CMA CGM annonce du renfort. Augmentation de capacités entre l’Asie et l’Europe, escale import supplémentaire au Havre sur le FAL 1, des solutions alternatives pour pallier la pénurie de conteneurs… Olivier Nivoix, directeur des lignes pour la compagnie française depuis 2018, s’en explique.
Cette année, rien ne s’est passé comme prévu pour le transport maritime sur les deux grands marchés, Europe-Asie et le transpacifique. Les cycles habituels qui rythment les saisons de votre secteur ont été complètement chamboulés. Les marchés spot s’enflamment de façon discontinue depuis août. Avez-vous été surpris par la forte demande en milieu d’année ?
Olivier Nivoix : 2020 a été une année absolument hors normes, y compris sur le plan du business. Le ralentissement mondial dès février consécutif à la mise à l’arrêt de la production en Chine et l’entrée en confinement des économies les unes après les autres se sont matérialisés, pour le transport maritime, par une baisse des volumes de 7 % au premier semestre 2000 et un peu plus de 11 % de la flotte mondiale à l’ancre, ce qui est colossal car cela signifie une capacité de 2 MEVP retirée du marché. La deuxième partie de l'année a eu une toute autre tonalité : les États-Unis ont importé beaucoup plus rapidement que ce nous avions anticipé et que ce que les clients eux-mêmes prévoyaient. Selon nos estimations, le deuxième semestre se concrétisera par une croissance de 4,5 % par rapport à l'année précédente. La flotte inactive s’est considérablement résorbée, à 1,2 %, autant dire que quasiment tous les navires sont en service. Cette forte demande a répondu à une reconstitution des stocks de la part des importateurs, en différentes phases selon les régions : les États-Unis, ensuite l'Europe, puis l'Afrique et enfin l'Amérique latine, qui a rebondi tardivement mais qui explose désormais.
Même la Golden Week, semaine de jours fériés en Chine début octobre qui correspond traditionnellement à une période de basse saison, a échappé à son schéma ordinaire. Comment expliquez-vous ce boom de la consommation américaine ?
O.N : Les populations confinée étant privées de loisirs et de prestations de services, les achats se sont reportés sur les plateformes de commerce en ligne et sur des biens d’équipement de la maison que les Américains ont consommés dans des volumes impressionnants. À défaut de pouvoir voyager, les consommateurs ont privilégié l’achat « maison » avec des objets beaucoup plus encombrants que ce que nous avions l'habitude de transporter : des meubles, des vélos, des télévisions en quantité vraiment importante. On retrouve ce phénomène dans nos résultats de trafics : au deuxième semestre, nous avons augmenté nos volumes de plus de 18 % par rapport à l’année précédente, au-delà du marché mondial qui a crû de 15 %.
Quand l’activité a redémarré en juin-juillet, nos clients nous disaient ne pas avoir de visibilité au-delà de trois mois. Le mois d’octobre correspond traditionnellement à un ralentissement avec moins de départs opérés. Or la demande a été tellement forte que l’on a assuré tous les départs. C’est sans précédent dans cette industrie. Nos clients eux-mêmes sont surpris et ce sont les consommateurs – c’est à dire vous et moi – qui engendrons ce phénomène.
Face à cette forte demande, y-t-il eu comme certains le soutiennent un manque d’anticipation qui expliquerait aujourd’hui un déficit de capacités ?
O.N. : Nous avons été extrêmement réactifs et agiles, notamment sur l’Europe du Nord, la Méditerranée et l’Amérique du Nord. Nous avons immédiatement étoffé les capacités avec des voyages additionnels, des « upgrade », au moyen de navires de plus grande taille. Non seulement, tous les services ont été réinitialisés mais on en a créé d’autres pour venir en renfort à la fois sur les marchés régionaux et les grandes distances, depuis l'Asie vers l'Europe et les États-Unis
Depuis mi-mai, aucun blank sailing [annulations de départs, NDLR] n’ont été programmés sur les FAL 1 et FAL 3. Nous avons augmenté la capacité entre l'Asie et l'Europe de 6 % au quatrième trimestre, comparé à la même période en 2019. Nous allons encore monter en puissance au 1er trimestre 2021 avec 10 % de capacités en plus par rapport au trimestre en cours. D’ici la fin de l’année, nous avons prévu en affrètement supplémentaire deux extra-loaders entre l’Asie et l’Europe d’une capacité totale de plus de 9 000 EVP, qui assureront exceptionnellement des voyages.
Comment recevez-vous les arguments de certains chargeurs et transitaires qui, par le biais des associations professionnelles, sous-entendent que les armateurs allouent leurs capacités aux les trade les plus lucratifs et maintiennent délibérément une tension sur les prix ?
O.N. : La plus grande partie de nos journées est motivée par la recherche de solutions pour acheminer les marchandises de nos clients. C’est sur notre capacité à les accompagner dans des moments difficiles que les clients nous attendent. La décision d’affréter deux extra-loaders a été prise de concert avec eux. CMA CGM est une compagnie orientée clients, quels qu’ils soient, forwarders, petits ou grands chargeurs, détaillants américains ou français. Tous sont considérés avec les mêmes égards pour leur assurer un maximum de soutien. Il n'en demeure pas moins que certains clients, comme les transitaires qui ont eux-mêmes des clients, n'ont pas de contrats fixes. Ils peinent donc à trouver de l'espace aujourd’hui. Mais c’est inhérent à l'industrie. Tous nos contrats signés en début d'année ont été respectés, quels que soient les événements, le coronavirus, certes, mais aussi les grèves comme celles que nous avons connus en début d'année.
Quelle part représente le contractuel chez CMA CGM ? Entre 65 et 70 % ?
O.N. : Cela dépend des trafics, des trade, des marchés. Les clients, qui décident de rester à un moment donné sur le marché spot, connaissent les règles. Quand le marché est à la baisse, ils en tirent profit et quand il est à la hausse, ils en tirent moins profit…
Est-ce que cette année extra-ordinaire pourrait inciter davantage de clients à basculer sur du contractuel ?
O.N. : Les chaînes logistique ont été extrêmement perturbées et il ne s’agit pas exclusivement d’une question d'offre et demande. Il y a tous les effets connexes au Covid. Le chamboulement a été tel qu’il n’est pas improbable que les entreprises reconsidèrent leur logistique. C’est vrai pour le fret maritime mais aussi pour le transport aérien ou routier, pour l'implantation de leurs dépôts et entrepôts et bien d'autres réflexions encore. Grâce à notre filiale logistique, Ceva, nous sommes en mesure d’offrir des solutions de bout en bout pour accompagner nos clients sur l'intégralité de leur chaîne logistique sans qu’ils aient à s’adresser à de nombreux interlocuteurs. Il est vrai que cela facilite les discussions avec les grands clients qui sont extrêmement demandeurs de ce type de solutions.
Les surcharges dans les moments difficiles se justifient-elles ?
O.N. : Les évolutions de la demande et l'arrivée massive de capacités ont généré des encombrements sur les terminaux portuaires et des coûts supplémentaires. Il y a actuellement une vingtaine de navires à l'ancre devant les ports de Los Angeles, d’autres qui attendent depuis plus d'une semaine au large des ports asiatiques, des phénomènes de congestion au Royaume-Uni. Aucun maillon de la chaîne logistique n’a échappé à la situation sans précédent que nous connaissons, pas plus l’industrie du transport que les infrastructures portuaires mises fortement à l'épreuve. Il faut y ajouter les phénomènes météorologiques – sur les trade Est-Ouest – qui n’aident pas.
Les capacités additionnelles que vous injectez sur le marché seront-elles bien équilibrées selon les régions ?
O.N. : Un des nouveaux services va desservir le marché américain. Les neufs grands navires de 23 000 EVP au GNL [en propriété, NDLR] qui auront tous rejoint notre flotte d’ici 2021, dont trois déjà en opération [les Jacques Saadé, Champs Élysées et Palais Royal, NDLR] sont exploités sur l'Asie-Europe. Nous allons aussi recevoir six porte-conteneurs de 15 000 EVP pour le trade Asie-Méditerranée [série de six affrétés, dont un est déjà entré en flotte, le CMA CGM Tenere tandis qu’un autre, le Scandola, doit être livré d’ici la fin de l’année. Une autre série de cinq, celle-là en propriété, doit être réceptionnée également courant 2021, NDLR]. Tous les nouveaux porte-conteneurs que nous allons recevoir d’ici le premier trimestre concerneront les lignes européennes au sens large. Ils contribuent aux 10 % de croissance entre les premiers trimestres 2020 et 2021.
Les ports français seront-ils un peu mieux desservis ?
O.N. : CMA CGM assurera quatre escales en France avec ses navires en propre. Les marchés français seront renforcés avec notre flotte de porte-conteneurs propulsés au GNL de 23 000 EVP. Les navires étant plus grands, il y aura plus de capacités. Nous étudions, avec nos clients français, la possibilité d’améliorer la desserte si nécessaire. Le Havre bénéficie d’une escale import hebdomadaire supplémentaire sur notre ligne emblématique FAL 1 entre l’Asie et l’Europe avec le CMA CGM Antoine de Saint-Exupéry [il a inauguré son retour au Havre le dimanche 13 décembre, NDLR]. En parallèle, le service FAL 3 assurera une escale hebdomadaire export au Havre, à destination de la mer Rouge, du golfe Persique et de l’Asie.
Quelles solutions allez-vous mettre en oeuvre face à la pénurie de conteneurs ?
O.N. : Durant le second semestre, nous avons augmenté notre parc de conteneurs de 8,7 % au travers d'achats et de locations. Des services ont été déroutés pour évacuer les surplus de conteneurs vides. Nous proposons des solutions alternatives avec d’autres types de conteneurs pour couvrir les besoins.
Que pensez-vous de l’initiative de DSV-Panalpina qui, faute de capacités sur le marché, s’est résolu à affréter lui-même des navires ?
O.N. : Cela démontre une demande forte de nos clients. En tant qu’armateurs, nous consacrons notre énergie à trouver des solutions. Nous n’avons pas à commenter les actions des autres acteurs du secteur.
Le retour à une certaine normalité, c’est pour quand ?
O.N. : Bien avisé est celui qui sait ce qu’il va se passer en 2021 surtout après ce que l'on vient de vivre. Nous anticipons un premier trimestre en forte croissance...
Propos recueillis par Adeline Descamps