La dernière livraison en date de données sur les perspectives du commerce mondial ne sont pas des plus enthousiasmantes. L’Organisation internationale qui régit les règles du commerce dans le monde revoit sa copie à la baisse, estimant désormais la croissance du commerce de marchandises à 2,8 % en 2022 – et non plus à 4,7 % –, et à 3,4 % en 2023, tout en s’accordant une plus grande marge d’erreur en raison de la nature du conflit aux portes de l’Europe.
Ses projections sont particulièrement assombries par les incertitudes nées de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, les difficultés de Pékin à venir à bout du rebond épidémique et l’inflation menaçant la production (intrants manufacturiers) et la consommation (produits de base). Avant ces inattendus, la reprise économique était pourtant bien sur les rails, voire dynamique, alimentée par la sortie progressive des confinements et une forte demande.
Clair-obscur de la situation
« L'impact économique le plus immédiat de la crise entre la Russie et l’Ukraine a été une forte hausse des prix des produits de base. Malgré leur faible part dans le commerce et la production au niveau mondial, les deux pays sont des fournisseurs clés de produits essentiels, notamment d'énergies, de céréales et d’engrais, dont l'approvisionnement est désormais menacé par la guerre. Les exportations de céréales, via les ports de la mer Noire, ont déjà été interrompues, ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour la sécurité alimentaire des pays pauvres », alerte le gendarme du commerce.
Faute de données renseignées sur l’impact économique du conflit, les économistes de l'OMC ont dû s'appuyer sur des simulations pour générer des « hypothèses raisonnables » sur la croissance du PIB en 2022 et 2023. Les estimations actuelles, basées sur le modèle de commerce mondial de l'OMC, prennent en compte l'impact direct de la guerre en Ukraine, y compris la destruction des infrastructures et l'augmentation des coûts induits ; les effets consécutifs aux sanctions sur la Russie, notamment l’exclusion des banques russes du système de règlement SWIFT ; la réduction de la demande globale dans le reste du monde en raison de la baisse de la confiance des entreprises et des consommateurs.
Une croissance du PIB ramenée à 2,8 % en 2022
« La croissance du volume du commerce de marchandises en 2022 pourrait être aussi faible que 0,5 % ou aussi élevée que 5,5 % », relève l’OMC, qui mettra à jour ses projections en octobre. Elles tiennent également compte de données déterminantes pour certaines économies, notamment les flux de conteneurs traités dans les ports américains et chinois. L’Organisation fait visiblement de la congestion portuaire un paramètre essentiel pour la trajectoire du PIB.
Au cours des deux décennies qui ont précédé la crise financière mondiale, le volume du commerce mondial de marchandises a augmenté environ deux fois plus vite que le PIB mondial, mais le rapport entre la croissance du commerce et celle du PIB est tombé à un ratio d’environ 1:1 en moyenne après la crise. « Les risques qui pèsent sur les prévisions sont mitigés et difficiles à évaluer objectivement. Il existe un certain potentiel de hausse si la guerre en Ukraine prend fin plus tôt que prévu, mais d'importants risques de baisse pourraient apparaître si les combats persistent longtemps ou si le conflit s'intensifie ».
Les flux d'exportation affichent une faible croissance dans la plupart des régions, y compris dans la CEI (Communauté des États indépendants) car la Russie n’est toujours pas sanctionnée sur le pétrole. « Si la situation devait changer, nous pourrions assister à une croissance plus forte des volumes d'exportation dans d'autres régions productrices de combustibles », notent les économistes.
Des exportations en hausse de 2,9 % en Europe en 2022
En 2021, année marquée par un net rebond du volume des échanges après l'effondrement de 2020 dû à la pandémie, mais altérée par les vagues récurrentes du virus au cours de l'année, « chaque région a connu une croissance des exportations inférieure à la moyenne mondiale de 9,8 %, à l'exception de l'Asie, à + 13,8 %. La situation s'est inversée du côté des importations, où l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, la CEI et l'Asie ont toutes enregistré une croissance supérieure à la moyenne. »
En 2022, les prévisions tablent sur une croissance du volume des exportations dans toutes les grandes régions du monde, à l’exception de l’Amérique du Sud (- 0,3 %) : + 2 % en Asie, + 3,4 % en Amérique du Nord, + 2,9 % en Europe, + 4,9 % dans la CEI, + 11 % au Moyen-Orient et + 1,4 % en Afrique.
Les importations devraient également croître cette année selon les perspectives de l’OMC, excepté la CEI en repli de 12 % : + 2 % en Asie, + 3,9 % en Amérique du Nord, + 3,7 % en Europe, + 11,7 % au Moyen-Orient, + 2,5 % en Afrique et + 4,8 % en Amérique du Sud. « Les coûts commerciaux devraient augmenter à court terme en raison des sanctions, des restrictions à l'exportation, des coûts de l'énergie et des perturbations des transports dues à la COVID-19 ».
Le pétrole et le gaz en embuscade
Le prix des énergies reste un paramètre de taille pour la production manufacturière. En l’occurrence, elles sont particulièrement onéreuses. Le prix de référence du pétrole brut Brent pour le mois de mars s'est établi à 118 $ par baril, soit une hausse de 38 % par rapport à son niveau de janvier et de 81 % sur une base annuelle.
Contrairement aux cours du pétrole, les prix du gaz naturel ont tendance à diverger fortement d'une région à l'autre. En Europe, ils ont augmenté de 45 % entre janvier et mars pour atteindre 41 $ par million de Btu, alors qu’ils sont restés relativement bas aux États-Unis, à environ 4,9 $ par million de Btu. « L’inflation du baril pourrait réduire la demande d'importations dans le monde entier, tandis que celle du gaz naturel aurait probablement un impact plus important en Europe », décrypte l’OMC.
Conteneurs et activité manufacturière
L'OMC suit d’autres indicateurs liés au commerce tel que l’indice de volume de conteneurs RWI/ISL qui intègre des données sur la manutention des conteneurs dans 94 ports internationaux, représentant 64 % du total mondial. « Les ports chinois ont connu la plus forte baisse en mars, mais les ports européens ont également enregistré une baisse substantielle. Le fait que les taux de fret soient restés stables ou aient diminué dans le même temps suggère que la baisse du volume correspond à une diminution de la demande de transport plutôt qu'à une réduction de l'offre », précise l’OMC
Les indices des directeurs d'achat (PMI) d'IHS-Markit, baromètre de l’activité manufacturière basé sur des enquêtes menées auprès de centaines d'entreprises dans plus de 40 pays, est resté au-dessus du seuil de 50 en mars (le seul qui départage la contraction de la croissance). En Chine, il est actuellement en dessous de 50.
« Dans le même temps, les nouvelles commandes à l'exportation sont tombées à 48,2, leur plus bas niveau depuis juillet 2020, signalant un ralentissement de la croissance ou éventuellement une contraction du commerce mondial », indique dans sa dernière note l’OMC.
Les chaînes d'approvisionnement ont été entravées ces derniers mois par de longs délais de livraison et des pénuries d'intrants de production tels que les semi-conducteurs. Ces problèmes ne sont pas encore résolus au regard de certains indicateurs. « Une hausse des prix des intrants et des produits finis et une augmentation des délais de livraison en mars 2022 suggèrent des déséquilibres persistants entre l'offre et la demande qui pourraient contribuer à l'inflation dans les mois à venir. »
Adeline Descamps
Impact des sanctions russes sur les services
{{ENC:1}}