Avec son très ambitieux projet Eole, le port de Nantes-Saint-Nazaire se projette sur la nouvelle donne dans l'éolien

Crédit photo ©GPMNSN
Une forme de gigantisme a gagné les turbines d’éoliennes et opère très rapidement, ce qui met à l'épreuve la logistique. Cette accélération, qui concerne également les cadences de production, oblige les ports à adapter leurs infrastructures. Tête de pont portuaire dans l’Hexagone, Nantes se prépare manifestement à cette nouvelle échéance.

Les trafics témoignent des temps difficiles pour les filières clés du port de Nantes Saint-Nazaire, GNL et céréales en tête, mais le port continue de dérouler la trame de son récit sur l’évolution de son modèle économique. Et il ne manque pas d'arguments. En matière de déploiement de l'éolien en mer, la France est très en retard (4,1 GW attribués, 3,5 GW en cours d’attribution, 2,5 GW d’extensions identifiées, 34,6 GW à identifier en débat public) sur ses voisins d’Europe du Nord ( 171 MW installés en Europe, soit 91 % du total mondial).

Mais le Grand Port maritime de Nantes-Saint-Nazaire fait figure de tête de pont portuaire dans l’Hexagone et se prépare de longue date à cette échéance. Capitalisant sur une industrie déjà implantées autour de l’estuaire de la Loire (autour de l’usine de turbines Alstom inaugurée en 2013, exploitée aujourd’hui par General Electric), il s’est rapidement positionné en tant que plateforme logistique (site de pré-assemblage) pour le stockage des composants des encombrants objets. Il a aménagé à cet effet un terre-plein de 12 ha près de la forme Joubert, jouxtant un quai renforcé pour recevoir des colis lourds à raison de 15 t/m2.

La présence sur son foncier du premier parc éolien lui a donné une longueur d’avance sur ses pairs. Le coup d'envoi des premières opérations de manutention liées à la construction du parc éolien en mer des îles d'Yeu et de Noirmoutier a été donné fin octobre. La seconde flottille au large de Saint-Nazaire et la quatrième pour la France doit être mise en service en fin d’année (cf.plus bas).

Changement d'échelle

Il s’agit désormais de passer à l’échelle supérieure, pour les futurs champs d’éoliennes flottantes, dont les besoins en espaces sont autrement plus conséquents d’autant que l’assemblage se fait à terre. En France, les premières éoliennes installées en mer l’ont été à proximité des côtes, par faible profondeur, posées sur des pieux ou des fondations gravitaires. Les champs éoliens offshore à venir seront positionnées au large et le recours à des flotteurs deviendra la règle.

Cette accélération oblige les ports à adapter leurs infrastructures. C’est dans ce but qu’un appel à projets spécifique, doté de 190 M€, a été publié par l’Ademe en vue de l’aménagement de terrains pour l’assemblage des flotteurs, la création d’espaces pour leur stockage ou encore l’adaptation de quais pour le montage des éoliennes sur les flotteurs. Les lauréats devraient être connus d’ici la fin du premier semestre. Le port de Nantes a déposé son dossier le 31 janvier dans ce cadre.

Contrairement aux éoliennes posées, dont l’installation en mer nécessite le recours à des jack-up (aussi rares que coûteux), les machines flottantes peuvent être manutentionnées par des grues terrestres qui les déposeront sur leur flotteur, positionné bord à quai. L’éolienne pourra ensuite être remorquée vers le site offshore. L’éolien flottant a recours à des OSV spécialisés dans la pose d’ancres (déjà utilisés dans l’exploitation pétrolière). Pour le remorquage des flotteurs, à raison de trois par éoliennes, il s’agit là aussi d’unités tout à fait classiques, sans nécessité de développements spécifiques. En revanche, une interruption hivernale exigera un stockage à flot des flotteurs.

Vers le gigantisme

Mais surtout, le marché évolue vers des tailles et de puissances démesurées pour des effets d’échelle, des raisons techniques (optimisation du raccordement) et technologique (meilleure fiabilité), de financement et de modèle économique. Ainsi, alors qu’une éolienne en mer posée en 2010 atteignait la puissance de 7,5 MW pour 128 m de diamètre et 138 m de hauteur, le fabricant danois Vestas a d’ores et déjà commercialisé une éolienne de 15 MW, de 236 m de diamètre et de 270 m de hauteur.

Avec des éoliennes dont les pales s’élèvent à plus de 260 m au-dessus de la surface de l’eau, sur des flotteurs d'environ 100 m en emprises horizontales, les cadences de production vont être soutenues et consommer du foncier portuaire.

C’est l'argumentation qui sous-tend le projet Eole porté par l’autorité portuaire de Nantes Saint-Nazaire. Le document relatif aux intentions a été publié le 20 décembre 2024 sur le site web de la commission nationale du débat public. Dans quelques jours, le 23 février va démarrer la phase de concertation en parallèle de la poursuite d’études jusqu’au démarrage de l’enquête publique pour déboucher sur un projet stabilisé en 2026. Un coût évalué dans sa fourchette basse à 235 M€ sans les équipements.

Une pierre, deux coups

Il s’agira d’étendre de 5 ha la base logistique actuelle dédiée à l’éolien, aménagée sur une ancienne friche portuaire entre la forme Joubert et les Chantiers de l’Atlantique, par un pôle spécialement conçu pour l’assemblage d’éoliennes géantes. Le futur quai, qui mesurera 780 m de long, pourra supporter des colis très lourds, avec une capacité de 15 à 30 t/m2. La partie la plus renforcée accueillera une énorme grue capable de lever des charges de 1 100 à 1 400 t. Le nouveau quai, « ouvert sur l’océan », sera doté d’une « ring crane », grue dite annulaire, encore rare, un monstre offrant une capacité de levage (jusqu’à 5 à 6 000 t) et une portée sans précédent (soulever des composants jusqu'à 3 000 t à une hauteur de 220 m) tandis que la flèche peut atteindre les 300 m.

Une pierre, deux coups. Le quai principal devrait aussi être exploité par les Chantiers de l’Atlantique pour exporter les sous-stations électriques de champs éoliens qu’il produit pour des champs éoliens en mer, – des engins de 4 000 t, 40 m de long, 30 de large et 15 de haut –, également rattrapées par des effets de taille et de masse. Le constructeur se projette sur les prochaines générations à courant continu haute tension, qui présenteront une longueur de quelque 90 m, par une largeur de 42 et une hauteur de près de 40 m pour plus de 13 000 t. Ce ne sont pas des vues de l’esprit. RTE doit être livré des premières d’ici 2030.

Première enveloppe dédiée aux études

À ce stade, le Conseil de surveillance a validé en septembre une première enveloppe de 12,5 M$ pour lancer les études de conception. Les demandes d’autorisation relatives à la nouvelle infrastructure seront déposées auprès de l’administration en fin d’année. Entre temps, la direction portuaire devra ficeler son montage financier, que le port ne pourra pas, de toute évidence, assumer seul et pas davantage avec les seuls apports éventuels de l'ADEME. En fonction, les travaux pourraient être lancés début 2027 en vue d’une livraison fin 2030 et d'une mise en service en 2031.

Les grands projets d'infrastructure se multiplient dans les grands ports français. Marseille porte aussi un très ambitieux dessein avec Deos aux sommes à lever encore plus élevées. Il est question là de structurer d’ici 2028 une filière autour des éléments industriels (flotteurs mâts, nacelles, pales…) et prestations logistiques nécessaires au déploiement des champs d’éoliennes flottantes en Méditerranée. Une base arrière en somme, où les flotteurs, en béton ou en acier, seraient fabriqués et stockés et où les turbines seraient assemblées, testées et préparées pour leur mise en service.

Adeline Descamps

Éolien : où en sont les appels d'offres ?

En France, les éoliennes ont pour l’instant été posées sur des fonds peu profonds. Depuis la mise en service fin 2022 du premier parc de 480 MW à Saint-Nazaire, ceux de Fécamp et Saint-Brieuc, de 496 MW chacun, ont été implantés en mai 2024. Les champs de Courseulles-sur-Mer, Yeu-Noirmoutier et Dieppe-Le Tréport, d’une capacité de 450 à 500 MW, sont attendues entre 2025 et 2026, ceux de Dunkerque (600 MW) et de la Manche (1,2 GW) pour 2028. Puis à échéance plus lointaine (2032), les « flottilles » de turbines au large d’Oléron (1,2 GW) et de la Manche (1,5 GW). Ce sont ensuite majoritairement des machines flottantes qui prendront le relais, pour parvenir à l’objectif fixé de 18 GW au large de côtes françaises en 2035 et 45 GW en 2050.

La planification de l’éolien en mer a fait l’objet d’un débat public sur les 4 façades maritimes hexagonales du 20 novembre 2023 au 26 avril 2024. Il en est ressorti que 15,5 GW de nouvelles capacités seront à attribuer dans les 10 ans en plus des extensions déjà prévues (500 MW en Bretagne, une extension de 500 MW pour chacun des deux parcs en Méditerranée et de 1 GW en Sud–Atlantique) et au moins 19 GW supplémentaires seront à attribuer dans un second temps d’ici 2050. Ces orientations ont vocation à être transcrites dans le cadre de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2025–2035 et de la future Stratégie nationale bas–carbone (SNBC 3).

Une contribution encore marginale pour l'éolien flottant

À ce stade, l’appel d’offres n°6 (AO6) de 0,5 GW a été attribué en décembre 2024 pour une mise en service en 2027. Les AO7 et AO8 (2,7 GW) doivent être octroyés en mars 2025 pour entrer en exploitation en 2032. L’AO9 (2,5 GW), dont le cahier des charges doit être publié en avril 2025, sera arbitré en octobre 2026 pour une exploitation entre 2032 et 2034. Il concerne l'extension des parcs de Bretagne Sud, Méditerranée et Oléron. Le cahier des charges de l’AO10 (10 GW) devrait être connu début 2026 et attribué en fin de cette année-là, avec 2035 pour horizon. Les derniers en date arbitrés ont concerné les deux parcs de 250 MW chacun en Méditerranée. Cette attribution porte à près de 5,3 GW la puissance cumulée des projets en service, en construction ou en cours de développement sur les côtes françaises.

En 2022, la capacité totale d’éoliennes flottantes mise en service au niveau mondial était estimée à 66,4 MW, répartie entre deux projets, en Norvège (Hywind Tampen, 60,2 MW) et en Chine (une éolienne flottante de 6,2 MW installée sur un prototype de flotteur). Le Conseil mondial de l’énergie éolienne (Global Wind Energy Council – GWEC*) prévoit que le marché de l'éolien en mer flottant atteindra plus de 16 GW d'ici 2030 puis 264 GW d’ici 2050. D'ici la fin de la décennie, la Corée du Sud, le Royaume–Uni, les États–Unis, l'Espagne et l'Irlande devraient être les cinq marchés principaux de l’éolien flottant au niveau mondial. La contribution actuelle de l'éolien flottant au total des installations éoliennes en mer n'est que de 0,2 %.

A.D.

 

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