Rolf Habben Jansen le concède. Le directeur général de Hapag-Lloyd ne s’attendait pas vraiment à ce début d’année-là après un exercice durant lequel le revenu moyen par EVP aura trébuché pour atterrir près du seuil critique des 1 000 $/EVP.
À 2 625 $/EVP, enregistrés au dernier trimestre 2022, l'indicateur a accusé à chaque à chaque trimestre de 2023 un coup de marteau supplémentaire : 1 999 $ puis 1 533 $ puis 1 312 $ avant 1 190 $/EVP sur les trois derniers mois. Très loin du pic, enregistré au troisième trimestre 2022, le meilleur cru et, sans doute pour un temps, pour toute la classe des transporteurs maritimes de conteneurs. En l’occurrence pour l'armateur allemand, il est monté jusqu'à 3 126 $.
Le quatrième trimestre 2023 a été médiocre pour le numéro cinq mondial, tombé dans la zone rouge vermillon, son Ebit (- 251 M$) et son résultat net (- 243 M$) déficitaires.
L’année se solde par un chiffre d’affaires en baisse de 47 % (19,4 Md$), un Ebitda (résultat opérationnel avant amortissements et dépréciations) en chute de 76 % (4,84 Md$), un Ebit (bénéfice avant déduction des charges, des produits d'intérêt et des impôts) sur la même trajectoire (- 85 %) à 2,73 Md$. Mais le résultat net est resté dans la sphère des milliards (3,19 Md$).
Des premiers résultats dans les terminaux
Les volumes transportés n’ont augmenté qu’à la marge (11,9 MEVP) sur les 173,5 MEVP transportés par le secteur (172,8 MEVP en 2022). C’est dire les efforts d’optimisation des coûts, en dépit des dépenses d’exploitation à des niveaux élevés bien qu’ils se soient améliorés « mais pas suffisamment pour compenser la détérioration des taux de fret », indique le directeur financier Mark Frese.
Les activités des terminaux est un segment « en cours de constitution » pour Hapag-Lloyd, qui a effectué en 2023 trois transactions (Spinelli, opération effective depuis le 1er mars 2023, JM Baxi depuis avril et SAAM depuis août), lui donnant ainsi accès à 17 terminaux en Europe, en Inde et en Amérique latine.
L’activité a enregistré un chiffre d’affaires d’un peu plus de 202 M$ pour un Ebitda de 49,7 M$ (marge à 24,6 %) et un Ebit de 20,5 M$ (marge de 10,1 %)
« Le résultat d'exploitation de 2023 a été affecté par des coûts de transaction de 15,4 M$ et des coûts supplémentaires de mise en place des activités nouvellement acquises. Le résultat de 2022 comprenait un effet positif net de 52,2 M$ lié à l'acquisition du terminal à conteneurs de Wilhelmshaven (CTW) », souligne le directeur financier. Hapag-Lloyd y a repris la participation de Maersk en 2021.
Taux au comptant insoutenables
« Dans un environnement de marché moins favorable, nous avons tout de même réussi à obtenir un très bon résultat pour le transport maritime de ligne grâce à nos contrats long terme et notre exposition géographique diversifiée », souligne Rolf Habben Jansen, à qui le conseil de surveillance vient de renouveler sa confiance en prolongeant son mandat de CEO pour une durée de cinq ans, jusqu'au 31 mars 2029 donc. De façon anticipée. En poste depuis 2014, son contrat actuel ne doit expirer qu'au 31 mars 2027,
Les taux de fret au comptant ont atteint « des niveaux insoutenables » sur de nombreux trafics au cours du second semestre de l'année « en dépit d’une nouvelle hausse en décembre suite aux attaques contre les navires en mer Rouge ».
Une capacité en défaut
Le 21 février, le numéro cinq mondial, dont le sort parmi les cinq premiers mondiaux en termes de capacité dans le transport maritime de conteneurs est régulièrement questionné, a franchi le cap de 2 MEVP avec 273 navires (dont 122 en propriété).
Hapag-Lloyd partage avec son futur partenaire d’alliance, Maersk, une politique peu agressive en matière de commandes si bien qu’ils ont perdu des parts de marché par rapport à leurs concurrents directs.
Son carnet de commandes de 251 976 EVP est l’un des plus faibles au sein des huit plus grands transporteurs, représentant 13 % de sa flotte en service, alors que la moyenne de ces derniers est de 24 %. L’offre (avortée) qu’Hapag-Lloyd a déposée pour acquérir ou prendre une participation dans HMM peut être interprétée comme une volonté de préserver son droit d’entrée.
Surcapacité handicapante
Alors qu'il n'y a pas souscrit, Hapag-Lloyd subit la surcapacité du marché, l'actuel chemin de croix des armateurs. En 2023, la flotte aura augmenté de 7,1 MEVP (soit 26 % de la capacité en exploitation) et cette année, alors que la croissance de la demande de transport est estimée à 4 %, le bataillon va encore s’étoffer de 6,7 MEVP. En 2025, la demande sera encore plus faible (3 %) mais l’offre va encore grossir de 5 %.
« Les détournements de la mer rouge et le passage par la route plus longue via le cap de Bonne-Espérance permettent d’absorbent environ 5 à 9 % de la capacité mondiale des navires porte-conteneurs », estime Rolf Habben Jansen.
Des perspectives de bénéfices difficiles à lire
Il ne s’attardera pas trop sur la suite, pas extrêmement confiant sur les perspectives de bénéfices de cette année alors même que trois mois de 2024 ont à peine été vécues. « Compte tenu de l’évolution très volatile des taux de fret et des défis géopolitiques majeurs, les perspectives sont soumises à un degré élevé d’incertitude », indique le dirigeant.
Et de lister la plupart des problématiques qui encombrent actuellement le secteur. « On ne sait toujours pas quand le passage de la mer Rouge sera à nouveau sûr. Le nombre élevé de livraisons de navires entraînera une augmentation progressive de la capacité de transport, ce qui devrait avoir un impact négatif sur l’évolution des taux de fret. L’allongement de la durée des traversées [engendré par le déroutement des navires de la région sous les feux des attaques houthies, NDLR] et l’intégration du transport maritime dans le système européen d’échange de quotas d’émission [SCEQE, ETS, NDLR] devraient plus que compenser les mesures de réduction des coûts prévues ».
Dans ce contexte, le conseil d’administration s’attend à ce qu’une grande partie du résultat prévu soit générée au cours du premier semestre de l’exercice, soit un Ebitda compris entre 1,1 et 3,3 Md$ mais un Ebit entre – 1,1 et + 1,1 Md$.
Adeline Descamps