La famille d’armateurs anversois a mis un point final à son acquisition de l’ex-Euronav en mettant la main sur les dernières actions maritimes mises sur le marché. Les Saverys contrôlent désormais 92 % de CMB.Tech, le nouveau nom d’Euronav après que la Compagnie Maritime Belge (CMB), détenue par les Saverys, en soit devenue l'actionnaire majoritaire. C’est la fin d’un très long parcours au cours duquel la famille a repris la main sur Euronav pour contrer les manœuvres de Frontline et de son actionnaire redouté John Fredriksen, qui aurait voulu fusionner les deux leaders du secteur.
Alexander Saverys, président de la Compagnie maritime belge (CMB), société à l’origine de la création d’Euronav, aura usé de toute son influence méthodique et intelligence tactique pour faire capoter cette finalité à laquelle il n’a jamais adhéré mais qui avait été scellée par accord ferme. Aux termes d’une bataille d’actionnaires longue de 18 mois, les deux adversaires ont fini par trouver un compromis, schématiquement un échange entre des titres maritimes (la participation de Frontline dans le capital d’Euronav) et des navires (Frontline a mis la main sur 24 VLCC de sa rivale belge pour 2,35 Md$). Les marchés financiers belges ont alors exigé une nouvelle offre pour les actions restantes et ont ordonné à la CMB de payer davantage aux investisseurs (une facture de 36 M€) qui avaient offert leurs actions en mars. C'est cette dernière étape qui est désormais soldée.
« Le fait que très peu d'actionnaires aient offert leurs actions est un vote de confiance pour la stratégie de CMB.Tech. Nous voulons rester cotés en bourse et nous continuerons à développer notre groupe maritime diversifié et tourné vers l'avenir », a indiqué Alexander Saverys.
Du pure-player à un groupe maritime diversifié
Les Saverys défendent aujourd’hui une stratégie visant à réduire progressivement la part des revenus issus du transport de pétrole brut pour faire de la place à des actifs maritimes à faibles émissions de carbone. L’armateur de pétroliers se dilue ainsi au sein d’un groupe qui couvre désormais tous les segments du transport maritime avec une flotte de 160 navires. Outre les VLCC et suezmax avec Euronav, la flotte comprend les vraquiers avec Bocimar, les porte-conteneurs via Delphis, les chimiquiers (Bochem) et les navires de support à l’éolien (Windcat).
Au cours du troisième trimestre, le groupe a présenté un résultat net de 98,1 M$, portant ses profits à 777,7 sur l’ensemble de l’année mais très en deçà de son troisième trimestre 2023 (114,6 M$). Durant cette période, le groupe n’a conclu qu’un seul contrat d'affrètement à long terme (7 ans) pour l'un de ses nouveaux chimiquiers (26 000 tpl), qui doit lui être livré en octobre 2025 par le chantier naval à Ultratank. Parallèlement, elle a réceptionné hui nouveaux navires. A fin octobre, 57 % de sa flotte de pétroliers sur le marché spot était fixée, pour le quatrième trimestre, à 36 722 $/j pour les VLCC et 56 % de ses suezmax à 38 220 $.
Un marché sous influences
Le marché du fret maritime de brut – 76 % du pétrole mondial se transporte par la mer –, va démarrer l’année 2025 sous l’influence de nombreux facteurs, outre les tendances saisonnières typiques de la demande. À savoir, le changement potentiel de la stratégie de l'Opep (baisse des prix pour stimuler la demande), l'escalade des tensions géopolitiques au Moyen-Orient, la chancelante économie chinoise (deuxième consommateur et le premier importateur de pétrole brut) et l’expansion de la flotte de navires opérant clandestinement pour transporter du brut sous embargo en dépit des sanctions croissantes.
De l’ensemble de ces facteurs, le ralentissement de la Chine est celui qui préoccupe le plus les armateurs de pétroliers notamment parce que la seconde puissance économique mondiale est en train de muter à vitesse rapide dans ses modes de consommation d'énergie. En dehors de la faiblesse de la consommation intérieure et ainsi, de celle de la demande d'énergie, l’orientation vers des alternatives énergétiques plus propres, avec l'adoption rapide de camions au GNL (42 % des ventes de poids lourds en Chine de janvier à août, selon les données de CV World) et de véhicules électriques (53 % des ventes en septembre, d'après CPCA), sont susceptibles de se solder par le déplacement de quelque 300 000 b/j de la demande de pétrole cette année. « En outre, l'expansion du réseau ferroviaire à grande vitesse de la Chine pèse sur les voyages aériens intérieurs, qui sont un facteur clé de la demande de carburéacteur, ce qui freine encore la consommation de pétrole », fait valoir la direction de CMB Tech.
L’Inde, facteur d’équilibre du marché mondial de l'énergie
Plus que jamais, l'Inde apparaît comme un relais de croissance. Selon l’armateur belge, mentionnant des données de la banque d’affaires Morgan Stanley, la croissance de sa demande de pétrole, de l’ordre de 200 000 b/j, dépasserait celle de la Chine cette année.
Facteur plus inquiétant, les exportations iraniennes de brut et de condensats, qui sont passées de 0,8-1 million de barils par jour (Mb/j) en 2021/2022 à 1,6 Mb/j, ont abouti majoritairement en Chine, dont 80 à 90 % transportés par des VLCC, principalement contrôlés et exploités sous la flotte fantôme. Soit un manque à gagner de 277 cargaisons par an qui auraient employés 32 à 37 VLCC selon Vortexa.
Adeline Descamps
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