Philippe Louis-Dreyfus, Louis Dreyfus Armateurs : « Il faut accepter dans certains cas d’acheter plus cher »

Pierre-Éric Pommellet et Philippe Louis-Dreyfus

  Pierre-Éric Pommellet, PDG de Naval Group et président du Gican (à gauche) et Philippe Louis-Dreyfus, président du conseil de surveillance de Louis Dreyfus Armateurs.

Dans une session organisée lors des Assises de l'économie de la mer, Philippe Louis-Dreyfus, le président du conseil de surveillance de Louis Dreyfus Armateurs, et Éric Pommelet, PDG de Naval group et président du Groupement des industries de constructions et activités navales (Gican), ont confronté leurs réponses face à un monde globalisé.

« Cela fait longtemps qu’on a oublié de construire en France et en Europe, y compris quand nous étions encore dans le vrac. Depuis 20 ans, Louis Dreyfus Armateurs s’est orienté vers les navires high tech et même pour ces navires plus sophistiqués, le dernier qu’on a pu faire construire par les Chantiers de l’Atlantique était un navire sismique » (LDA exploitera jusqu’à quatre navires avec la Compagnie Générale de Géophysique, activité qu'il a dû abondonner en 2016).

Philippe Louis-Dreyfus répond, bon gré mal gré, à une question sur laquelle il n’a pas vraiment envie de s’attarder. Non pas parce que le président du conseil de surveillance de LDA n’assume pas la construction de ses navires en Chine mais parce que la bataille de la construction navale pour des navires marchands en Europe, et a fortiori en France, est pour lui un combat d'arrière-garde, perdu si tant est qu’il ait été tenu.

Exemplarité et conformité

Invité à s’exprimer sur les atouts français dans un monde mondialisé et globalisé, en face-à-face avec Pierre Éric Pommelet, PDG de Naval group et président du Groupement des industries de constructions et activités navales (Gican), il recentre très vite son propos sur les sujets pour lesquels il milite depuis des années, dans des colloques mais aussi de façon plus souterraine dans ses différents mandats à la tête des instances représentatives du shipping, en France et en Europe : l’économie maritime, les emplois, le savoir-faire de la filière, qui sont, selon lui, de plus en plus dilués dans les grands concepts de la mer.

« Le transport maritime français est exemplaire dans son comportement tant sur le plan environnemental que social où il observe des normes élevées, ce qui n’est pas le cas de tous les armateurs en Europe ». Il en parle d’autant plus librement qu’il connaît les failles de certains des membres de l’association des armateurs européens (ECSA) qu’il a présidé pendant trois ans.

En revanche, si le secteur peut compter sur une administration compétente (« ce qui n’est pas toujours évident »), il regrette que les pouvoirs publics soient « un peu cycliques » : « il y a des hauts et des bas. Depuis deux ans, notamment en termes de souveraineté, on a pu avoir pas mal de déceptions sur ce qui a pu se dire ou se faire, beaucoup de choses qui ont pu se dire, peu qui ont pu se faire ».

Solidarité économique

Le rapport du député Yannick Chevenard, mandaté par le gouvernement pour donner corps à une flotte stratégique française – ces navires essentiels à l’approvisionnement du pays ou à la fonction cardinale – une de ses bataille au long cours –, « va dans le bon sens », reconnait-il.

Pour le militant de la vision long-terme dans l’entreprise et avocat d’un capitalisme familial et social, « ce qui est important dans notre industrie mondialisée mais plus globalement dans l’économie, c’est la solidarité entre entreprises. Elle existe au Japon ou en Corée. C’est culturel mais il faut la structurer, l’institutionnaliser. Cela passe par accepter dans certains cas d’acheter plus cher et ne pas déléguer complètement aux acheteurs dans l’entreprise le soin de choisir uniquement le moins cher ».

La réflexion a fait réagir certains acteurs de la filière vélique. L'armateur, que le constructeur aéronautique Airbus vient de sélectionner à l'issue d'un appel d'offres pour faire construire et opérer trois nouveaux navires assistés à la voile et à double motorisation (MGO/e-méthanol), devrait les équiper de six rotors Flettner, solutions moins chères selon eux qu'une voile ou une aile.

Tryptique fiscal

Comme tous les armateurs européens, il défend ardemment le trépied fiscal (39C, taxe au tonnage et exonérations de charges sociales) qui leur permet de se battre à armes égales et d’appréhender les cycles spécifiques au maritime. Ce dernier pourrait être menacé.

L'acceptation sociale pour des systèmes d’impositions qui permettent de ne pas payer trop d’impôts, quand bien même on « gagne beaucoup d’argent », mais aussi quand on n'en gagne pas du tout, rencontrent des limites auprès du grand public. Avec le risque d’engendrer une remise en cause par les politiques de ce qui peut être assimilé à des privilèges.

Super-profits dévastateurs pour l'image

Durant la pandémie, le débat sur les super-profits s’est polarisé sur CMA CGM et TotalEnergies, deux entreprises qui ont rentré des milliards d’euros au moment où l’inflation frappait l’énergie et les biens de consommation. Les deux groupes ont été acculés à justifier leurs bénéfices, accablés par des critiques sans nuances.

« La perception des armateurs, qui est plutôt bonne ou neutre, évolue à tort. On est considéré tantôt comme des pollueurs, tantôt comme des profiteurs de guerre voire dédaignant à payer des impôts. Cette image pourrait nuire aux avancées en faveur du secteur », convient-il.

Retour de la construction navale

« D’où la nécessité de mieux se faire connaître », rebondit le PDG de Naval group, qui estime être dans le haut du cycle. « Nous sommes actuellement dans un champ d’innovations exceptionnel, notamment au niveau de la propulsion. Elle a été vélique pendant des siècles, à vapeur pendant quelque temps, est devenue extrêmement carbonée. Elle est aujourd'hui les trois à la fois. Elle redevient vélique, retourne à la vapeur avec le nucléaire et explore les nouvelles énergies (méthane, ammoniac…) », s'enthousiasme le représentant des industries de constructions et activités navales.

Pour le patron de Naval Group, la force de l’industrie navale française (une filière de 13,5 Md€) est sa dualité civile et militaire, capable de tout faire, des sous-marins nucléaires aux lanceurs d'engins jusqu'aux bateaux de pêche. « On a un très grand armateur de la flotte française, c’est la Marine nationale. Et la loi de programmation militaire fait la part belle au programme naval avec le sous-marin et le porte-avion militaire de nouvelle génération. Le grand renouvellement de sa flotte aura un impact fort sur notre industrie ».

Dernier motif de contentement : « on refait des navires à voiles dans les chantiers français. Nous allons pouvoir faire des ferries propulsés avec de nouveaux types d’énergies. La digitalisation permet aujourd’hui à la construction navale d’être beaucoup plus performante. Le fait d’être soutenu par les pouvoirs publiques et les investissements industriels nous apportent des solutions », encourage-t-il.

Adeline Descamps

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