PLF 2025 : la taxe au tonnage visée par plusieurs amendements

Crédit photo ©CMA CGM
Près de 1 900 amendements ont été déposés dans le cadre de l'examen en commission des finances de l'Assemblée du projet de loi de finances 2025. Une quinzaine d'entre eux concernent le fameux article 12 relatif à la contribution exceptionnelle sur le résultat d’exploitation de CMA CGM et au régime dérogatoire fiscal dont bénéficie le secteur. Les armateurs vont donc devoir repartir au front.

Près de 1 900 (1 854) amendements ont été déposés avant l'heure limite (dimanche 13 octobre à minuit) dans le cadre de l'examen en commission des finances de l'Assemblée de la première partie du projet de loi de finances 2025 présenté le 10 octobre. C’est bien moins que les 3 000 déposés l'an dernier pour la même partie « recettes » du PLF 2024. Les groupes du Nouveau Front populaire (NPF) à gauche et du « socle commun » à droite y ont largement contribué à hauteur de 43 % (avec 797 amendements pour le premier) et 41,3 % (avec 767 soumissions pour le second dont près de la moitié du fait de la Droite républicaine).

Il reste les amendements du gouvernement, qui entend abattre ses cartes lors de l'examen en séance publique (le 5 novembre) pour la partie dépenses. Mais l’appel à la modération des cadres de la commission des Finances – pour que les débats puissent aller jusqu'au vote –, a été entendu. Compte tenu du temps contraint, le gouvernement peut transmettre la première partie du PLF au Sénat sans aller jusqu'au vote si les échanges s’éternisent.

Un article 12 qui n'est pas passé inaperçu

Pour le seul article 12 lié à l’instauration d’une « contribution exceptionnelle sur le résultat d’exploitation des grandes entreprises du transport maritime » dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard d’euros, les 12 alinéas ont suscité une quinzaine de modifications au texte initial. Le groupe Écologiste et Social (EcoS) a tenu le crayon pour une grande partie d'entre elles, aux côtés de la France Insoumise et du groupe Socialiste et apparentés.

Pour rappel, le gouvernement prévoit d'instaurer une « taxe exceptionnelle » qui doit rapporter 500 M€ l'an prochain et 300 M€ en 2026. Dans son intention, Bercy dit avoir « tenu compte des modalités spécifiques d'imposition de ce secteur ». Il fait référence au régime fiscal spécifique dont le secteur bénéficie depuis 2003 en France (taxe au tonnage) mais qui est aussi en vigueur au niveau européen (dans 22 pays de l’UE) et sur un plan mondial (86 % de la flotte mondiale y seraient asujettis selon les données d'Armateurs de France).

Par « tenir compte », il faut comprendre que l’imposition du résultat d'une compagnie maritime en fonction du tonnage de la flotte et non des bénéfices réels réduit l’effet de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises prévue par ailleurs par le projet de loi de finances pour 2025.

Bercy a donc été contraint de prévoir ce dispositif « personnalisé » mais qui ne s’appliquera finalement qu’à CMA CGM puisque l'armateur français est le seul à réaliser un chiffre d’affaires de plus d’1 Md€. Le troisième armateur mondial de porte-conteneurs réalise environ 10 fois ce montant sur un seul trimestre et bien que la bulle de ses bénéfices d’exploitation gonflés par la pandémie ait éclaté, le groupe marseillais a encore présenté un Ebitda (résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement) de 2,47 Md$ pour le seul deuxième trimestre. Son résultat net a toutefois été divisé par deux, passant de 1,3 Md$ à 661 M$ entre le deuxième trimestre de 2023 et 2024, réflétant une certaine normalisation des taux de fret.

En plus de cet impôt qui vise les activités de transport maritime, CMA CGM sera aussi redevable de l'IS classique sur les grandes entreprises qui devrait aussi être majoré tandis que la famille Saadé devra s'acquitter de ses obligations au titre des foyers français les plus fortunés (plus de 500 000 € de revenu fiscal de référence par an pour un couple). Pour rappel, le groupe français de transport et logistique est détenu à 73 % par la famille Saadé (via la holding familiale Merit), à 24 % par le conglomérat turc Yildirim Holding et à 3 % par Bpifrance.

Régime de faveur persistant

Telle qu’elle est prévue, la taxe sera « assise sur la part du résultat d'exploitation correspondant aux activités de fret » pendant deux exercices consécutifs, à un taux de 9 % pour l’exercice 2025 et 5,5 % pour celui de 2026. Elle ne sera pas déductible du résultat imposable des entreprises redevables. Par ailleurs, ni les réductions et crédits d’impôt applicables à l’impôt sur les sociétés (IS), ni les autres créances fiscales (report en arrière des déficits) ne seront imputables sur la taxe exceptionnelle.

Le cumul des deux contributions exceptionnelles (en tant que grande entreprise et en qualité d'armateur) devrait revenir à taxer les bénéfices de CMA CGM à hauteur de 19 % en 2025 et 14,6 % en 2026 (hypothèse calculée sur la base des revenus de 2023). Cela reste encore loin, s'étranglent les députés écologistes qui se sont adonnés à une reformulation complète de l’article, de ce qui sera imposé aux autres grandes entreprises réalisant un chiffre d’affaires de plus de 3 Md€ également assujetties à une contribution exceptionnelle. Pour ces dernières, le taux de l’IS sera porté à 35,3 % en 2025 et à 30,15 % en 2026 tandis que toutes les entreprises françaises sont au régime des 25 %, ont-ils calculé.

« Le cumul du résultat net de CMA CGM encaissé durant les années 2021, 2022 et 2023 a atteint 42 Md€. Proportionnellement, cette entreprise n’a été taxée qu’à hauteur de 3 % de ses profits environ entre 2021 et 2023 du fait de l’avantage fiscal de la taxe au tonnage. Cet amendement propose de rétablir l’équilibre en relevant les taux de la taxe exceptionnelle du transport maritime à 31 % en 2025 et 27 % en 2026 pour obtenir des recettes de l’ordre de 900 M€ en 2025 et 800 M€ en 2026 », indiquent-ils.

Les écologistes ont aussi touché au texte initial pour corriger un biais qui permettrait, selon eux, à certaines filiales de grands groupes de transport maritime d’échapper à la contribution au prétexte qu’elle ne réalise pas individuellement un chiffre d’affaires suffisant ou de créer de nouvelles filiales ou encore de répartir différemment pour échapper à l’intention du législateur. Cette optimisation fiscale que les élus de gauche traquent inlassablement.

« Un avantage fiscal injustifié, inutile et coûteux ».

Le groupe parlementaire LFI-NPF est plus radical, militant pour l'abrogation du dispositif dérogatoire, « un avantage fiscal injustifié, inutile et coûteux », assènent-ils. Les députés insoumis entendent faire rentrer les compagnies maritimes dans le droit commun, balayant d'un revers de main les arguments qui fondent sa raison d’être. « Cette mesure, qui prétendait défendre les armateurs européens contre la concurrence estrangère et éviter l'exil fiscal de pavillons étrangers, est en échec », indiquent-ils. Selon leurs données, la part des navires battant pavillon dans les États membres de l’Union européenne a décroché par rapport à l’évolution de l’ensemble de la flotte mondiale : + 3,4 % contre + 7 % entre 2017 et 2022.

Travers connu du groupe, les arguments débordent rapidement du cadre actuel des débats pour se déporter sur la toute puissance financière du groupe de transport maritime et de logistique que ses « méga-profits » engrangés durant la pandémie lui ont conférée. « Ces bénéfices exceptionnels ont permis au groupe CMA CGM et à son patron Rodolphe Saadé de se constituer un véritable empire logistique transnational, s’étendant également aux médias [La Provence, La Tribune, RMC-BFM, NDLR].

« Rodolphe Saadé a vu sa fortune multipliée par cinq entre 2020 et 2021 passant de 6 à 36 Md€ », notent aussi de leur côté les parlementaires écologistes, confondant impôt sur les sociétés et fortune personnelle au risque de verser dans un populisme de mauvais aloi.

Taxation des super-profits

Les socialistes et apparentés se polarisent aussi sur les profits XXL qu'ils cherchent à taxer. Alors que le groupe a engrangé des bénéfices qui se comptent en dizaines de milliards d’euros depuis 2021, font-ils valoir, les réductions de tarifs de fret accordées par CMA CGM l’année dernière s’élèvent en tout à un effort d’à peine 300 M€. « Un montant dérisoire, alors que l’entreprise doit ses profits records à des tarifs extravagants, qui se répercutent dans le prix des produits en rayon... et à la niche fiscale de la taxe au tonnage, qui permet un taux effectif d’imposition d’environ 2 % malgré des profits de 16 Md€ ».

Le Guadeloupéen Elie Califer (PS) veut compléter l’article 12 par un alinéa qui prévoit un suivi, dans un délai de six mois à compter de la promulgation, pour s’assurer de la non-répercussion sur les prix pratiqués en Outre-mer, territoires déjà atteints par la problématique de la cherté de la vie. Avec au cœur des critiques notamment, l'octroi de mer, une taxe sur les biens importés spécifique aux cinq départements et régions d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et la Réunion) qui engendre des surcoûts « de l'ordre de 5 à 10 % » selon la cour des Comptes.

Suppression de l'article à droite

Le député RN de la 3e circonscription de la Somme, Mathias Renault, propose pour sa part de rehausser les taux applicables sur le résultat d'exploitation à 18 % en 2025 et 11 % pour 2026 de façon à apporter 1 Md€ dans les caisses de l’État au lieu des 500 M€.

Radical dans un autre sens, et bien qu’appartenant au parti du gouvernement, le député Juvin demande simplement la suppression de l’article, estimant qu’en 2023, le taux de prélèvements obligatoires en France s'élevait déjà à 1 218 Md€, soit 43,2 % du PIB. « Dans ce contexte, la priorité dans la construction du budget ne saurait être d'alourdir encore davantage le poids des impôts et des taxes, mais plutôt de réduire la dépense publique ».

Tout en confirmant la taxe au tonnage dans son statut de « mesure de soutien absolument nécessaire à nos armateurs », plusieurs députés d’Ensemble pour la République (ex-Renaissance, ex-République en marche), proposent d’ajuster les taux de la taxe au tonnage à l’inflation, qui n’ont en effet pas été révisés depuis 2003, date de l’entrée en vigueur du dispositif en France.

« La France était absente du marché du transport maritime il y a encore 20 ans, elle est aujourd’hui l’un des leaders mondiaux de ce marché. Dans une situation de commerce mondialisé avec une concurrence particulièrement accrue, il est nécessaire que l’État (...) leur permette de rester compétitifs sur la scène internationale ». La flotte française compte aujourd’hui plus de 400 navires. Elle comptait moins de 200 en 2014, traduisant à la fois l'arrêt de la désertion vers les registres d’immatriculation étrangers mais aussi un début d'attractivité.

Un dernier amendement, cosigné par deux députés du camp présidentiel, Jean-René Cazeneuve et Daniel Labaronne, prône la création d’une clause en cas de bénéfices extraordinaires des entreprises assujetties à la taxe au tonnage.
« Compte tenu de la situation des finances publiques, cet amendement propose d’anticiper le cas d’une nouvelle crise en indiquant que si les entreprises de fret maritime effectuent un chiffre d’affaires supérieur à 150 M€ et un bénéfice net supérieur à 20 %, alors le bénéfice au-delà de ce seuil sera assujetti à l’IS et non pas à la taxe au tonnage ». Les deux députés l’envisageraient à partir du 1er janvier 2027. Mais cette soumission sera très probablement irrecevable en raison d’une coquille contenue dans le texte (2007 au lieu de 2027).

Armateurs de France de nouveau au front

De leur côté, les transporteurs maritime ont soufflé un peu trop rapidement après avoir pris connaissance des grandes lignes du projet de loi épargnant a priori la taxe au tonnage alors même que les débats parlementaires promettaient d’y revenir. « Le plus important avant tout, c'était de maintenir la taxe au tonnage et de ce point de vue, on est satisfait », avait promptement réagi le président d'Armateurs de France, Édouard Louis-Dreyfus, interrogé par l’AFP, sous-entendant de surcroît que « moins d'une dizaine d'entreprises » seraient concernées par la « contribution exceptionnelle ». Présumerait-on de ses forces chez Armateurs de France où le nombre d'entreprises déclarant un chiffre d'affaires de plus d'1 Md€ est un objet rare.

Mais la mise à contribution d'un seul membre, « l'arbre qui cache la forêt de petites et moyennes entreprises » selon les propres termes du président des armateurs, tous rangés indistinctement dans la catégorie des « supers-profiteurs  » de la pandémie, ne semble pas suffire.

Et la taxe au tonnage de nouveau à la barre du tribunal

Les discussions sur l’efficacité de la taxe au tonnage sont à vrai dire récurrentes. Le PLF 2024 avait déjà tenté de la torpiller. Sa réputation de privilège indu ne l’aide pas. Un rapport de la Cour des comptes (notes d’analyse de l’exécution budgétaire, jointes au rapport sur l'exécution du budget 2023 aux dépenses fiscales) classe le régime dérogatoire au troisième rang des « 476 niches fiscales » en France. Appliquée à une quarantaine d'entreprises, elle aurait représenté un manque à gagner de 5,6 Md€ pour les comptes publics en 2023 (+ 1,8 Md€ par rapport à 2022) sur un total de 81,3 Md€ selon la rue de Cambon.

Les armateurs vont donc devoir remonter au front, comme ils l’avaient fait en juillet pour éteindre l’incendie à la suite des propos de Jordan Bardella, le président du Rassemblement national, qui avait dénonçé le statut armatorial. Un emballement médiatique s’en était suivie, forçant Armateurs de France (AdF) et le Cluster maritime français, à sortir de leur réserve pour expliquer et réexpliquer les raisons pour lesquelles les armateurs français ne peuvent pas être assujettis aux règles fiscales de droit commun et les conséquences s'ils en étaient privés. Ils le répètent encore dans un communiqué épidermique envoyé aux rédactions ce 14 octobre après avoir pris connaissance des amendements.

Un impôt de production

Revenir sur la taxe au tonnage c’est enclencher « la fin rapide de la marine marchande française », bégaie Armateurs de France. « La taxe au tonnage est un impôt de production et doit rester un outil de compétitivité. L’introduction de toute forme de seuil à la taxe au tonnage provoquerait une distorsion de la concurrence, créant ainsi une inégalité face à la compétition internationale. Cette mesure fragiliserait les investissements des armateurs à moyen et long terme », ajuste le communiqué.

L’organisation professionnelle rappelle qu’elle fait face à un mur d’investissement qui se chiffre en milliards de dollars en vue des objectifs de décarbonation. S’il fallait renouveler la totalité de la seule flotte française, il faudrait trouver 25 Md€ selon sa feuille de route décarbonation publiée l'an dernier.

De même, le syndicat patronal estime qu’indexer la taxe à l'ajout d'objectifs écologiques risquerait de complexifier le dispositif. « Plusieurs instruments économiques existent déjà au niveau européen et international. Depuis le 1er janvier 2024, le transport maritime est inclus dans le marché du carbone européen, lequel devrait coûter entre 90 et 150 M€ par an ces deux prochaines années ». Le transport maritime, par essence internationale et régi par l’Organisation maritime internationale, est viscéralement opposé à la superposition des réglementations régionales, qui « entraîneraient nécessairement des arbitrages géographiques au détriment de la France ».

L’examen du PLF à l'Assemblée nationale devrait démarrer le 21 octobre et la séquence budgétaire pourrait s’étirer jusqu’à la veille de Noël. Un chemin de croix qui ne s'annonce pas exclusivement budgétaire.

Adeline Descamps

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