François Bayrou, Premier ministre qui tient à un fil, présentera le 14 janvier la feuille de route de son gouvernement. Un autre temps fort dans le parcours du quatrième Premier ministre en un an, après la composition du gouvernement à la veille de Noël. La fragmentation politique d'une Assemblée en trois blocs lui donne peu de marges de manœuvre pour donner une réponse à la situation budgétaire du pays alors qu’un budget est attendu à la mi-février.
Depuis plusieurs jours, les débats tournent autour de la réforme des retraites votée en 2023, qui porte l’âge de départ légal à 64 ans et qui continue d’animer régulièrement les braseros dans les ports (la prochaine grève en perspective, le 4 février). Le Béarnais, qui doit en découdre depuis sa prise de poste, semble vouloir en faire un champ d’action de la négociation (coup de barre à gauche donc) pour éviter la sortie de route infligée à son prédécesseur savoyard qui avait placé ses transactions sur son flanc droit.
Plus de quinze jours après la nomination du gouvernement Bayrou, qui a fait de l’outre-Mer un des quatre grands ministères d’État (Manuel Valls), qui a placé les Transports (Philippe Tabarot, LR) dans un vaste ministère du Partenariat avec les territoires (dénomination du gouvernement Barnier conservée mais au périmètre revisité), qui a renvoyé l’Énergie à Bercy et qui a rattaché la Mer à la transition écologique (Agnès Pannier-Runacher, camp présidentiel), les périmètres d’intervention ont été précisés dans des décrets parus au JO le 8 janvier.
Navigation de la charge « Mer »
Si la Mer a récupéré un accès direct à un ministère de plein droit, la charge est en colocation avec la « biodiversité », la « forêt » et la « pêche ». Et surtout, elle a perdu sa personnification. Sous le précédent exécutif, Michel Barnier avait choisi Fabrice Loher, maire UDI de Lorient (Union de la droite, du centre et des indépendant), pour l'incarner et gérer un portefeuille limité au combo Mer et Pêche. Il avait été confié à un vaste ministère à l’intitulé alors inédit : « Partenariat avec les territoires et décentralisation ». Pour rappel, le secteur avait été géré dans un ministère délégué sous Gabriel Attal et un secrétariat d'État avec celle qui l’a précédé à Matignon, Élisabeth Borne. Le gouvernement de Jean Castex, qui avait institué un ministère de la Mer, pourrait être une exception de la présidence Macron et peut-être de la Ve république, où la thématique aura bien navigué entre différents maroquins.
Si les décrets précisent les contours de chaque ministère, les compétences des ministres (missions de préparation, d’animation et de coordination) ainsi que les services administratifs dont ils disposent, ils ne dissipent pas les brumes enveloppant la prise en charge des différentes responsabilités au sein d’un même pôle, d'un même ministère voire entre les différents ministères, de la personnalité dont les fonctions dépendront, des budgets dont elles disposeront. Sans oublier l’articulation des différentes administrations centrales (direction générale de la prévention des risques ; de l'énergie et du climat ; de l'aménagement, du logement et de la nature ; des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture), sur lesquelles s’exercent plusieurs autorités (Premier ministre ; ministre de la Transition écologique ; de l'Aménagement du territoire ; de l’Économie).
Cette situation reflète la tendance aux portefeuilles de plus en plus éclatés : celui d’Agnès Pannier-Runacher compte une bonne dizaine de prérogatives : développement durable, environnement, climat, lutte contre la pollution atmosphérique, protection de la nature et de la biodiversité, politique de l’eau, prévention des risques naturels et technologiques, sécurité industrielle, mer, littoral, pêche maritime, forêt et bois.
Priorités climat
Si les premières prises de parole d’un ministre devaient fournir un indice de ses centres d’intérêt, celles de la ministre reconduite à la Transition écologique, qui a perdu l’Énergie (repassée dans le giron de Bercy) mais qui a récupéré la gestion de la forêt, de la mer et de la pêche, ont été concentrées sur l’urgence climatique. « Le contexte politique et budgétaire n’efface pas l’urgence climatique » a-t-elle dit lors de sa passation de pouvoir à l’hôtel de Roquelaure à Paris en usant de l'anaphore. « Il n’efface pas l’effondrement de la biodiversité. Il n’efface pas la fonte des glaciers, l’érosion des littoraux, la hausse du niveau de la mer. Il n’efface pas les catastrophes naturelles à répétition qui, en seulement trois mois ont frappé notre pays ». Plusieurs textes sont en chantier, à l'instar de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), soumis à consultation publique jusqu’au 22 décembre et du troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3), jusqu’au 27 décembre, avec une mise en œuvre prévue pour 2025.
Parmi ses urgences, selon ses déclarations : la biodiversité, « parent pauvre du climat ». Les négociations de la COP16 Biodiversité, qui n’avait pu trouver d’accord sur la non-consensuelle question du financement en novembre à Cali, reprendront fin février à Rome. Elle a également mentionné un autre rendez-vous clé en matière de biodiversité marine avec l’organisation à Nice en juin de la Conférence des Nations Unies sur l’océan.
Chevauchement d'autorité et domaines partagés
Le décret précisant ses attributions est cosigné par les ministres de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation, François Rebsamen, et de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Éric Lombard. Il s’agit de deux des trois « chefs de pôle » (avec Catherine Vautrin) chargés de préparer et mettre en œuvre la politique du gouvernement des secteurs placés sous leur autorité.
À en juger par le texte, les dossiers de la décarbonation des transports et de l’efficacité énergétique demeurent dans l’escarcelle du ministère de la Transition écologique et ne relèvent pas de Marc Ferracci, chargé de l’Industrie et de l’Énergie (les transports étant un portefeuille délégué, cf.plus bas), qui hérite du volet « production d’énergie » de ce dossier.
Les chapitres relatifs au champ d’action dans le domaine de la mer et la pêche sont cités en dernier lieu (après le développement durable, l’environnement, le changement climatique). Les attributions sont relatives à la navigation, à la sécurité (politique générale en matière de secours, de recherche et de sauvetage, en domaine partagé, suivi de l’action de l’État en mer), à la formation des gens de mer, à la plaisance, à la planification de l'espace en mer, à la gestion durable des ressources maritimes, aux ressources minérales (domaine partagé avec Bercy), etc.
En clair, la stratégie géographique d'influence maritime de la France et la politique relative au domaine public maritime lui sont propres mais Agnès Pannier-Runacher devrait arbitrer conjointement avec le ministre de l'Économie ce qui relève des politiques à mettre en œuvre en matière de construction/réparation navale et d’industries nautiques (et avec le ministre des Sports, les approches dans les sports maritimes). Son rôle en ce qui concerne la politique relative aux transports maritimes, à la marine marchande et à la réglementation sociale, aux énergies renouvelables en mer et au tourisme sur le littoral et en mer se limite à un « statut d’associé ».
Préservation des conseillers
Quentin Guérineau (Polytechnique, ParisTech), nommé directeur du cabinet d’Agnès Pannier-Runacher en septembre 2024, conserve sa fonction. Entré dans son cabinet en 2021, il avait été jusque-là son conseiller industrie 4.0, Europe, territoires et attractivité de mai 2021 à mai 2022 au ministère chargé de l’Industrie.
Frédéric de Carmoy (ENA, promotion 2016-2017) a été nommé, lui, le 24 décembre en qualité de directeur adjoint du cabinet, en charge de la mer, de la pêche et du financement de la transition écologique, ce dossier sur lequel il planchait en tant qu'adjoint. Alors qu’il était depuis septembre 2021 le chef du bureau des transports de la direction du Budget, après avoir été adjoint concernant l’emploi et le logement, il avait été nommé en février 2024 en qualité de conseiller budget et fiscalité de Christophe Béchu, poste occupé jusqu'en octobre 2024.
En revanche, il y a du mouvement dans les directions centrales. Didier Lallement, qui avait pris ses fonctions à la tête du Secrétariat général de la Mer (SGMer) en octobre 2022, a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 31 décembre 2024. Le secrétaire général adjoint, Pierre Rialland, assure l’intérim.
La filière maritime attend, elle, d'être fixée sur son sort. Le PLF2025 contenait des mesures loin d'être neutres pour les conditions d'exploitation des armateurs : taxation au tonnage, exonérations des cotisations Enim (net wage) sans parler de la forte contribution exceptionnelle exigée à CMA CGM. Le troisième armateur mondial, néanmoins français, continue d’être stigmatisé par une partie du personnel politique pour sa fortune que les partis de gauche ne renoncent pas à qualifier de « spéculative ».
Adeline Descamps
Ministère des Transports : des compétences plus proches du gouvernement Attal que Barnier
Les compétences du ministère délégué aux Transports, Philippe Tabarot, sont plus proches de celle de Patrice Vergriete (ministre des Transports sous Gabriel Attal) que de celles de François Durovray (homologie sous gouvernement Barnier). Toutefois, alors que Patrice Vergriete conduisait la politique portuaire en association avec le ministère de la Mer, Philippe Tabarot est cette fois autonome. Et si la décarbonation des transports revient à la Transition écologique, le dossier sera à conduire avec l’ex-vice-président de la Région Sud en charge des transports. L’électrification des transports sera aussi « conjoint » aux deux ministères. Philippe Tabarot aura en outre la main sur les certificats d’économies d’énergie dès lors qu’ils concernent les transports.
Le nouveau ministre des Transports conserve par ailleurs quelques conseillers de son prédécesseur. Ainsi, outre Katayoune Panahi, reconduite en tant que directrice de cabinet, Paul Giovachini, conseiller mobilités routières et actives, ports et transport fluvial, devrait préserver son titre mais dont le vaste périmètre devrait être découpé. Juliette Merlot, administratrice du Sénat, est pressentie pour la direction adjoint du cabinet.
Des mouvements limités chez les conseillers
Parmi les conseillers, Vivien Chbicheb (ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts, promotion 2020), nommé conseiller transport dans le cabinet de Michel Barnier en septembre 2024, rempile aussi auprès de son successeur François Bayrou. Le polytechnicien est passé par la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (septembre 2020-avril 2023), par le cabinet de Patrice Vergriete (conseiller ferroviaire, transports collectifs et logistique) et par l’Agence des participations de l’État, où il s’occupait notamment des grands ports maritimes métropolitains.
Emmanuel Bossière est aussi fixé sur son sort. Il reste conseiller technique transport. Après avoir exercé au cabinet d’Emmanuel Macron et d’Élisabeth Borne de 2022 à 2024, il était passé dans celui de Gabriel Attal. L’ingénieur des ponts, des eaux et des forêts fait partie d’un certain nombre de conseils d’administration (SNCF Réseau, Haropa Port, aéroports de Marseille-Provence et de Bordeaux).
Occupée depuis 2018 par Nicolas Trift, la direction des transports ferroviaires et fluviaux et des ports, au sein de la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), est, elle, vacante. Il s’agit notamment de « mettre en œuvre la politique relative au développement des ports et à leur transition écologique afin d’accompagner la transformation de leur modèle économique ».
A.D.
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