Les marchés européens et mondiaux du gaz ont subi un choc majeur en 2022 lorsque la Russie a réduit de 80 % ses livraisons de gaz par gazoduc à l'Union européenne, déclenchant une crise énergétique mondiale.
Á cette accroche majeure sont venus se greffer quelques accrocs mineurs mais suffisamment importants pour tendre les prix, agiter les marchés et faire flamber le prix des méthaniers. Ainsi de l’incendie suivi d’une explosion survenu dans un des grands complexes de GNL, celui de Freeport, au Texas, mettant d’emblée hors-service une importante source d'exportation américaine. Le prix du gaz naturel en Europe n'a pas tardé à réagir, atteignant 100 $ par million d'unités thermiques britanniques (MMBtu, unité de référence) à la fin du mois d'août, soit l'équivalent d'un baril de pétrole à 600 $.
En septembre, le sabotage des gazoducs Nord Stream, principale source d'approvisionnement en gaz russe de l'Europe, a créé un autre à-coup sur l’offre. En novembre, les méthaniers gagnaient sur le marché au comptant entre 400 000 et 500 000 $ par jour.
Volatilité exacerbée
La fièvre est retombée depuis. Un temps doux, une augmentation des exportations de GNL pour compenser le gaz russe par oléoduc et une forte baisse de la demande de gaz, de la part de l’Europe en raison de l’inflation et de la Chine, freinée par la politique sanitaire draconienne, ont tiré le marché vers le bas.
Le prix du gaz naturel en Europe a chuté à 10-11 $ le MMBtu, soit l'équivalent d'un baril de pétrole à environ 60 $. Toutefois, si les taux au comptant pour les méthaniers à moteur diesel à trois carburants (TFDE) s'est effrondré à 42 700 $/jour, les tarifs restent encore élevés pour les navires affrétés à long terme, à 140 000 $ par jour pour une durée d’un an et de 120 000 $/j pour trois ans, selon Clarksons. La grande majorité du GNL maritime est transportée dans ce cadre et non au voyage.
L'aubaine de la reconfiguration des flux
Comme pour le pétrole et le charbon, les opérateurs de méthaniers ont profité de la reconfiguration des flux maritimes dans un contexte d’économie de la panique et de la rareté. Les méthaniers se sont substitués aux pipelines, les États-Unis à la Russie, dopant la demande de navires. Dans ce contexte, les opérateurs de méthaniers en ont profité.
Knutsen OAS Shipping en pleine forme
Le géant norvégien Knutsen OAS Shipping en offre une belle illustration. L’entreprise, contrôlée par la famille Seglem, est en grande forme. La société a réalisé un bénéfice de 626 M$ en 2022 contre 560 M$ l'année précédente et un chiffre d'affaires au-delà du milliard de dollars pour la première fois (1,2 Md$ contre 880 M$ en 2021).
Les bénéfices de la flotte de pétroliers-navettes (29 shuttle tankers) de sa filiale Knutsen NYK Offshore Tankers (KNOT), détenue à 50 % avec le transporteur japonais NYK, y ont contribué à hauteur de 320 M$, contre 287 M$ l’année précédente. L
’activité dans le transport de GNL (23 méthaniers en opération, 23 en commande) s’est matérialisée par un résultat net de 301 M$.
Le plus Français des Norvégiens
Le Norvégien est le plus français des opérateurs de méthaniers depuis l'implantation de sa filiale Knutsen LNG France en 2021 à Marseille, où se trouve le siège, et à Nantes, où il possède un bureau. C’est la deuxième filiale en Europe pour le groupe nordique après l’Espagne.
La direction du Registre international français évoque même un « effet Knutsen » pour l’effet d’entraînement que l’armateur peut avoir sur l’attractivité du pavillon national et l’emploi des officiers français (une quarantaine déjà en poste)
Un ancrage rapide en France
Knutsen LNG France, dirigée par Ludovic Gérard (ancien cadre dirigeant de CMA CGM) est à la tête d’une petite flotte de méthaniers, tous construits par les chantiers du Sud-Coréen Hyundai Heavy Industries et d’une capacité de 174 000 m3. Quatre sont à ce stade affrétés par Shell, les Knutsen Malaga, Knutsen Alicante, Knutsen Extremadura, et Ferrol Knutsen. Un cinquième, le Paris Knutsen, doit être réceptionné au troisième trimestre de cette année tandis que les Marseille Knutsen et Nantes Knutsen, sont attendus en 2025 et 2026.
Deux autres sont opérés pour le compte du groupe polonais PGNIG/PKN Orlen, les Lech Kaczynski (livré en décembre 2022) et Grazyna Gesicka (le 1er mai), tous deux affrétés pour une période de dix ans. Deux autres sont attendus d’ici début 2024 (sur les six que la filiale française du Norvégien opérera pour le groupe polonais).
Ces deux navires incarnent à eux seuls les bouversements en cours. Pour réduire sa dépendance au gaz russe, l’État polonais, qui détient 31 % d’Orlen et 70 % de PGNiG, a poussé à la fusion des deux leaders énergétiques nationaux dans le pétrole et le gaz. La société, fusionnée en novembre dernier, entend jouer la catégorie des poids moyens du secteur, celle de l’Italien Enel par exemple.
La première des deux unités opérées pour le compte de Engie a, elle, été baptisée fin avril Gordon Waters Knutsen et sera livrée en juin. Toute la flotte, sous pavillon français, est fixée avec des chartes de sept à dix ans.
Vingt-trois méthaniers en construction pour la maison-mère
La maison-mère a récemment obtenu le financement de son programme de construction de 23 méthaniers d’ici 2026, qui s'élève à près de 5,7 Md$, financés à 20 % sur fonds propres et le reste en emprunts notamment auprès de banques françaises et ses partenaires-investisseurs (OMP Capital, Hav Energy, Klaveness Marine et CapeOmega sont impliqués dans la propriété des méthaniers), selon le média norvégien Finansavisen. Il s'agit du plus grand programme de construction jamais réalisé dans le secteur maritime norvégien, vante le groupe
Hoëgh LNG profite de la montée en puissance de la capacité d'importation de l'Europe
De son côté, Hoëgh LNG, qui vient de publier ses résultats trimestriels, a en cours des projets d’implantation d’unités flottantes de stockage et de regazéification (FSRU, ou terminal méthanier flottant) en Allemagne (Hoëgh Esperanza et Hoëgh Gannet à Wilhelmshaven et Brunsbuettel, respectivement), en France (Hoëgh Esperanza) et au Brésil (Hoëgh Giant).
L'opérateur vient de publier un chiffre d’affaires de 137,4 M$ et un Ebitda de 91,9 M$ pour le premier trimestre 2023, contre 106,1 M$ et 51,9 M$ pour le trimestre précédent.
Selon l’opérateur de GNL, dont la flotte comprend dix FSRU et trois méthaniers, l'augmentation de l'Ebitda de 40 M$ est lié à l’engagement de la totalité de sa flotte dans des contrats à long terme aux conditions confortables et à l’affrètement des Hoëgh Giant, Hoëgh Esperanza et Hoëgh Gannet à des taux « très élevés ».
Hoëgh LNG a enregistré un bénéfice après impôts de 34,1 M$, en hausse de 38 M$ contre une perte nette après impôts de 4 M$ au trimestre précédent.
Quant à son dernier méthanier entré en service, le Hoëgh Gandria récemment acquis (ex-Golar Seal), il a commencé à être utilisé dans le cadre d'un contrat d'affrètement à temps d'une durée d'un an. Mais la direction n’exclue pas de le convertir prochainement en FSRU, ses équipes commerciales étant en négociations actives à cet effet, indique-t-elle.
Hoegh et Australian Industrial Energy (AIE) doivent par ailleurs finaliser un contrat d'affrètement à long terme d'un FSRU pour le terminal d'importation de Port Kembla en Nouvelle-Galles du Sud (Australie).
A quoi faut-il s’attendre d’ici la fin de l’année ?
Selon l’AIE, l'offre mondiale de GNL ne devrait augmenter que de 4 % (soit plus de 20 milliards de m3) en 2023, insuffisant pour compenser le déficit de livraison de gaz russe.
Entre-temps, les importations chinoises de GNL, qui ont diminué de 20 % en 2022, se sont redressées en mars, soutenues par une hausse de la demande intérieure.
Quant à l’offre de capacités, à la fin de 2022, la flotte mondiale de méthaniers comptait 677 unités. Seuls 28 nouveaux navires ont été mis en service l'an dernier, la plus faible croissance observée depuis 2013.
La Chine se retrouve à nouveau maître du jeu et la géographie dicte ses lois. « La grande question est de savoir quelle sera l'ampleur de la demande d'importation en provenance d'Asie et quelle sera l'intensité de la concurrence entre l’Europe et les États-Unis », a résumé le PDG de l'armateur Flex LNG à l’occasion de la présentation de ses résultats trimestriels.
L’Europe a en effet profité jusqu’à présent de la faiblesse de la demande asiatique. Mais il va de soi que les opérateurs de méthaniers auraient plus de raisons comptables de louer leurs navires au départ du continent américain vers l’Asie que vers l’Europe. Plus les destinations sont longues à parcourir plus la demande de transport de GNL est élevée.
Adeline Descamps
Le GNL américain au centre du jeu mondial
En 2022, les expéditions mondiales de GNL ont augmenté de 5 % par rapport à 2021 pour atteindre 404,3 Mt, d'après les données de suivi des navires de Refinitiv, dont près de 101 Mt importées par l’Europe, contre 59,7 Mt en 2021. L'UE27 représente désormais 24,9 % des importations mondiales de GNL par voie maritime. La Chine n'a importé que 64,4 Mt de GNL en 2022 (- 18,5 %), de même pour l'Inde, passée de 23,4 à 19,1 Mt.
Au cours des 4 premiers mois de 2023, les chargements mondiaux de GNL ont augmenté de 3,8 %, à 140,3 Mt.
Les États-Unis, premier exportateur mondial
En 2022, les États-Unis étaient le troisième exportateur de GNL avec 79,4 Mt après l'Australie et le Qatar, soit une part de 19,7 % des volumes mondiaux.
Entre janvier et avril, les opérateurs du continent nord-américain avaient déjà exporté 28,8 Mt, plaçant le pays au premier rang en termes d'exportations devant l'Australie (27,5 Mt) et le Qatar (27 Mt).
Par destinations, sans surprise, le GNL américain a emprunté les routes sont transatlantiques pour remplir les cuves de l'UE et du Royaume-Uni. La zone euro est désormais la destination de 52,4 % des volumes des États-Unis.
Les ports de chargement américains en ont largement profité l’an dernier, notamment Sabine Pass Louisiane (30,1 Mt), Corpus Christi Texas (15,4 Mt), Hackberry Louisiane (13,4 Mt), Freeport Texas (6,6 Mt), Cameron Louisiane (6,5 Mt), Cove Point Maryland (5,1 Mt).
A.D.
Le Qatar, temporairement en perte de vitesse
Si le Qatar a marqué le pas l’an dernier par rapport aux États-Unis, la petite monarchie du Golfe reste le grand ordonnateur du marché, investi dans le méga projet North Field, identifié comme le plus grand gisement de gaz naturel au monde que le Qatar partage avec l'Iran.
Le projet est au centre de la stratégie d'accroissement (+ 60 %) de production de GNL du pays. QatarGas, la filiale gazière de QatarEnergy, dispose actuellement une capacité de production de GNL de 77 Mt par an, principalement grâce au complexe géant de Ras Laffan.
Ensemble, les deux complexes North Field East et North Field South apporteront 48 Mt par an de plus à la capacité d'exportation du Qatar pour la porter à 126 Mt par an d'ici 2027.
En fin d’année dernière, QatarEnergy a signé avec la compagnie pétrolière chinoise Sinopec un contrat d'approvisionnement d’une durée de 27 ans. Le « plus long de l’histoire du GNL », a indiqué le groupe qatari.
Il a annoncé à cette occasion la commande de 60 méthaniers dans le cadre de son programme XXL de construction d’une centaine d’unités qui doivent servir sa stratégie expansionniste. Les trois constructeurs navals sud-coréens DSME, Hyundai Heavy, Samsung Heavy, ainsi que le chinois Hudong-Zhonghua (36 unités), se partagent pour l’heure les contrats.
A.D.