Les trois plus grandes compagnies pétrolières européennes ont réussi à transformer les déficits du deuxième trimestre en petits profits. Et ce, avec un baril autour de 40 $. Pour autant, les trois supermajors sabrent encore dans les investissements…
Ce n’est pas un retour à l’état de santé d’avant-Covid mais cela s’apparente à un prompt rétablissement. Les compagnies pétrolières européennes BP, Shell et Total, qui ont défilé la semaine dernière pour présenter leurs résultats financiers auprès des investisseurs, se portent bien mieux. Il y a trois mois, elles annonçaient de concert diète et cure d’austérité, taillant dans les dépenses d’investissements et les effectifs.
Les bénéfices de ce troisième trimestre sont modestes mais les trois européennes s’épargnent un confinement trop prolongé en territoire négatif. Elles jonglent en tout cas mieux que ne le prévoyaient les analystes avec les déséquilibres actuels de l'offre et de la demande.
Elles ne sont pas sorties d’affaire, conscientes que la « demande qui a permis de revenir à des bénéfices pourrait désormais être menacé par la seconde vague de Covid-19 », mais elles reviennent de loin, de très loin, après les pertes de plusieurs milliards de dollars depuis le début de l’année alors qu’elles avaient réalisé l’année d’avant des milliards de bénéfices contractés. BP et Shell avaient d’ailleurs décidé, à l’issue du deuxième trimestre, de passer d’énormes dépréciations d’actifs, ce qui avait occasionné des méga pertes, de plus de 18 Md$ pour Shell et de 20 Md$ pour BP.
Les majors du pétrole préconisent la diète budgétaire
Fébrilité mais confiance
Tout en étant fébriles faute de pouvoir contrôler la trajectoire de la pandémie, elles entrevoient toutes les trois des signes de rebond de la demande de pétrole, en particulier en Chine, même si la consommation mondiale et les cours du brut restent faibles et bridés par l'évolution de la pandémie. Les prix du brut ont toutefois été mieux orientés entre juin et septembre. Les cours évoluent désormais autour de 40 $ (42,9 $ en moyenne au cours du trimestre pour le baril de Brent de la mer du Nord). C’est loin des 62 $ un an plus tôt. Mais il y a encore quelques mois, le baril américain West Texas Intermediate (WTI) s’abîmait sous zéro dollar pour la première fois de son histoire. Il fallait alors payer pour s’en débarrasser ! Le brent est resté, lui, durant le deuxième trimestre, sous la barre des 20 $, avant que l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et ses alliés de l'Opep+ se mettent enfin d’accord pour fermer les robinets afin de soutenir les cours.
Dix ans après Deepwater Horizon, BP expie toujours
BP, pertes réduites
BP a ouvert le ban en publiant le premier son rapport du troisième trimestre. Il a annoncé avoir réduit sa perte nette au troisième trimestre, à 450 M$ alors qu’il y a un an à la même période, elle s’établissait à 749 M$. Depuis le début de l'année, ses pertes s'élèvent tout de même à 21,7 Md$.
Le géant britannique des hydrocarbures s’est offert un léger bénéfice courant (courant hors variation des coûts de remplacement de stocks) – supérieur aux attentes par ailleurs – de 86 M$ (72,8 M€) à fin septembre, contre une perte record de 6,7 Md$ (5,67 Md€) au trimestre précédent. Les analystes tablaient quant à eux sur une perte de 120 M$ (101,6 M€) sur la période.
« Nous restons fermement concentrés sur la discipline en matière de coûts et de capital », a écrit Bernard Looney, directeur général de BP, dans l’avis boursier. Face à la crise, BP a mis en place un programme de réduction des coûts, qui doit se solder par une économie de 2,5 Md$ d'ici 2021 et la suppression de 10 000 emplois dans le monde, soit 15 % de ses effectifs, l’essentiel étant réalisé d'ici la fin de l'année.
Il avait au deuxième trimestre réduit son dividende pour la première fois depuis la marée noire de 2010 consécutive à l'explosion de la plateforme Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique.
Shell, hausse du dividende
Royal Dutch Shell a également renoué avec les bénéfices au troisième trimestre – 489 M$ –, après une perte abyssale au trimestre précédent. Toutefois, au troisième trimestre 2019, le bénéfice net était bien plus élevé, de 5,9 Md$. Le bénéfice ajusté du groupe en chute libre de 80 %, à 955 M$ mais a largement dépassé les attentes des analystes qui tablaient en moyenne sur 146 M$.
Pour s’adapter à la faiblesse des cours, l’anglo-néerlandais, qui avait déjà déclaré fin mars qu’il comptait réduire de 5 Md$ ses dépenses d’investissements, à 20 milliards, prévoit également la suppression de 7 000 à 9 000 postes d’ici 2022.
Le groupe a en outre mis à l’arrêt son énorme programme de rachats d’actions mais, ragaillardi par de meilleurs résultats, envoie un signal à ses actionnaires : la hausse de son dividende pour le troisième trimestre, après l’avoir précédemment réduit pour la première fois depuis les années 1940. Un geste autorisé « compte tenu des mesures lancées pour réduire la dette et renforcer les finances, assume Ben van Beurden, directeur général du groupe. Nos actions entreprises cette année ont permis de générer davantage de trésorerie. La solidité de notre performance nous rend plus confiants pour mener notre stratégie et faire croître à nouveau le dividende ».
Total, 202 M€ de résultat net
Total a clôturé la tournée de la semaine auprès des investisseurs en présentant un résultat net de 202 M$ pour les trois mois clos le 30 septembre. Il y a un an, la compagnie pétrolière française affichait certes un profit de 2,8 Md$ sur la période correspondante. Mais il y a trois mois, elle encaissait 8,42 Md$ de pertes. Et c'est la partie amont (exploration-production) qui a contribué à cette amélioration en apportant un résultat net 1,1 Md$.
Le résultat net ajusté -– qui exclut certains éléments comme les stocks de pétrole et des participations financières (indicateur très suivi par les opérateurs de marché) –, a reculé de 72 %, à 848 M$, contre 3,02 Md$ un an plus tôt. Le groupe a enfin enregistré pour 646 M$ d'éléments exceptionnels (charges, dépréciations...) qui ont pesé sur le résultat net. Ils sont essentiellement lié à la reconversion de la raffinerie de Grandpuits en France et à la cession de celle de Lindsey au Royaume-Uni. Le résultat opérationnel ajusté du groupe est ressorti à 1,46 Md$ contre 3,67 Md$ un an plus tôt.
L’environnement plus favorable, Total a vendu davantage, pour 33,1 Md$ au cours du troisième trimestre contre 25,7 Md$ le trimestre précédent. Mais « les prix du gaz bas et des marges de raffinage très dégradées du fait de surcapacités de production au regard de la demande et de stocks élevés », a indiqué le groupe. Il a aussi moins pompé au troisième trimestre : sa production d'hydrocarbures a atteint 2,72 millions de barils équivalent pétrole (Mb/j) par jour au troisième trimestre, en baisse de 11 % sur un an. Elle s’explique par le respect des quotas de production décidés par les pays de l’OPEP et de l’OPEP+.
Si le groupe pétrolier et gazier a décidé de maintenir la distribution d'un dividende au troisième trimestre (0,66 $ par action), il réduit encore ses dépenses d’investissements, désormais en dessous des 13 Md$ en 2020 contre 14 Md$ préalablement consignés. Sur ce total, 2 milliards resteront cependant alloués aux investissements dans les renouvelables et l'électricité, a-t-il été précisé. Total prévoit par ailleurs de dépasser, en 2020, son programme de réduction des coûts d'exploitation avec plus de 1 Md$ d'économies.
La dette nette de Total s'établissait à 36,9 Md$ fin septembre, contre 39,38 Md$ à la fin juin, et 31,32 milliards de dollars fin septembre 2019
Les majors pétrolières condamnées aux promesses vertes
Haro sur les énergies renouvelables
Après s’être saoulé au pétrole pendant des années, les majors sont désormais en cellule de dégrisement. Face à l'urgence climatique et à une pression de plus en plus grande de la société et d'investisseurs, elles affichent toutes pour objectif d'être un groupe énergétique et non plus seulement pétrolier. La période de restructuration leur offre une opportunité de se verdir en vue d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Première des supermajors à avoir présenté (dès février) un objectif de neutralité climatique pour 2050, BP prévoit de réduire sa production de pétrole et de gaz de 40 % en dix ans et d’investir massivement dans les énergies renouvelables en consentant un effort budgétaire de 5 Md$ par an. Le groupe vise également à disposer de 50 GW de capacité renouvelable d'ici 2030, soit 20 fois plus qu'en 2019. En septembre, elle est entrée dans l’éolien offshore par la grande porte, en rachetant à Equinor sa participation de 50 % dans les projets américains d’Empire Wind et de Beacon Wind pour 1,1 Md$.
BP ne pose pas pour autant un moratoire sur les nouveaux grands projets pétroliers. Au cours du troisième trimestre, le groupe a lancé deux grands projets amont, la phase 2 de Khazzan à Oman et la phase 3 d'Atlantis dans le Golfe du Mexique. En conséquence, son action est en baisse de plus de 50 % depuis le début de l'année, pénalisée certes par la faiblesse des prix de brut mais aussi par les craintes des investisseurs relatives à la transition du groupe vers les énergies renouvelables.
BP rachète les parts d'Equinor dans l’éolien offshore aux États-Unis
Total, 14 GW de capacités de production électrique
Très impliqué dans le gaz naturel dont il est devenu le deuxième acteur privé mondial en rachetant notamment des portefeuilles d’actifs, Total investit aussi dans les énergies renouvelables. Il a notamment acquis des projets solaires en Espagne d’une capacité 3,3 GW, tandis qu’il s'est également engagé dans l'éolien flottant en Corée du Sud et en France.
« La capacité brute installée de génération électrique renouvelable s'établit à 5,1 gigawatts (GW) à la fin du troisième trimestre en forte croissance de 85 % sur un an, notamment grâce à l'acquisition en Inde de 50 % d'un portefeuille de plus de 2 GW au groupe Adani », précise Total dans le communiqué. Pour la première fois, le français a aussi précisé qu'il détenait en portefeuille plus de 14 GW de capacités de production électrique, installées ou en projet, qui bénéficient déjà de contrat d'achat de long terme (PPA). Total prévoit de générer un milliard de dollars de revenus nets en 2025 grâce aux énergies renouvelables.
Shell, entreprise « zéro émission »
Shell s'est aussi engagé à « être un entreprise énergétique à émissions nettes zéro d'ici 2050 », à la fois en remodelant son portefeuille d'actifs (convertir 14 sites actuels en six parcs énergétiques et chimiques « à haute valeur ajoutée ») et en poursuivant le développement de production d’énergies, « telles que l’hydrogène et les biocarburants pour soutenir les efforts de nos clients dans l’atteinte de leurs objectifs climatiques » Il entend également renforcer sa position dans le GNL
L’anglo-néerlandais a donné rendez-vous le 11 février 2021. À cette date, il présentera les détails sur la forme que prendra le futur portefeuille de Shell et ses actions visant à atteindre son ambition climatique.
Adeline Descamps
Les majors américaines ont encore perdu beaucoup d'argent au troisième trimestre
ExxonMobil a enregistré une perte nette de 680 M$ entre juillet et septembre et Chevron de 207 M$. Les sociétés avaient respectivement gagné 3,2 et 2,6 Md$ sur la même période en 2019.
Le prix du baril de pétrole coté à New York a évolué aux alentours de 41 $ en moyenne entre juillet et septembre, contre 56 $ sur la même période en 2019, et les marges sur les produits raffinés ont beaucoup baissé. En conséquence, le chiffre d'affaires d'ExxonMobil a reculé de 29 %, à 43,7 Md$, et celui de Chevron de 32 % à 24,5 Md$.
Pour continuer à verser des dividendes aux actionnaires, les deux sociétés ont sabré leurs dépenses, opérationnelles et d'investissement. ExxonMobil (74 900 emplois) a ainsi annoncé une baisse de ses effectifs de 15 % entre fin 2019 et fin 2022. « Environ 1 900 employés seront touchés par des plans de départs volontaires et involontaire », a fait valoir l’entreprise de Houston. Chez Chevron, les dépenses d'investissement et d'exploitation ont baissé respectivement de 48 % et 12 % par rapport au troisième trimestre 2019, a signifié le PDG Michael Wirth.
Les majors américaines restent néanmoins attachées au pétrole, écartant toute hypothèse de pic de la demande en pétrole. Elles ont même tendance à penser qu’à moyen terme, l'offre va s'ajuster à la demande et les prix vont remonter et à plus long terme, « les économies vont se rétablir et la demande en énergie va augmenter ». Ainsi Chevron n'a-t-il pas hésité cet été à débourser 5 Md$ pour racheter Noble et ses champs de pétrole au Texas et au Moyen-Orient.
Comme un symbole pourtant d’une nouvelle ère, ExxonMobil a été éjecté de l’indice Dow Jones, dont il était membre depuis 1928. Il a été supplanté par une société aux revenus bien moins élevés mais pariant sur le solaire et l'éolien, NextEra Energy.