Haropa Port tire désormais 60 % de ses revenus de la valorisation de son foncier

Port du Havre

Une stratégie foncière innovante, assure la direction d'Haropa Port, qui exploite avec aplomb les dispositifs publics accélérant les implantations industrielles. Si les projets évitent aux entreprises le risque d'être retardées au stade des procédures préalables, l'établissement portuaire n'est pas à l'abri des défections, y compris par des mastodontes. En témoignent Engie et le groupe chimique américain Eastman.      

C’était début novembre. Trois ministres – Industrie, Transports et Partenariat avec les territoires et Décentralisation –, s’étaient déportés sur les quais du port du Havre où les attendaient le premier locataire de la ville, Édouard Philippe pour se féliciter de l'affectation de 60 ha à trois nouvelles implantations industrielles dont les investissements estimés totalisent entre 2,5 et 2,7 Md€. La luxembourgeoise Livista Energy, l’Américaine Air Products et la française Q-Air ont été sélectionnées par l’appel à projets lancé par l'autorité portuaire d'Haropa Port dans le cadre de la stratégie nationale visant à réindustrialiser le pays avec des technologies vertes. Sous réserve d'aléas, loin d'être exclus au regard d'événements récents, elles s'implanteront entre 2026 et 2029 sur une parcelle de la zone industrialo-portuaire, à l’ouest du barreau autoroutier de l’A29, à proximité immédiate du Grand Canal du Havre. Le site est l'un des cinq labellisés « France 2030 » sur le domaine foncier de l'établissement portuaire qui s'étend de Paris à Rouen en passant par Le Havre.

Les investissements portent sur la production d'hydrogène pour le marché maritime (Air Products), le raffinage de lithium à partir de matériaux primaires et recyclés (Livista Energy) et la production de e-carburants à partir de CO2 biogénique et hydrogène vert pour les secteurs de la mobilité lourde (Qair). [Détails ici : Lithium, hydrogène et e-carburants : zoom sur les trois projets annoncés sur le port du Havre]. Ils sont susceptibles de générer 1 Mt de trafic maritime par an et 500 000 t en fluvial

Ces nouvelles arrivées complètent celles annoncées en juillet 2023 dans le cadre de l’appel à projets « Grand Canal du Havre » qui a retenu les projets Salamandre et KerEAUzen d'Engie. Le premier prévoyait une unité de production et de commercialisation de biométhane obtenu par pyrogazéification et méthanation avec de la biomasse issue de résidus de bois et de déchets solides de récupération (notamment pour CMA CGM). Le second vise la production de kérosène de synthèse à partir de CO2 récupéré en partie dans l’usine Salamandre et d’hydrogène bas carbone issu d'un électrolyseur implanté localement d'une capacité de 250 MW. Ainsi, à partir de 2028, Engie pourrait ainsi fournir 70 000 t de e-kérosène par an au transporteur aérien Air France-KLM.

Fragilité des projets

Témoignant de la grande précarité de ces projets, y compris quand ils sont portés par des mastodontes, Engie a renoncé à Salamandre, faute de réunir toutes les conditions économiques. Mais sans remettre en cause le kérosène de synthèse « qui constituait la plus grande partie de la parcelle », modère la direction.

Le groupe chimique américain Eastman, qui avait annoncé au printemps 2023 un investissement de près d’1 Md€ (incluant des financements publics de l’ADEME et de la Région Normandie) dans une usine de recyclage chimique de plastiques PET (polyéthylène téréphtalate) à Port-Jérôme, a lui gelé sa décision en attendant d'y voir plus clair dans la législation sur les transferts de déchets. Un feu vert européen aux importations de matières recyclées dans la production de plastiques remettrait en cause son modèle économique.

« Ce sont des technologies nouvelles pas complètement maîtrisées sur la partie économique comme technique, commente Christophe Berthelin, président du directoire d'Haropa Port par intérim (en raison du départ de Stéphane Raison). Le rôle d’un port est précisément de favoriser la synergie industrielle qui permettrait d’améliorer leur équation économique ».

En dépit des nombreux dispositifs accueillants

Projet d'intérêt national majeur, projet d'envergure nationale ou européenne, site clé en main France 2030... la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte prévoit plusieurs dispositifs pour assurer la disponibilité du foncier et accélérer les implantations.

Eastman, comme les autres, font partie de ces « projets d’intérêt national majeur » (acronyme PINM), qualification inscrite dans le code de l’urbanisme et octroyée aux investissements considérés comme favorables au développement durable. Ce statut permet à ces PINM risquant d’être retardés au stade de certaines procédures préalables à l’implantation (autorisation d’urbanisme, raccordement du projet au réseau électrique, obtention de la dérogation espèces protégées) de bénéficier de mesures d’accélération (compliquant aussi les recours).

Cinq terrains particulièrement acceuillants

Haropa Port a été le premier des grands ports maritimes parmi les 55 sites labellisés pour une réindustrialisation verte avec cinq terrains classés « sites France 2030 » éligibles à des financements accordés par l’État et les collectivités locales. Quatre sont localisés dans la zone industrialo-portuaire du Havre et un dans celle de Rouen (Grand-Couronne/Moulineaux).

Ils sont en outre compatibles avec le quota national du ZAN (loi Zéro artificialisation nette), censé assurer la préservation des sols sans entraver le développement des grands projets industriels dits « d'intérêt majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique ». Lire et comprendre : liés à la réindustrialisation et à la décarbonation.

Selon le rapport sur la mobilisation foncière remis en amont par le préfet Rollon Mouchel-Blaisot au gouvernement, 22 000 ha seraient nécessaires pour « soutenir une trajectoire de réindustrialisation ambitieuse ». Sur cette surface, 8 500 ha ont été identifiés pour des nouvelles zones industrielles et 1 500 ha mobilisables par la reconquête des friches portuaires. Un quota de 12 500 ha a été alloué sur la période 2021-2031.

Près de 500 hectares éligibles au ZAN

Au titre du ZAN, Haropa Port a inscrit la possibilité d’aménager 456 ha en Normandie et 30 en Ile-de-France en vue d’accueillir ces nouvelles activités qui participent à la souveraineté de la France. « En réutilisant aussi les terrains déjà artificialisés dans une logique de reconstruction du port sur le port, on pourrait commercialiser entre 700 et 800 ha de terrains à l’horizon 2030 », précise Christophe Berthelin.

L’affectation des terrains programmés par l’appel à projets en cours, qui porte lui sur les 25 ha à l'est de l’A29, devrait être connue au premier trimestre 2025. Il restera ensuite deux autres terrains au sud du grand canal du Havre totalisant près de 100 ha à attribuer entre 2025-2026 si la demande s’en faisait ressentir.

L'affaire semble lucrative. La société portuaire a soldé l’année 2024 avec un chiffre d’affaires en hausse de 3,6 %, à 437 M€, dont 60 % tirés de ses revenus fonciers tandis que les droits de port ne pèsent plus que 35 %.

À Rouen, premier port céréalier ouest-européen, un appel à projets a été lancé pour l’implantation d’une nouvelle activité en bord à quai proche de Rouen-Quevilly Extension. La direction devrait être particulièrement attentive aux soumissions ayant recours au transport par voie d’eau. Réserve foncière, Haropa n'en reste pas moins un port de flux…

Adeline Descamps

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