Once upon a time in… Los Angeles, où la situation d’engorgement ne semble pas vouloir s’arranger en dépit des différents dispositifs pour y pallier, telles l’ouverture en continu et non stop des deux ports jumeaux de la baie de San Pedro ou l’amende imposée à compter du 15 novembre, pour tout conteneur non évacué à partir d’une durée de séjour déterminée (plus de six jours s'ils sont destinés au transport ferroviaire ou neuf jours s'ils doivent être évacués par camions).
Ces dernières heures, 82 porte-conteneurs attendaient toujours au large des côtes californiennes alors qu’à la mi-octobre, lorsque la Maison-Blanche a commencé à s’alarmer, craignant le blackout pour Noël, il n’y en avait « que » 58 à l’ancre et au mouillage. Pour autant, le nombre de conteneurs, qui tombent sous le coup d’une amende cash machine pour les ports, s’est résorbé depuis l’annonce de mesures coercitives. Le 12 novembre, il n’y avait plus que 40 700 boîtes jonchant les quais depuis plus de neuf jours dans les deux ports alors qu’ils étaient au nombre de 59 800 le 9 novembre. Long Beach seul en comptabilise 20 % de moins par rapport à la fin du mois d’'octobre.
Visiblement, la menace, qui devait avoir une valeur surtout dissuasive, a opéré, Gene Seroka, le directeur général du port de Los Angeles, osant même espérer que ce soit un « échec commercial retentissant » car « moins nous percevons d'argent, plus les marchandises circulent ».
17 Md$ pour les ports
C’est dans ce contexte que, en fin de semaine dernière, le président Biden a présenté, en tant que « nouvelle série d'actions immédiates et à court terme », un vaste plan d’investissement en faveur des infrastructures de transport. Baptisé Action Plan for America's Ports and Waterway, il comprend 17 Md$ pour les ports, certes bien moins que les 25 Md$ pour les aéroports et les 110 Md$ pour les routes et les ponts, qui, selon les experts, ont souffert de sous-investissements chroniques des décennies durant.
Il est également prévu 5 Md$ pour des projets routiers et ferroviaires desservant les ports à l’ appellation suggestive (Infrastructure for Rebuilding America et Consolidated Rail Infrastructure and Safety Improvements). Ce serait, de l’avis des commentateurs, la première fois qu’une enveloppe pour la logistique terrestre soit prévue dans le cadre d’un programme de réhabilitation ferroviaire. L'initiative fait partie des quelque 1 200 Md$ d’investissements publics dégagés au titre du plan de relance, récemment validé par le Congrès.
Actions dans les 45, 60 et 90 jours
À court terme, 240 M$ seront alloués à la modernisation des ports, aux autoroutes maritimes et aux réseaux de fret du pays. Le programme devrait être prêt pour l’action dans les 45 prochains jours, selon un communiqué de presse publié par la Maison Blanche. Dans les 60 jours, l'administration de Joe Biden identifiera les projets de construction et/ou de modernisation des infrastructures portuaires obsolètes (mobilisation de 4 Md$) puis, avant trois mois, les ports clefs seront classés en fonction de leur caractère prioritaire.
« Ces investissements créeront des emplois bien rémunérés et aideront l'Amérique à être plus compétitive que la Chine », soutient le dossier de presse de l’administration américaine. Selon Dynamar, le continent nord-américain compte une douzaine de ports de plus d’1 MEVP, totalisant 46,9 MEVP. Seuls quatre d’entre eux figurent parmi les 50 premiers mondiaux, le premier étant Los Angeles qui n’émerge qu’au 18e rang. Aucun ne figure dans le top 10, les ports chinois trustant depuis des années le haut du classement mondial.
Records de trafics en dépit de la congestion
Les deux portes d’entrée américaines pour les importations conteneurisées auront réussi un exploit : enregistrer des records absolus de trafics en dépit d’une congestion sans équivalent dans le monde. Long Beach vient de connaître pour la seconde fois le mois d’octobre le plus chargé de son histoire avec 789 716 EVP. Bien qu’à des niveaux exceptionnellement élevés, le trafic est en retrait de 2,1 % par rapport à octobre 2020 (il avait manutentionné 806 603 EVP), en raison de la « capacité limitée des terminaux maritimes », déplore Mario Cordero, le directeur général de Long Beach.
Les importations ont diminué de 4,3 %, à 385 000 EVP en octobre sur une base annuelle, tandis que les exportations ont augmenté de 6,6 %, à 122 214 EVP. Les conteneurs vides refluent (- 2,4 %) pour atteindre 282 502 EVP.
De janvier à octobre, le deuxième port à conteneurs le plus actif du pays a enregistré un volume de 7,88 MEVP, en hausse de 21 % par rapport à la même période en 2020. Il est bien parti pour franchir les 9 MEVP d'ici la fin de l'année, explosant les 8,1 MEVP consacrés en 2020.
Los Angeles, enfant terrible des ports
L’autre port californien est lui en passe de franchir le cap des 10 MEVP, seuil qu’il avait du reste franchi en juin sur 12 mois (10,8 MEVP contre 9,2 MEVP pour le précédent exercice). Los Angeles a totalisé 8,2 MEVP (+ 28 %) et a connu en septembre le mois plus chargé de ses 114 ans d'histoire avec 903 865 EVP.
Les importations de conteneurs pleins ont atteint 468 059 EVP en septembre alors que les exportations ont chuté de 42 % à 75 714 EVP par rapport à la même période de l'année précédente. Il n’avait pas connu pareille situation à l’export depuis 2002. Un phénomène que les chargeurs américains attribuent à la pénurie de conteneurs consécutive au fait que les transporteurs réserveraient leurs capacités au sens Asie-Amérique du Nord, nettement plus lucratif. Un conteneur à l’import rapportant actuellement au transporteur jusqu'à 30 fois plus qu’à l’export, il cherche en toute logique à maximiser le repositionnement des vides en Asie. Au détriment certes des boîtes pleines à exporter.
Les conteneurs vides ont effet bondi de 28 % par rapport à l'année dernière, à 360 092 EVP. Los Angeles a ainsi véhiculé une valeur marchande de 259 Md$, reflétant et la forte consommation des Américains en biens manufacturés.
Ralentissement de la demande
S’appuyant sur les données de la consommation américaine publiées par le US Bureau of Economic Analysis (BEA) en septembre, Sea-Intelligence estime que la consommation américaine est revenue à son niveau pré-pandémique mais tout en restant à des niveaux supérieurs à celle des services. La demande en équipements de la maison continue d’être le moteur de ce boom consumériste inédit, à l’origine de l’engouement pour les conteneurs depuis un an.
« Cette catégorie de biens est un indicateur avancé pour trois autres, soutient le consultant maritime. Il semble en effet que le consommateur moyen achète d'abord de nouveaux meubles et seulement ensuite, avec un léger décalage, des tapis, des lampes, etc. Si nous suivons cette logique, la consommation devrait se ralentir car les achats de meubles faiblissent ».
Mais tous les experts en conviennent désormais : la baisse de la demande n’aidera pas, à court ou moyen terme, à réparer la chaîne d’approvisionnement qui s’est brisée en touchant ses limites, incapable d’absorber les à-coups de la demande.
Adeline Descamps