Pendant des mois, les armateurs se sont relayés sur l’autel médiatique pour donner un horizon à la « normalisation », expression communément admise pour décrire le retour des taux de fret à un niveau plus soutenable pour ceux qui les règlent après des mois de tarifs particulièrement élevés.
Aujourd’hui, les coûts de transport sont si faibles qu’ils en deviennent insoutenables pour les compagnies maritimes et si les marchés sont clairement revenus à la « normale », la perturbation permanente semble être devenue la norme tant l’économie mondiale enchaîne les chocs dans un environnement hyper convulsif
« Le coût du transport de marchandises par voie maritime a chuté en 2023 de près de 60 % pour les contrats à long terme au niveau mondial et certains corridors, tels que le transatlantique vers la côte Est des États-Unis et l’Asie vers l'Europe, ont baissé d'environ 80 % pour les taux à court et à long terme », résume Patrik Berglund, PDG de Xeneta, qui estiment les taux de fret actuellement non rentables.
Onze mois consécutifs de baisse des taux de fret
Que la surcapacité soit conjoncturelle ou structurelle, que les compagnies aient tardé avant de mettre en œuvre des programmes de blank sailing, elles y viennent désormais en procédant à des coupes plus acérées, espérant stopper l'érosion des taux de fret qui plient sous la pression d'une offre excédentaire croissante mais aussi en raison du contexte général : le ralentissement économique mondial et les accès de fièvre inflationnistes ont refroidi les dépenses de consommation et figé la demande de biens.
Après onze mois consécutifs de baisse, les taux de fret spot de Shanghai vers l'Europe du Nord ont cessé de chuter la semaine dernière mais le baromètre du secteur conteneurisé, le SCFI (Shanghai Containerized Freight Index), qui reflète les prix au comptant pour le fret conteneurisé de Shanghai vers une vingtaine de destinations dans le monde, a son aiguille au plus bas depuis six ans, à seulement 1 160 $ par conteneur de 40 pieds. Cela représente une baisse de 42% depuis la fin du mois de juillet.
Vingt-deux navires de plus de 15 000 EVP condamnés
Jusqu’à présent, seuls MSC et Maersk avaient communiqué (dans des avis à la clientèle) leur programme de blank sailing pour les semaines à venir avec des dates précises et des services alternatifs pour les ports écartés. C’est au tour de THE Alliance de faire part de ses mesures de gestion de capacités.
Le consortium formé par Hapag-Lloyd, ONE, HMM et Yang Ming vient d’annoncer la suspension de deux rotations Est-Ouest à partir de mi-novembre et jusqu’à une date non spécifiée, l’une entre Asie du Sud-Est et Europe, service commercialisé sous la marque FE5 (Laem Chabang, Cai Mep, Singapour, Colombo, Rotterdam, Hambourg, Anvers et Londres-Gateway avec des escales à Jeddah et Singapour sur le voyage de retour), et l’autre entre Asie et États-Unis (EC4).
Les deux décisions condamnent temporairement 22 navires de plus de 15 000 EVP.
Dix navires de 14 000 EVP concernés entre Asie et Europe du Nord
Sur le trafic Asie - Europe du Nord, où l’alliance propose cinq boucles hebdomadaires communes, le FE5 est opéré par dix navires de 14 000 EVP fournis par ONE et Yang Ming.
Une liaison directe entre Cai Mep et l'Europe du Nord sera maintenue en ajoutant temporairement le port vietnamien à la rotation du service Asie-Europe du Nord FE3 (escales à Ningbo, Xiamen, Kaohsiung, Yantian, via Singapour vers Rotter- dam, Hambourg, Anvers et Southampton). Cette dernière ligne est opérée des porte-conteneurs de 16 000 à 24 100 EVP.
Entre Laem Chabang et le hub de Singapour, un service de navette dédié sera mis en place pour offrir des connexions vers l'Asie dans la semaine du 14 au 20 novembre.
Interruption entre Asie et la côte est-américaine
THE Alliance interrompt par ailleurs la boucle entre Asie et la côte est-américaine, connue sous la marque commerciale EC4 et exploitée par des néo-panamax d'une capacité de 13 100 à 14 200 EVP.
Le service, assuré en douze semaines, dessert via le canal de Suez (dans les deux sens) Kaohsiung, Xiamen, Hong Kong, Yantian, Cai Mep, Singapour, Norfolk, Savannah, Charleston, Newark-New York, Singapour, Kaohsiung.
Xiamen sera toujours relié à la côte Est du continent américain mais via EC1 tandis que Cai Mep et Singapour sont déjà touché par le EC5, qui inclura une nouvelle escale à Charleston et une seconde à New York sur le trajet vers l'Est pour compenser l’EC4.
Pour maintenir deux départs par semaine entre Yantian et les quatre ports est-américains, le port du sud de la Chine bénéficiera d’une escale supplémentaire sur l’EC2.
Depuis la mi-octobre, une autre liaison transpacifique, qui dessert la côte du nord-ouest américain, a également fait les frais de la situation, THE Alliance ayant mis hors ligne le service PN3. En conséquence, le PN2 a été étoffé avec des escales supplémentaires pour reprendre certains ports écartés.
Fonctionnement au ralenti également pour 2M
De leur côté, Maersk et MSC, réunis au sein de 2M, qui ont déjà supprimé
cinq traversées opérées ensemble entre Asie et Europe du Nord pendant et après la Golden Week, semaine de jours fériés en Chine qui engendre un fonctionnement au ralenti, ont prévu de prolonger certaines mises hors ligne jusqu’à décembre pour des raisons moins conjoncturelles.
Les annulations seront réparties sur trois boucles, dont certains ports seront néanmoins couverts par des services modifiés.
Ainsi, l’un des services phare de la ligne Est-Ouest, l’AE55/Griffin n'offrira pas de départs de Shanghai les 28 octobre, 11 novembre et 2 décembre. Le Havre sera desservi par l’AE6/Lion, qui ajoutera des escales ad hoc dans le port français sur trois voyages.
Les MSC Tessa (24 116 EVP) et MSC Allegra (23 782 EVP) n'assureront pas les traversées de l’AE6/Lion au départ de Ningbo, respectivement le 24 novembre et le 8 décembre. Les cargaisons à destination des ports portugais et belge, Sines et Anvers, seront chargées sur les navires de l’AE55/Griffin.
Il n’y aura pas non plus de départs les 5 et 19 novembre de Ningbo pour le service AE7/Condor, seule boucle Asie-Europe du Nord de 2M faisant escale à Hambourg. Du coup, le fret à destination du premier port allemand d'Allemagne du Nord embarquera sur les porte-conteneurs exploités sur AE5/Albatros (deux départs).
Reste à savoir si MSC va reprendre dans quelques jours, comme annoncé, son service opéré en solo Swan (Asie-Europe du Nord-Baltique), dont il avait annulé tous les départs en octobre dans le cadre de son programme Golden Week.
Adeline Descamps
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