Les deux hommes se tutoient. Les coursives du milieu maritime sont suffisamment étroites pour l’on s’y croise souvent. Le nouveau ministre délégué à la Mer et à la Pêche, le très Lorientais Fabrice Loher – maire de Lorient et président de Lorient Agglomération depuis 2020 – a été accueilli par Jean-Emmanuel Sauvée. Le président de la division Transports maritimes spéciaux de CMA CGM vient de succéder à la barre de l’Académie de Marine à Alain Bovis après quatre ans de mandat de ce dernier.
Le nouveau ministre a été reçu durant la séquence de convivialité du cocktail de la séance solennelle de rentrée des académiciens ce 9 octobre dans un des pavillons de l’École militaire à l’architecture palladienne prononcée. « Ce qui n’incite guère à la solennité mais plus à l’expression de la convivialité », s'est-il empressé de placer, espérant se dédouaner par anticipation d'un discours qui ne répondrait pas aux usages académiques.
À la veille de la présentation du PLF, il ne s’embarquera donc pas sur la contribution du secteur aux 60 Md$ à trouver, lourde de menace pour l’arsenal fiscal dont bénéficient les transporteurs maritimes. Aucun son, aucune image.
Lorient, pôle de référence maritime
« Plusieurs sections de l’Académie que vous venez de citer recoupent certains fonctions du port de Lorient, grande ville de construction navale militaire. De nos arsenaux, grâce à Naval group, sont sortis les plus beaux bâtiments de guerre du monde contemporain que nos alliés nous envient, les FREMM [frégates multi-missions, NDLR] et désormais les FDI [frégate de défense et d'intervention, NDLR] », amorce le nouveau promu.
Depuis son élection à Lorient, il lui est reconnu l’ambition de faire un pôle de référence maritime de sa ville historiquement positionnée sur les activités militaires avec ses locataires de renom, Naval Group, Thales et leur écosystème. La filière navale française, avec 15,5 Md€ de chiffres d’affaires en 2023, est portée par la construction militaire (68 %).
Avec l’exacerbation des conflictualités dans l’espace maritime, la France a réactivé sous le mandat de son prédécesseur sa capacité militaire à préserver, les intérêts de son domaine maritime, deuxième zone économique exclusive (ZEE) alors que l’absence de forces navales dans certains territoires lointains est exploitée par des pays voisins pour s’y déployer et piller, selon Hervé Berville, ses ressources (pêche notamment).
Flotte stratégique
Le ministre rattaché à un ministère des « partenariats avec les territoires et de la décentralisation », parlera aussi de puissance maritime et de souveraineté nationale (veillant à ne pas empiéter sur son collègue de la Défense) et y associera, de plain-pied, le concept de flotte stratégique. « Elle fera partie évidemment de nos réflexions et de nos actions, dans les semaines qui viennent. Il faut qu’on le traite dans nos débats parlementaires. Je ferai en sorte, en tant que ministre, de préserver et de sauvegarder les intérêts de la flotte de commerce et de donner corps à la flotte stratégique parce que grâce aux efforts de mes prédécesseurs, nous avons non seulement sauvegardé mais renforcé le pavillon français ».
Les armateurs, qui réclament la création de ce bataillon spécifique depuis que son principe a été marbré dans une loi, n'en sont plus à une promesse ajournée près. Fabrice Loher fait aussi allusion à la progression du nombre de navires enregistrés sous le pavillon français qui connaît en effet depuis quelque temps un aggiornamento. Les efforts de simplification administrative opérés par la DGAmpa y sont pour quelque chose.
Dans la continuité
En tant que ministre de la Mer, il semble qu’il y ait quelques expressions à prononcer impérativement lors de la prise de fonction. La souveraineté d'approvisionnement, énergétique, alimentaire, de production, fait partie des incontournables.
La politique qu'il entend mener s’appuie, rappelle-t-il, sur les piliers définis dans la Stratégie nationale pour la mer et le littoral 2024-2030 [adoptée fin 2023 en comité interministériel de la mer et publiée par décret le 10 juin 2024, NDLR]. « Nous devons assumer d'être une grande puissance maritime, y compris dans son acception économique. Je souhaite pour l'avenir que nos littoraux restent des zones de production où nos populations puissent continuer à vivre, à travailler, à se loger, et non de villégiature. Je porte certes une vision d'une pêche durable et responsable mais qui permette aussi à nos littoraux de vivre de l'activité de la pêche. À Lorient, 3 000 emplois directs et indirects en dépendent comme à Boulogne où je serai dans deux jours », ajoute l'ancien directeur du port.
« Production responsable et durable »
Il ne délivrera aucune méthode, renvoyant à la perspective d’un contrat stratégique négocié avec les représentants de la filière. Une adresse à Olivier Le Nézet, présent dans l’assemblée. Une personnalité incontournable du milieu de la pêche française aux multiples mandats, et notamment vice-président de l'interprofession de France Filière Pêche.
Outre la défense d'une « production responsable et durable », il reprend aussi à son compte la protection de l'océan et la préservation de la biodiversité marine. « Les dossiers que j'ai trouvés sur mon bureau sont très ambitieux. Il y a aura des arbitrages et des compromis à faire ». L’elu fait référence aux documents qui départageront les kilomètres de la façade maritime entre les différents usages.
La cartographie des futurs parcs éoliens est aussi très attendue, à la suite de la vaste concertation « La mer en débat », qui s'est déroulé simultanément sur les quatre façades maritimes entre le 20 novembre 2023 et le 26 avril 2024. Ses convictions sur le sujet sont sans appel : il est celui qui a donné son aval à la création du parc d’éoliennes flottantes qui doit voir le jour au large de Belle-Île et de Groix, à l’horizon 2031.
Grand territoire marin à confirmer
En moins de dix minutes, l’élu UDI (Union des démocrates et indépendants) trouvera néanmoins le temps de répéter à plusieurs reprises son engagement à « conforter la place de notre pays en tant que grand territoire marin dans cet ensemble mondial où notre domaine maritime est jalousé et où notre place sera de plus en plus disputée »
Les ennemis sont à l’extérieur donc mais à l’intérieur, il n’y a apparemment pas que des amis non plus. « Nous avons au niveau national des acteurs qui ne comprennent pas toujours les enjeux maritimes », glissera-t-il finalement.
Adeline Descamps