avec les apports des sociétés de la Compagnie maritime belge fondée par la famille anversoise Saverys. Un pari aidé par les perturbations maritimes.
 

« Cela fait longtemps que tous les marchés n'avaient pas connu un équilibre positif entre l'offre et la demande. Les perspectives sont exceptionnelles. Les actionnaires devraient être satisfaits ». Alexander Saverys, le PDG d'Euronav, qui deviendra CMB.Tech au 1er octobre, pour symboliser entre autres la stratégie d’affranchissement du transport tout-pétrole, s’en félicite. Il est l’homme-orchestre de ce processus arraché au prix d’une bataille d’actionnaires qui aura duré plus de 18 mois.

Le groupe belge, qui couvre désormais la plupart des segments du transport maritime, avec Euronav qui affrète des VLCC et des suezmax, Bocimar des vraquiers, Delphis des porte-conteneurs, Bochem des chimiquiers et Windcat des navires de support à l’éolien, a réalisé un résultat net de 184,4 M$ au cours du deuxième trimestre et de 679,6 M$ sur le semestre.

Fort de ses résultats obtenus en dépit d’un chiffre d’affaires en baisse de 196 M$ par rapport au premier semestre 2023 (492,37 M$), l’entreprise pourra attribuer un dividende de 4,57 $ par action (194 millions en circulations versus 201 millions à fin juin 2023). L'Ebitda (résultat opérationnel avant amortissement sur immobilisations) pour la même période s’est élevé à 261,2 M$, soit un petit gain de 13 M$.
« Nous avons finalisé la vente d'anciens pétroliers. Nous avons ajouté des affrètements à temps à notre portefeuille. Nous avons pris livraison de sept nouveaux navires à l'épreuve du temps et des contrats ont été signés pour trois navires éoliens offshore et quatre nouveaux remorqueurs afin de renforcer notre portefeuille de navires à hydrogène », énumère l’artisan de la transformation.

Reprise en main proactive

Pour mémoire, ces mutations s’inscrivent dans le cadre de la reprise en main d’Euronav par la famille Saverys pour contrer les manœuvres de Frontline et de son actionnaire redouté John Fredriksen. Les Saverys, qui ont mis sur les fonts baptismaux la société connue pour opérer des VLCC (capacité de transport de 2 millions de barils) puis s’en sont désengagés, défendent aujourd’hui une stratégie visant à réduire progressivement la part des revenus issus du transport de pétrole brut et faire de la place à des actifs maritimes à faibles émissions de carbone, ce que le dirigeant suggère par « à l’épreuve du temps ».

Le deuxième trimestre porte la trace des mutations en cours. La société a commandé un CSOV supplémentaire pour l'exploitation de parcs éoliens offshore. Il s'agit du numéro six de la série Elevation, développé en collaboration avec Damen, dont le premier devrait être livré l'année prochaine. Le 23 mai, CMB.Tech et Damen ont signé par ailleurs un accord de collaboration pour quatre remorqueurs à hydrogène.

Dans le même temps, la société a vendu depuis le début de l’année quatre VLCC dont un à TotalEnergies pour une conversion en FPSO (unité flottante de production, de stockage et de déchargement). L’ensemble a permis de dégager une plus-value d'environ 79 M$ (comptabilisée au deuxième trimestre).

Incertitudes sur le marché pétrolier

Si le deuxième trimestre a montré des conditions de marché solides dans la plupart des principaux segments du transport maritime, « le troisième trimestre a commencé en force pour la plupart des marchés, excepté les VLCC [grands pétroliers] ». Ce qui n’est pas anormal à cette période de l’année.

Au cours du deuxième trimestre, ses pétroliers ont été fixés (time charter equivalent rates, TCE), à un revenu moyen journalier de 50 500 $ (marché spot) et autour de 47 000 $ pour les navires sous contrats. C’est loin des 55 000 $ et 50 750 $ enregistrés respectivement il y a un an à la même époque. L’écart en glissement annuel est encore plus marqué pour les suezmax (capacité d’1 million de barils) fixés à 49 500 % (spot) et 30 750 $ (contractuel) contre 68 000 % sur le spot mais 30 500 $ en contractuel. Mais ces recettes sont toutefois supérieures de 18 et 59 % à la tendance sur 10 ans.

Entre avril et mai, Euronav a engrangé trois nouveaux contrats d'affrètement à long terme ajoutant quelque 160 M$ à ses revenus contractuels qui totalisent à ce jour 2,06 Md$.

Des marchés conditionnés à la Chine

La société belge reste néanmoins confiante quant à la demande de transport de pétrole. « Les prévisions pour 2024 indiquent une croissance de la demande entre 1 et 2,3 millions de barils par jour (Mb/j), selon l'AIE et l'Opep ». Le cartel des pays producteurs de pétrole a toutefois prévu de réinjecter 2,2 Mb/j sur une période de 12 mois à compter du 1er octobre. « La possibilité d'un affaiblissement de la demande estivale au troisième trimestre fait planer l'incertitude sur les taux plus fermes. Le paysage économique de la Chine présente des perspectives mitigées pour la demande mondiale de pétrole, car le pays est aux prises avec des dépenses de consommation faibles et des taux de chômage élevés. Ces problèmes pourraient encore réduire la consommation globale d'énergie par la Chine, un facteur essentiel de la demande mondiale de pétrole ». Pour le troisième trimestre, l’entreprise a 61 % de ses capacités négociées à 34 093 $/j pour les VLCC et 49 % à 41 041 $ pour les suezmax.

S’appuyant sur les données de Clarksons, la communication d’Euronav gage sur une croissance des volumes de transport de 2,3 % cette année, soit 12,6 milliards de tonnes, la Chine demeurant un moteur essentiel. « Les stocks portuaires chinois de certains produits de base en vrac tels que le minerai de fer et le charbon ont augmenté. Néanmoins, le commerce maritime mondial en termes de tonnes-milles est toujours en bonne voie pour augmenter de 5,1 % d'ici la fin de l'année. Bien qu'une partie de cette croissance provienne des exportations long-courriers de l'Atlantique, les perturbations en mer avec la crise en mer rouge y ont contribué à hauteur de 3 % », fait valoir la direction.

Bocimar stimulée par le bauxite

Dans le vrac sec, Bocimar a été portée par les exportations de minerai de fer et de bauxite sur les routes long courrier de l'Atlantique vers l'Asie. Si les volumes ne représentent que 7,5 % du commerce des capesize, le commerce de la bauxite devrait augmenter de 9 %, 6 % et 5 % en 2024, 2025 et 2026, selon les estimations. À court terme, les expéditions de bauxite en provenance d'Afrique de l'Ouest devraient diminuer, la saison des pluies affectant la logistique intérieure, mais les tendances à plus long terme sont positives : la production mondiale d'alumine stimule la demande qui devrait augmenter en moyenne de 2 % par an entre 2025 et 2026, dopée notamment par les véhicules électriques.

Selon les données de Clarksons, les capesize ont engrangé des revenus moyens de 26 973 $ par jour pour le deuxième trimestre pour les contrats à long terme, soit une hausse de 181 % sur un an. « Même si le ralentissement du secteur immobilier en Chine est négatif pour le commerce du minerai de fer, la demande accrue d'acier pour les projets d'infrastructure (développement dans et autour des villes, projets hydroélectriques, etc.), le virage vert, la forte croissance de la production de véhicules électriques, ainsi que la croissance continue des exportations de produits sidérurgiques, compensent cette situation », assure l’entreprise alors que des droits de douane plus sévères pourraient aussi réduire la demande d'acier par la Chine.

Le transport de produits chimiques en forme

Sur le transport des produits chimiques, Bochem a fixé ses navires (19 999 tpl) à 22 500 $ au début du mois de juin pour une durée d’un an, soit une hausse de 18 % par rapport à juin 2023, et bien supérieur à la moyenne à long terme de 13 500 $/jour.
La filiale spécialisée dans le transport de produits chimiques a quatre de ses navires d'une capacité de 25 000 tpl employés dans le cadre d'un contrat d'affrètement à temps de 10 ans, un dans le cadre d'un contrat d'affrètement à temps de sept ans et trois mis à disposition du pool spot.

Le commerce maritime de produits chimiques devrait augmenter de 386 Mt (3 %) en 2024 et de 398 Mt (3,1 %) en 2025, après une croissance estimée à 1,3 % en 2023. « La croissance de l'année dernière a été portée par une expansion continue des volumes de biocarburants, ainsi que par un rebond du commerce de l'huile de soja après une baisse des exportations ukrainiennes en 2022 en raison du conflit russe ».

2,7 Md$ investis dans de nouvelles constructions

À moyen terme, le groupe bénéficie d’un équilibre favorable entre l’offre et la demande sur l’ensemble de ses marchés. Toujours selon Clarksons, le carnet de commandes des VLCC ne représente que 6,8 % de la flotte en exploitation et celle des capesize, 6,6 %, ce qui signifie que les nouvelles constructions ne couvrent pas la flotte vieillissante (17,1 % des pétroliers et 9,5 % des vraquiers ont plus de 20 ans). De même, la capacité de la flotte de chimiquiers (>10 000 tpl) devrait augmenter de 2,3 % cette année, par rapport à la croissance prévue du commerce en tonnes-milles de 4 %. Le carnet de commandes des chimiquiers représente actuellement 12,4 % de la flotte en exploitation alors que les plus de 28 ans ou plus représentent près de 10 % de la flotte totale.

Le groupe avait 50 navires en construction à la fin du deuxième trimestre pour lesquels il a engagé 2,7 Md$. Un investissement qu’il finance par des emprunts bancaires, du crédit-bail et ses liquidités issues notamment de la vente de ses grands pétroliers.

Adeline Descamps

 

Offshore/Éolien : peu de navires disponibles

Les taux journaliers pour tous les segments offshore sont au plus haut. Pour les navires de transfert d'équipage (CTV), les travaux de construction d'éoliennes offshore ont augmenté de 16 % en glissement annuel et il semble que la saison soit plus longue car la plupart des unités ont démarré en mars/avril pour les campagnes d'été (le mauvais temps au début de la saison ayant entraîné des retards sur divers projets), ne laissant qu'un nombre limité de navires sur le marché spot.

En conséquence, les affrètements sont prolongés de plusieurs semaines ou mois, ce qui rend la plupart des navires indisponibles pour de nouveaux affrètements au comptant jusqu'en octobre 2024 au moins. Les taux journaliers d'affrètement restent élevés, en particulier pour les grands navires (24 m). Selon TGS Data & Intelligence, Windcat est resté le principal opérateur avec 48 de ses 52 navires actifs au cours du trimestre. L’entreprise affiche un tarif d’affrètement moyen de 3 035 $/j pour le troisième trimestre.

A.D.


 

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