"Ce qui se joue à Dunkerque doit nous servir à définir une doctrine pour l'ensemble de la France", a reconnu Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, interrogé le 12 mars à l'Assemblée nationale sur le sujet controversé des mesures compensatoires sur des parcelles agricoles.
Pour répondre au développement du trafic des porte-conteneurs notamment et répondre à la demande, le port de Dunkerque prévoit, dans le cadre du projet Cap2020, de doubler la superficie d'un bassin, de construire 2 km de quais et de nouveaux entrepôts logistiques.
1.500 ha de compensation
En tout, selon les agriculteurs et la Safer, les projets en cours vont nécessiter de rendre 1.500 ha à la nature, la loi imposant de compenser les atteintes à l'environnement générées par ces projets.
Si environ 150 ha proviendraient de friches portuaires, le reste de la compensation se ferait sur des terres agricoles, en indemnisant les exploitants.
Les services de l'État ne confirment pas les surfaces nécessaires. Mais selon le projet stratégique 2020-2024 du port, le seul projet Cap2020 implique "la destruction de 350 ha de surfaces cultivées, 180 ha de zones humides (...) et 60 ha au maximum de surfaces naturelles".
En mai 2023, l'Autorité environnementale avait rendu un avis très critique, jugeant l'étude d'impact de Cap 2020 "médiocre" et déplorant "une artificialisation de surfaces agricoles et naturelles considérable".
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Un objectif difficile à tenir
Pour Hubert Bourgois de la Safer (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural) des Hauts-de-France, l'objectif des 1.500 ha est "impossible à atteindre compte tenu des contraintes" de ce territoire où l'agriculture est déjà en concurrence avec les industries et l'urbanisation.
"Nos exploitations sont en cours de reprise par des jeunes. Si on leur enlève 10 à 20 % de leur surface, ils n'y arriveront pas", rappelle de son côté Laurent Declercq, représentant de la FNSEA du canton de Gravelines-Bourbourg, soulignant que les exploitants de cette zone très dense en industries subissent déjà de nombreuses servitudes : conduites d'eau, de gaz, lignes haute tension.
"Ces industries vont profiter à la France entière. Pourquoi l'agriculture du petit secteur de Dunkerque devrait payer toute l'addition ?" interroge Denis Bollengier, coprésident de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de l'arrondissement de Dunkerque.
Changement de doctrine
Les agriculteurs aimeraient que les compensations soient réparties sur l'ensemble du territoire alors que la loi les envisage à proximité du site impacté. Ils proposent aussi des alternatives locales, comme le renforcement des dunes du littoral.
"Les services de l'État ont tendance à se fermer sur une lecture en ha, alors que la loi prévoit à mon sens un chiffrage en euros des mesures compensatoires", souligne Paul Christophe, député Horizons (majorité) du Nord, qui appelle un changement de doctrine en matière de compensations environnementales, en permettant de payer plutôt que renaturer.
Des sommes pourraient ainsi être consacrées à la préservation des espaces naturels sensibles du département. Le député attend du gouvernement des éléments de réponse lors du congrès de la FNSEA.
Béatrice Joannis
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