[Série d'été : l'IA] L’IA mise sur l’efficacité opérationnelle

[Partie 1/3] Pendant ces trois prochains jours, L'Officiel des Trasporteurs se plonge dans les méandres de l'IA et envisage comment elle pourrait faire évoluer le transport. Accroître l’efficacité des plans de transport et de la gestion des tournées, telle est la promesse de l’IA pour séduire donneurs d’ordre et transporteurs. Au passage, ce gain contribue à réduire les kilomètres parcourus et donc les émissions de CO2. Mais les acteurs de l’IA en profitent pour aider les transporteurs à simuler leur transition électrique sans perte d’exploitation.  

Pour « verdir » la chaîne logistique, l’intelligence artificielle (IA) saura-t-elle conjuguer efficacité opérationnelle et réduction des émissions de CO2 ? « L’IA aide à optimiser les plans de transport et les tournées de livraison ainsi qu’à allouer les ressources adéquates dans le temps et l’espace, explique Tristan Bourvon, coordinateur logistique et transport de marchandises à l’Agence de l’environnement (Ademe). Comme il y a énormément de contraintes et d’aléas (variations de la demande, météo, circulation…) dans le transport de marchandises et la logistique, les planificateurs humains n’ont plus la capacité d’optimiser de tête des situations de plus en plus complexes. » Pour preuve, le taux moyen de remplissage des poids lourds en Europe n’est que de 65 %, d’après Eurostat, tandis que 20 % des trajets sont encore effectués à vide. Une chose est sûre : « L’IA est pertinente partout où il s’agit de dégager de la performance », explique William Eldin, PDG de XXII (50 salariés), entreprise spécialisée en vision par ordinateur qui a levé 22 millions d’euros en 2023 et optimise le remplissage des camions à l’expédition.

Appel à projet de l’Ademe

Dans le cadre de l’appel à projet (AAP) « Logistique 4.0 » lancé en 2021 par l’Ademe avec une enveloppe de 68 millions d’euros, neuf projets lauréats sur trente concernent l’IA. Citons le projet Jumel, de Daher Aerospace, qui vise à développer un outil d’aide à la décision générique pour la logistique sous forme d’un jumeau numérique. Objectif : piloter et réaliser des simulations sur des organisations logistiques (plan de transport, approvisionnement, entrepôts, schémas directeurs…) afin de minimiser l’impact carbone et d’améliorer la compétitivité des acteurs de la logistique française. Citons aussi le projet Califrais de la société éponyme qui veut mutualiser et optimiser les flux logistiques des marchés de gros de l’alimentation afin de renforcer leur compétitivité, d’améliorer la sûreté de l’approvisionnement alimentaire national et de réduire l’empreinte carbone du dernier kilomètre. Autre projet ambitieux, Excalibur de Generix Group développe un système de collecte et traitement des données tout au long de la chaîne logistique et des différents acteurs qui ont recours à l’informatique quantique afin de traiter la complexité et la multitude de données. L’emploi de cette technologie devrait aider à repousser les limites des calculs d’optimisation actuels en matière de temps, d’impact carbone et de coûts. Précisons que l’Ademe devrait procéder à une relance de l’AAP Logistique 4.0 cette année avec une enveloppe de 20 millions d’euros.

Jumeaux numériques

À côté d’acteurs historiques comme PTV (optimisation de tournées), d’autres start-up comme DCbrain, Kardinal, Mapo, Transportlive ou Urbantz proposent des solutions Cloud pour optimiser les schémas de transport ou de gestion de tournées. Ambition : « Réduire non seulement les retours à vide après livraison mais aussi les kilomètres parcourus, voire le nombre de camions sur la route », explique Mathieu Boyer, directeur de l’intelligence économique au cabinet conseil en stratégie d’innovation SprintProject basé à Saint-Cloud (92). En général, ces acteurs traitent les données issues des progiciels de gestion des transports (TMS) des entreprises du transport routier de marchandises (TRM) ou de leurs donneurs d’ordre. Puis ils y agrègent les données qui décrivent les capacités et opérations de transport : marchandises, véhicules, consommations de carburant, trajets, contraintes de collecte et de déchargement, respect des obligations réglementaires sur les temps de travail… De quoi construire un « jumeau numérique » du transporteur afin de simuler des scénarios d’optimisation. « Nous visons ainsi à faire économiser à nos clients transporteurs 5 % à 10 % sur les coûts ou les kilomètres parcourus, donc sur les émissions de CO2 », indique Benjamin de Buttet, directeur des opérations de DCbrain (35 salariés), figurant parmi les lauréats de l’AAP Logistique 4.0 de l’Ademe, qui a levé cinq millions d’euros en 2022.

Côté transporteurs, la performance environnementale et l’efficacité opérationnelle vont de pair. En témoigne la société Transports Salva basée à Salses-le-Château (66) qui, avec 60 salariés et 60 tracteurs, réalise un chiffre d’affaires 2023 de 10,5 millions d’euros dans le fret conditionné et le vrac pulvérulent sur toute la France, le Benelux et l’Espagne ainsi que dans les matières premières et semi-premières pour l’industrie en Allemagne. « Nous avons réduit de 22 % notre consommation de carburant en douze ans, notamment en transportant 53 % de nos 173 millions de tonnes-kilomètres (tkm) en combiné rail-route sur les autoroutes ferroviaires Le Boulou (Pyrénées-Orientales)-Bettembourg (Luxembourg) et Perpignan-Paris-Valenton (Val-de-Marne). Et grâce à notre solution d’IA, nous comptons diminuer nos émissions de CO2 de 500 à 600 tonnes sur 4 000 dès la première année d’utilisation », fait valoir Isabel Salva, cogérante de Transports Salva, qui recourt à la solution Cloud Traffic Live de l’espagnol Transportlive. Laquelle se connecte au système de gestion des transports Itemtrans d’Item Informatique (groupe Sinari) et devrait s’interfacer cette année avec la plateforme EVE (Engagements volontaires pour l’environnement-transport et logistique) qui, dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone, accompagne les entreprises de transport et de logistique dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) et de polluants atmosphériques.

Intégrer les véhicules alternatifs et le report modal dans les simulations

La société Transports Salva appréciera les capacités de simulation de l’éditeur espagnol, car elle compte, d’une part, gagner 20 % sur les 12 % des retours à vide qu’elle enregistre et, d’autre part, investir dans deux tracteurs hydrogènes Quantron de 44 tonnes. Le premier dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt porté par la Région Occitanie dont elle a été lauréate et l’autre par l’Ademe. Mais à 800 000 euros le véhicule, les calculs de l’IA devront se révéler précis ! À cet égard, l’Ademe encourage les transporteurs à verdir leur flotte. Ainsi, un premier appel à projet de 39 millions d’euros en 2022 mobilise-t-il une enveloppe de 208 millions d’euros pour financer auprès de 80 lauréats l’acquisition de 631 véhicules lourds électriques, qui vont contribuer à économiser 37 000 t CO2eq/an. En 2023, un complément de 19,5 millions, générant un investissement global de 157 millions d’euros, va rajouter 387 poids lourds électriques, soit 20 440 t CO2eq/an économisées. À ce millier de véhicules lourds électriques, la troisième relève de l’aide publique devrait se hisser à 130 millions d’euros cette année pour augmenter le parc français de 2 000 véhicules lourds électriques.

Message reçu 5/5 par Kardinal. « Avec nos simulations, les transporteurs préparent leur transition électrique sans perte d’exploitation, insiste Cédric Hervé, cofondateur de la start-up (30 salariés) qui a levé 10 millions d’euros en 2022. Dans la perspective des JOP Paris 2024, nous les aidons aussi à modéliser la livraison du dernier kilomètre en cyclo-logistique ou à pied. » De son côté, le transitaire numérique allemand Sennder veut aussi apporter sa pierre au tandem efficacité opérationnelle-décarbonation avec son service Next Load, disponible depuis dix-huit mois sur la plateforme Orca. « Grâce à l’IA, nous automatisons l’affectation de nouveaux chargements après une première livraison afin de réduire les retours à vide », explique Anthony Guillouet, DG de l’entité française de Sennder qui massifie les flux sur des corridors vers le Benelux, l’Allemagne, la Pologne, les pays baltes, l’Espagne, la Roumanie et la Bulgarie. À la suite du rachat en 2021 du transporteur industriel Cars &Cargo, devenu Sennder C&C, qui exploite 380 camions sur le corridor Benelux-France, le taux de kilomètres à vide est inférieur à 10 %. Pour sa part, la bourse de fret B2PWeb a lancé en test il y a un an, auprès de 200 clients Spot Tour, un générateur de tournées 100 % spot qui permet aux exploitants d’optimiser le chargement de leurs véhicules. « Il faut indiquer le point de départ, la capacité du véhicule, le type de marchandise (général cargo, frigo), les dates, les temps de conduite du conducteur… et le système calcule différentes alternatives de tournées qui le feront revenir à son point de départ, explique Audrey Cayetano, directrice produit chez B2PWeb. Le système note les tournées en fonction des critères que l’utilisateur choisit lui-même, comme le nombre de palettes, les kilomètres à vide, le taux de remplissage, le nombre d’offres, la distance totale de la tournée… » En fonction d’axes d’amélioration identifiés, l’offre industrielle devrait sortir début 2025. En attendant, le Lab Innovation de B2PWeb va également phosphorer sur l’introduction de l’IA générative dans son service client. « Nous finalisons un prototype d’intelligence conversationnelle, poursuit Audrey Cayetano. Résoudre une problématique technique, accompagner l’utilisation d’une fonctionnalité pour encore aider à paramétrer des comptes utilisateurs, problème d’accès, création d’un utilisateur…, l’idée consiste à savoir comment répondre à la demande des clients en nous basant sur notre expérience de 18 ans. » Dans un premier temps, ce chatbot sera textuel, puis intégrera la reconnaissance vocale vers le texte.

Réduire les GES ou accroître l’activité ?

Cependant, optimisation des opérations de transport ne rime pas toujours avec réduction des gaz à effet de serre. « Il faut être vigilant sur l’effet rebond, avertit Tristan Bourvon de l’Ademe. En optimisant les tournées, l’IA contribue à dégager de nouvelles marges de manœuvre économiques susceptibles d’inciter les transporteurs à accroître leur activité. Or ce n’est pas en voulant faire plus avec moins qu’on va réduire les émissions de GES. » Ajoutons que les calculs d’optimisation de l’IA dans les centres de données sont également très gourmands en énergie. « Dans certains cas, le bilan global de l’analyse du cycle de vie sera positif », pointe Tristan Bourvon qui conseille de recourir à la méthode « Empreinte projet » développée par l’Ademe. En parallèle, l’agence a lancé une étude sur l’impact global de l’IA appliquée à certains cas d’usage, dont le transport et la logistique. Rendez-vous en 2026.

A suivre : 

1er août : "Nous consacrons 500 postes à l'IA", interview de Juliette Baudry, responsable de la donnée et de l'IA de la branche services-courrier-colis de La Poste.

2 août : "Augmenter la productivité : l'IA vient appuyer les robots autonomes".

 

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